Remerciements
À : Vernon, Mécène, Georges et Elisabeth qui m'ont beaucoup manqué durant mon séjour d'études en France.
Je tiens à remercier tout particulièrement mon directeur de recherche Monsieur le Professeur Paul BACOT, pour sa disponibilité et ses précieux conseils scientifiques et techniques. A Messieurs les Professeurs Laurent DOUZOU et Lahouari ADDI pour leurs judicieuses remarques. Mes remerciements vont à Monsieur le Professeur Paul VERMANDE et à Madame Maguy VERMANDE pour leur confiance et leur soutien durant la réalisation de cette étude. Merci à Monsieur le Professeur Evens Emmanuel de l'Université Quisqueya en Haïti, et à Monsieur le Professeur Vernet Larose de l'Institut National d'Administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales de l'Université d'Etat de Haïti.
Enfin, je tiens à témoigner toute mon affection à tous ceux qui m'ont accordée leur soutien au cours de la réalisation de ce DEA.
INTRODUCTION
La crise économique
1 résultant de la longue récession des années 1980 a conduit à l'élaboration d'un modèle social, politique et économique dénommé «Nouvel Ordre Mondial» (NOM). En remettant en question le fonctionnement des systèmes sociaux, économiques et politiques qui ont prévalu durant la période de l'après-guerre, le NOM va d'une part accorder la primauté aux droits de l'homme, au néolibéralisme et à la mondialisation des économies, et d'autre part faire de la démocratie «le modèle de gouvernance le plus approprié aux idéaux de la nouvelle civilisation humaine, et après le fracas des idéologies totalisantes le seul legs aux générations montantes». [Darnton R. et Duhamel O., 1998, p.347]
En effet, la plupart des Etats, durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix a délaissé leurs stratégies de développement introverties, d'inspiration keynésienne ou socialiste, pour s'engager dans un processus de libéralisation économique caractérisé par l'adoption de politiques macro-économiques fondées sur les préceptes des théories néoclassiques et néo-libérales [Ethier Diane, 2001]. Parallèlement, une vague de transitions de l'autoritarisme à la démocratie a touché successivement les nouveaux pays industriels d'Europe du sud (1973-1978), d'Amérique latine et d'Asie de l'Est (1980-1988), dont la République d'Haïti (1986), les Etats communistes de l'Europe centrale et orientale et les pays en développement de l'Afrique (1989-1995).
Le passage de l'autoritarisme à la démocratie en Haïti est marqué d'une manière générale par trois grandes contradictions entre le régime de Duvalier et les autres acteurs sociaux (internes et externes) :
- la politique de libéralisation économique entamée par le régime en 1971 ;
- la nouvelle mission sociale de l'église catholique haïtienne ;
- la politique de défense des droits humains de l'administration Carter (1976-1980).
En 1971, le jeune dictateur Jean Claude Duvalier a amorcé un processus de libéralisation, dont le but était uniquement d'attirer des capitaux étrangers et de favoriser l'implantation des industries de sous-traitances. En effet le jeune président «BABY DOC», a présenté le programme de son administration sous le slogan : «Mon père a fait la révolution politique moi je ferai la révolution économique» Cependant il semble qu'il n'est pas évident pour un régime politique autoritaire d'enregistrer une croissance voire un développement économique même quand il s'oriente vers une libéralisation de l'économie. En effet, entre 1975 et 1980 le produit interne brut d'Haïti présenta un taux de croissance de l'ordre de 5,3%, ce taux chuta à -2,6% entre 1980-1985. Le processus de libéralisation économique semble être à la base de la profonde crise économique qui sévissait au début des années 80 dans le pays et paraît même dans une certaine mesure contribuer à la chute du régime.
