Le protestantisme et ses valeurs
Stéphane Gariépy
L'adhésion des écoles chrétiennes de foi évangélique à la confessionnalité protestante a conduit progressivement bon nombre d'évangéliques québécois à s'identifier au fait protestant. Alors qu'il y a une vingtaine d'années, beaucoup d'évangéliques hésitaient à se dire protestants, cette idée est de plus en plus admise et on se reconnaît aujourd'hui volontiers des liens avec l'histoire des franco-protestants en Nouvelle-France et au Canada. Cela est particulièrement vrai dans le milieu scolaire où on réfère à des valeurs protestantes qu'on désire à la base de la vie de l'école. Mais que signifie donc être protestant ? Quelles sont les valeurs-clés du protestantisme et en quoi cela peut-il influencer notre vision de l'éducation? Afin de tenter une réponse à ces questions, nous ferons un petit voyage historique au 16e siècle et, avec l'aide d'ouvrages de référence actuels, nous tâcherons de cerner quelques caractéristiques du protestantisme qui peuvent nous guider dans notre façon d'approcher l'éducation protestante.
L'origine du protestantisme
La fin du 15e siècle, début du 16e siècle en Europe était caractérisée par une fébrilité religieuse provenant d'un sentiment de besoin de Dieu faisant suite à un enchaînement de famines, épidémies et guerres, souvent interprétées comme des châtiments divins (Saupin, 1998). Pour le “ chrétien ” de l'époque, non instruit et résigné, le paradis se révèle non seulement difficile à gagner par sa pratique religieuse, mais devient même un triste objet de marchandage de la part de l'église catholique qui va jusqu'à vendre des indulgences (document de rémission des péchés) à ses fidèles qui doivent les acheter à fort prix afin d'augmenter leurs chances d'entrer au ciel. À l'intérieur de l'église catholique, entre théologiens, ainsi que dans le monde philosophique – la philosophie humaniste naît d'ailleurs à cette époque – , plusieurs questions sont l'objet de débats. Des tendances s'établissent, certains souhaitant une réforme interne de l'église catholique avec l'établissement d'églises nationales mais toujours liées à Rome, d'autres désirent des réformes majeures, quitte à provoquer une division si l'Église romaine persiste dans ses erreurs.
Bien qu'à travers les siècles nombreux sont les croyants qui n'acceptaient pas l'autorité de Rome et que d'autres schismes aient eu lieu, c'est à Martin Luther (1483-1546) qu'est attribuée l'initiative de la Réforme. Maître en philosophie de l'université d'Erfurt (Allemagne), Martin Luther entre dans l'ordre religieux catholiques des Augustins en 1505, ce qui le conduit à Wittenberg, où il enseigne à l'université. En 1515, il commence ses commentaires des épîtres de Paul qui l'amènent à sa doctrine du Salut par la Foi seule. En 1517, il affiche sur les portes du château de Wittenberg ses “ 95 thèses ” où, entre autres, il dénonce la vente des indulgences. Cet événement constitue le tournant majeur qui marque le début de la Réforme. Dans les années qui suivent, Luther écrit divers textes dans lesquels il affirme l'autorité de la seule Écriture sainte et précise la doctrine de la justification par la foi. Excommunié en 1521, il est alors protégé par Frédéric de Saxe au château de la Wartburg, où il entreprend la traduction en allemand de la Bible. D'autres réformateurs se joindront à Luther dans ce mouvement, dont Jean Calvin en France et Zwingli en Suisse, malgré l'existence de dissensions sur un certain nombre de points.
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Martin Luther |
Jean Calvin |
Le protestant et le protestantisme
Le terme protestant est généralement attribué à l'attitude de protestation adoptée par les partisans de Luther à la diète (une forme d'assemblée politique) de Spire en 1529 où l'empereur Charles Quint affirma sa volonté de maintenir l'unité catholique du Saint Empire romain germanique en luttant contre la diffusion de cette “ hérésie ” condamnée par la papauté en 1521. Rappelons qu'en plus de reconnaître la souveraineté de l'Écriture Sainte, les protestants rejetaient l'autorité du pape... Il faut noter que, si le terme de Réforme englobe toutes les écoles de protestantisme dans l'Europe du 16e siècle, celui de Réformés désigne plus spécifiquement les calvinistes qui suivent les idées de Jean Calvin. Aujourd'hui, le protestantisme désigne l'ensemble des Églises chrétiennes issues de la Réforme et ce qui s'y rapporte, ainsi que les Églises de confessions non issues de la Réforme mais qui en partagent les principes fondamentaux. Le protestant est le chrétien qui appartient à l'une ou l'autre de ces Églises, qu'il soit évangélique ou non.