De 1966 à 1980, l'église catholique haïtienne vit une longue période de servitude et de domestication
2 face à la dictature. La Conférence de Medellin en 1968 et celle de Puebla en 1979, sur la mission sociale et politique des églises catholiques latino-américaines vont réveiller l'église d'Haïti de sa profonde léthargie. En effet, les églises latino-américaines influenceront l'église catholique haïtienne dans le choix des stratégies devant modifier sa trajectoire dans la mission d'accompagnement du peuple haïtien. Trois faits ont marqué le virement de l'église catholique d'Haïti :
- la pénétration de la théologie de la libération en Haïti ;
- la réalisation du symposium national en 1982 ;
- la prolifération des communautés ecclésiales de base (CEB).
Dans le symposium réalisé à Port-au-Prince du 2 au 6 décembre 1982, la hiérarchie de l'église exprime officiellement sa volonté
3 de promouvoir la formation des communautés ecclésiales de base à travers tout le pays. «...Face à toutes ces souffrances, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Ce Jésus que nous rencontrons nous fait comprendre que nous devons chercher des solutions, prendre des décisions et passer à l'action» Au mois de mars 1983, le Pape Jean-Paul II visite Haïti et déclare à l'aéroport de Port-au-Prince : «Il faut que les choses changent en Haïti, que toutes les catégories de pauvres retrouvent l'espérance» Ainsi l'église catholique, avec sa station de radio «Radio Soleil» et son armée de prêtres, de religieuses, de laïcs engagés, et les communautés ecclésiales de base [Ti kominote legliz (T.K.L.)] accompagnera le peuple dans sa longue lutte pour le renversement de la dynastie des Duvalier.
Par ailleurs, la politique de défense des droits humains promue par l'administration Carter (1976-1980) va provoquer un affaiblissement progressif du régime et favoriser une ouverture vers la démocratie. En effet, les pressions exercées par l'administration Carter sur le régime, (la mission du M. Andrew Young du département d'Etat en Haïti), ont suscité la création de la Ligue Haïtienne des Droits Humains (LHDH) et des partis internes d'opposition
4 au pouvoir des Duvalier. Cependant, le régime va profiter de l'arrivée des républicains à la Maison Blanche en 1980, pour frapper l'opposition en gestation, démanteler des embryons d'organisation de la société civile et bâillonner la presse indépendante [Etienne, 1999 p 27]. Mais les acquis démocratiques de la fin des années 70 résultant du contexte macro-politique mondial, c'est-à-dire la création des organisations non gouvernementales et des partis politiques ajoutés à l'effondrement de l'économie haïtienne entre 1980 et 1985 et la nouvelle orientation de l'église catholique pour des réformes sociales, économiques et politiques, vont pousser le mouvement anti-duvaliériste à manifester ouvertement leur opposition au régime jusqu'à provoquer sa chute le 7 février 1986.
1- Le contexte politico-social du pays au lendemain du départ de Duvalier
A la chute de Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986, environ 500 000 personnes se rassemblent spontanément devant le palais national à Port-au-Prince, et chantent l'espoir en la naissance de la démocratie. Après trente ans de dictature, l'euphorie est à son comble. Les Tontons macoutes sont pourchassés, lynchés et brûlés vifs, leurs locaux et résidences sont saccagés ou incendiés, la tombe de François Duvalier est profanée, les monuments qu'il avait érigés en symboles de son pouvoir (la statue en bronze du «marron» inconnu, le calvaire de Port-au-Prince) sont attaqués ; même la statue de Christophe Colomb est jetée à la mer. On semble chercher à revenir au degré zéro de l'histoire et effacer toutes les traces du despotisme. Un nom est donné à cette opération : dechoukage (ou déracinement). A la capitale comme dans les provinces, le peuple et l'armée fraternisent. Le gouvernement provisoire présidé par le général Namphy ne peut alors que composer avec les desiderata populaires ; le corps des Tontons macoutes est dissout officiellement, les procès des grands criminels du régime duvaliériste sont instaurés. L'ère des droits fondamentaux semble inaugurée ; les exilés politiques débarquent tous les jours et certains sont accueillis à l'aéroport par la foule en liesse. Or, la démocratie comme le souligne Hurbon L. [2001 pp. 65-66] allait s'installer avec un lourd héritage : d'abord celui d'une armée dont la plupart des hauts gradés ont fait leur allégeance à la dictature et puis celui d'une administration habituée à la corruption.