La Réforme est basée sur un retour aux Écritures pour certains aspects importants de la foi chrétienne. Mais, comme le Schisme d'orient du 11e siècle a engendré les églises orthodoxes, distinctes du catholicisme, la Réforme a conduit à la création d'églises, dites réformées, ayant conservé certaines caractéristiques majeures du catholicisme. Quelques-unes de ces caractéristiques sont, selon le cas, le baptême des enfants, l'existence d'un clergé, ainsi qu'une forte tendance à associer religion et pouvoir, allant jusqu'à imposer leur nouvelle foi comme religion d'état (notamment en Allemagne et en Suisse). Ainsi, de manière contradictoire avec certains principes que certains d'entre eux défendaient au départ, plusieurs réformateurs ont fait montre d'une très grande intolérance vis-à-vis les autres confessions, bien sûr envers le catholicisme, ce qui a conduit à bon nombre de conflits armés, mais également à l'égard de groupes de chrétiens historiquement plus près des Écritures, les anabaptistes. Ceux-ci, précurseurs des confessions évangéliques, subirent la persécution des chrétiens réformés eux-mêmes – particulièrement de Zwingli et de Calvin – dès le début de la Réforme, incluant de nombreuses exécutions. En effet, parallèlement à l'histoire des églises chrétiennes dominantes ou officielles – église catholique, église orthodoxe, églises réformées luthérienne et calviniste, église anglicane –, à travers les siècles des communautés de chrétiens sont demeurés attachés aux enseignements de Jésus-Christ et des premiers disciples. Citons, par exemple, les Vaudois, Albigeois, Lollards et Hussites, ainsi que les anabaptistes, déjà mentionnés. Les évangéliques, dont l'identité voire la légitimité en tant que confessions chrétiennes se précisera plus tard historiquement face aux religions reconnues, ne s'associent donc pas toujours au protestantisme, bien que partageant certains éléments de foi. Malgré les persécutions, entre autres parce qu'ils pratiquaient le baptême des croyants (et non des enfants), le mouvement des anabaptistes s'est prolongé chez les mennonites et les baptistes, à l'origine de plusieurs confessions évangéliques d'aujourd'hui. Au Québec, on réfère parfois aux Huguenots qui ont contribué au début de la colonisation de la Nouvelle-France. Les Huguenots n'étaient pas nécessairement des évangéliques dans le sens contemporain du terme. Huguenot, du mot allemand Eidgenossen (qui signifie confédéré, référant aux confédérés suisses), est un nom péjoratif donné par les catholiques aux calvinistes en France au 16e siècle.
Les éléments fondamentaux du protestantisme
Le protestantisme se veut une attitude commune de pensée sur certains aspects de la foi et de la vie, un mouvement, davantage qu'une religion ou un ensemble doctrinal. Malgré la diversité historique et culturelle qu'il représente, le protestantisme n'est pas pour autant un concept fourre-tout. En effet, le protestantisme réfère à un ensemble d'éléments-clés dont trois sont fondamentaux :
• la justification (obtention du salut) par la foi et non par les œuvres ; • la souveraineté absolue de la parole de Dieu; • le sacerdoce universel des croyants (qui exclut l'idée de clergé ordonné).
De ces trois éléments, c'est la troisième affirmation qui a provoqué la rupture avec l'Église romaine, car remettant en question son autorité absolue. En effet, selon le principe du sacerdoce universel, il ne peut exister une différence de nature entre les chrétiens. L'Écriture est intelligible à tous les croyants et les liens directs avec Dieu par la prière et par la méditation de la Parole rendent inutiles l'existence d'intermédiaires ou de prêtres. Les leaders spirituels, utiles pour conduire l'éducation religieuse vers la Vérité, ne peuvent prétendre à aucune supériorité sacrée. Cette affirmation de l'égalité religieuse a abouti au rejet d'une église ordonnée, c'est-à-dire d'un clergé ayant reçu, par le sacrement de l'ordination, une grâce divine spécifique qui lui réserve le monopole de certains rites comme la célébration de la messe ou la rémission des péchés. Il peut être difficile, dans le contexte nord-américain de liberté de pensée et d'expression, de saisir la portée de ces trois éléments-clés. L'esprit de la Réforme est cependant très bien illustré par la locution latine post tenebras lux, qui signifie “ la lumière après les ténèbres ”, aujourd'hui devise de la Société biblique de Genève. En effet, la Réforme est venu jeter une lumière sur un monde dominé par l'ignorance, la superstition et la peur. Cette locution suggère que le peuple, maintenant éclairé par le libre accès à la connaissance de la Parole de Dieu, à Dieu sans intermédiaire et à son salut par la foi, ne pourra plus se laisser dominer par les abus de l'autoritarisme religieux et le mensonge de ses dogmes, abus dramatiques par leurs conséquences tant éternelles que terrestres.
Si dans notre compréhension de chrétien évangélique de la fin du 20e siècle, prépondérance de la Bible, salut par la foi et sacerdoce du croyant nous semblent des notions évidentes, il ne faut pas oublier que c'est dans des circonstances adverses, dans un mouvement de dénonciation d'abus, de protestation et d'affranchissement à l'égard de l'Église catholique qu'ils ont été énoncés et, pour plusieurs protestants, au prix de leur vie. Par ailleurs, nous nous devons d'être responsables quant à l'usage de l'épithète protestant et réfléchir à ses implications, positives et négatives, qui peuvent aller jusqu'à remettre en question certains réflexes et valeurs présents dans la culture chrétienne évangélique québécoise pouvant dériver davantage du catholicisme que du protestantisme.
Quelques valeurs protestantes
Le contexte historique de l'origine du protestantisme comme ses principes fondamentaux lui confèrent un ensemble de caractéristiques et de valeurs qui lui sont propres. Ainsi, des trois propositions de base du protestantisme découlent des valeurs importantes, largement admises comme étant protestantes. Ces valeurs sont très bien mises en évidence dans la préface du volume intitulé Éduquer les enfants – une vision protestante de l'éducation (Smith, 1998). Le tableau qui suit, inspiré de ce volume, résume un ensemble de valeurs qui ont une portée éducative et qui résultent des trois éléments-clés du protestantisme.
Caractéristiques confessionnelles protestantes et quelques “valeurs-clés” qui en découlent
Caractéristique |
Valeurs-clés |
La Souveraineté absolue de la Parole de Dieu L'Écriture sainte est la référence prépondérante en matière de foi et de vie. La Bible, dans laquelle chacun trouve un sens pour sa vie, est une source productrice de valeurs mais aussi une source critique des valeurs. L'Église est accompagnatrice de cette recherche plutôt que seule “ interprète ”. |
• Inclinaison vers la quête personnelle de sens • Responsabilité individuelle et autonomie • Importance de la formation du jugement personnel; goût pour l'examen critique • Passion de la vérité dans tous les domaines, incluant les dimensions morale et spirituelle; goût de la découverte, de l'émerveillement • Émancipation, ouverture culturelle
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La justification (salut) par la foi et non par les oeuvres Le salut ne dépend pas des qualités ni des mérites. Le salut est un don (une grâce), la foi est une réponse libre et responsable de l'homme à un appel de Dieu.. |
• Respect du cheminement personnel et liberté de conscience, chacun ayant sa valeur, sa dignité • Égalité fondamentale entre tous les hommes, créés à l'image de Dieu; recherche de la justice • Message général de confiance (grâce) à l'égard de l'homme; appel à la solidarité dans la société • Altruisme, responsabilité, recherche du mieux-être de la communauté et de l'humanité, utilité
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Le sacerdoce universel des croyants Chaque chrétien est sacrificateur pour Dieu et a ainsi, dans l'Église, une place égale, même si une fonction différente est confiée à chacun. |
• Droit à l'opinion personnelle et à la parole; droit à la contestation • Partage du savoir et du pouvoir (démocratie, collégialité, congrégationalisme...) • Refus du totalitarisme, de l'absolutisme, du dogmatisme
• Appel à s'évaluer, à se réformer sans cesse
Adapté de Smith (1998) |
Le protestantisme a eu une influence majeure sur l'éducation. À l'époque réservée essentiellement aux mieux nantis, les Réformateurs ont voulu démocratiser l'éducation en rendant disponible au peuple la lecture et l'écriture afin qu'il puisse avoir accès aux Écritures. Ainsi, comme Wycliff en Angleterre quelques siècles plus tôt, Luther traduisit la Bible en allemand, en plus de produire de nombreux commentaires et études. Dans une vision protestante de l'éducation, chaque individu est seul responsable des choix qui guideront sa vie dans sa quête personnelle de sens, tant dans les questions spirituelles, matérielles que politiques (politique étant pris dans son sens noble, i.e. relatif à la société organisée, à la cité, au gouvernement de l'État). Le protestant a confiance dans les Écritures, source de vérité. L'assurance de sa foi dans l'unité de la vérité lui donne la sécurité requise pour découvrir avec émerveillement le monde créé par Dieu et pour chercher des réponses à des questions fondamentales sans faire appel à des réponses toutes faites; cette sécurité lui permet aussi d'accepter l'émergence de croyances qui échappent à son contrôle, d'où la possibilité d'une ouverture culturelle. Ainsi, l'ouverture à la connaissance, en particulier des Écritures, le développement et l'exercice du sens critique ainsi que la passion de la vérité dans les divers domaines constituent-elles des valeurs protestantes fondamentales.
Dans la conception protestante du monde, l'Homme a été créé à l'image de Dieu, ce qui lui confère certains caractères divins dont l'affectivité, la capacité donner la vie, la créativité, le libre-arbitre. Le protestantisme, par un retour à une compréhension biblique de l'être humain, a contribué à lui redonner sa dignité d'Homme, sa liberté de conscience et une possibilité d'accès à un sens à la vie. Le respect de la conscience individuelle, du cheminement personnel (qui conduit – suivant l'appel de Dieu – au salut par la foi), en somme du libre-arbitre donné par Dieu est une autre caractéristique protestante incontournable. À la lumière et en conséquence de la grâce accordée par Dieu, qui justifie l'homme par la foi, le protestantisme appelle également à un amour envers le prochain. Avec la reconnaissance de la dignité et de la nécessité du travail, il en résulte un désir d'améliorer son sort comme celui de sa communauté et de l'humanité en général. Humaniste dans le sens où elle reconnaît la valeur de l'être humain et désire son épanouissement, l'éducation protestante recherche la libération tant de la personne que de la société.
Tel que mentionné plus haut, le sacerdoce du croyant est la principale proposition de la Réforme qui a conduit à la rupture avec l'église de Rome. Avec le sacerdoce du croyant, il n'existe pas d'intermédiaires obligés entre l'homme et Dieu, ni de personnes, de lieux et d'institutions sacrées. Ainsi, personne ne peut se poser en “gardien du temple”, en détenteur du pouvoir ou du savoir unilatéralement, autoritairement, infailliblement (Smith, op.cit.). Ce point essentiel du protestantisme conduit au refus de tout absolutisme, de tout totalitarisme, de tout système de soumission qui s'imposerait à la conscience. Le protestantisme reconnaît le pluralisme et la pluralité des approches personnelles et, à l'opposé des systèmes basés sur la soumission et le pouvoir, il recherche la mise en place d'organisations collégiales, sans autorité hiérarchique en matière religieuse. Enfin, contrairement au dogmatisme romain figé rejeté lors de la Réforme, le protestantisme se veut un mouvement qui appelle sans cesse croyants et organisations à réviser leurs positions en évitant de reproduire simplement par habitude des modes de fonctionnement.
Conclusion
Par ses valeurs révolutionnaires à plusieurs égards, la Réforme a eu une incidence énorme en matière d'éducation en occident. Connaissance de la lecture et de l'écriture, liberté de conscience, développement de l'esprit critique et de l'autonomie, ouverture culturelle, appel à la solidarité et à la responsabilité sont quelques-unes de ses valeurs aujourd'hui à la base même de beaucoup de sociétés modernes. Plusieurs valeurs protestantes identifiées sont même intégrées dans des programmes éducatifs nationaux – comme c'est le cas au Québec – et, ironiquement, dans les projets éducatifs d'écoles de foi catholique! Mais qu'en est-il de l'école protestante elle-même? La confessionnalité protestante de l'école chrétienne a des implications profondes quant aux valeurs éducatives qui devraient être à la base de l'éducation des enfants et quant à la vie de l'école en général, en particulier dans la relation école-parents-églises. L'école chrétienne présente l'avantage de croire dans les Écritures qui donnent force aux valeurs protestantes, lesquelles, comme on a pu le constater, vont au-delà de l'éducation à la moralité et de l'évangélisation. Notre identification au protestantisme nous invite à un examen profond de nos façons de penser et de faire à la lumière des valeurs protestantes de manière à faire de l'école protestante le milieu par excellence d'éducation à ses valeurs.
Références
Broadbent, E.H., 1985. L'Église ignorée. La Collection Le Chrétien d'Or, Éditions Copiexpress, 444 p.
Mair, N.H., 1980. Recherche de la qualité à l'école publique protestante du Québec, Comité protestant, Conseil supérieur de l'Éducation, Québec.
Ministère de l'Éducation du Québec, 1992. Les valeurs éducatives protestantes. Comité protestant, 27 p.
Smith, G.(éd.), 1998. Éduquer les enfants – une vision protestante de l'école. Ouvrage collectif sous la direction de Glenn Smith, Les Éditions du Sommet, Québec, 207 p.
Saupin, G., 1998. L'Édit de Nantes en 30 questions. La Petite Bibliothèque de France, Ministère des affaires étrangères, disponible sur Internet.
15 mars 1999
* Avec permission de l'auteur
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