En effet, les revendications exprimées par la population, pendant les premiers mois qui ont suivi la chute de la dictature, tournaient autour de la lutte contre la corruption dans l'administration publique, le jugement des grands criminels et la récupération des deniers publics volés par Duvalier, ses ministres et les «macoutes», puis les élections libres organisées par une institution indépendante du gouvernement provisoire ou de l'armée. Toutes ces revendications semblent se fonder sur la perception du «macoutisme
5 » comme l'expression même du duvaliérisme et comme l'obstacle principal à l'établissement d'un Etat démocratique de droit en Haïti. Or, le gouvernement provisoire va s'attacher à éroder peu à peu cette perception pour établir un type de démocratie dans lequel duvaliéristes et «macoutes» conservent encore un rôle prééminent et, dans tous les cas, leur position traditionnelle. Pour réaliser cet objectif, le gouvernement devra à la fois gagner à sa cause les leaders des partis politiques de retour au pays au cours de l'année 1986, et maîtriser le mouvement populaire anti-duvaliériste qui a eu comme canal d'expression l'église catholique de 1980 à 1986. Mais les difficultés sont abruptes. Et sont de deux ordres : d'abord toute la presse ne cesse de donner la parole à tous les mouvements démocratiques, partis et organisations populaires, ensuite, la hiérarchie de l'église Catholique est impuissante
6 à contenir les masses catholiques des milieux populaires, qui jusqu'à présent à travers l'église prétendaient poursuivre la lutte contre les anciens «macoutes», et initier le procès télévisé de quelques grands criminels et bourreaux notoires.
Désemparé devant les multiples organisations qui naissent à travers le pays, syndicats, comités de quartier, mouvements de jeunes, associations socioprofessionnelles, et surtout regroupement des paysans (qui constituent encore environ 70% de la population), le gouvernement provisoire se hâte de se doter d'une assemblée constituante, élue seulement par 5 % de la population, grâce à un processus électoral bâclé. Cette assemblée, formée en grande partie de duvaliéristes, a été cependant infiltrée par des démocrates et a finalement produit une constitution dont les éléments essentiels et les axes expriment le refus le plus entier du duvaliérisme et la volonté d'établissement d'un Etat démocratique de droit. [Hurbon L. 2001, p 67].
Avec le vote massif de la Constitution le 29 mars 1987 par 99,8% de Oui, Haïti entre officiellement dans la transition démocratique. Ce passage de l'arbitraire à l'Etat de droit connaîtra un certain nombre de péripéties et enregistrer que des échecs. En effet, la première consultation électorale (novembre 1987) de l'ère démocratique en Haïti a avorté à la suite d'un massacre. Le pouvoir démocratiquement élu le 16 décembre 1990 et installé le 7 février 1991 a été brutalement renversé par le coup d'Etat sanglant du 30 septembre 1991. Le processus de transition démocratique de 1986 à 1994 est particulièrement marqué par la violence et l'impunité. Une période tissée de violences dont bon nombre d'acteurs sont présents et actifs encore sur le sol haïtien. Après le retour à l'ordre constitutionnel en octobre 1994, de nouvelles élections vont être organisées dans le pays. Les différents conflits et revendications suscités par ces élections permettent d'avancer, l'hypothèse que la transition démocratique en Haïti est un processus fragile et menacé par de multiples difficultés et incertitudes. Toutefois, il convient de vérifier la validité de cette hypothèse .
Dans la plupart des Etats intégrant le processus de démocratisation (1973 -1995), les élections jouent, par l'alternance et le pluralisme politique, un rôle fondamental dans la transition et la consolidation de la démocratie. En Haïti, par contre, les consultations électorales semblent être à la base de la longue et périlleuse transition de l'autoritarisme à la démocratie.
2- Objectif de l'étude
En choisissant comme thème de recherche «Les élections dans la transition démocratique en Haïti», l'objectif principal de cette recherche est d'analyser, à la lumière de la Constitution de 1987, le poids des élections dans le processus de transition vers la démocratie en Haïti.
3- La problématique des élections et de la transition démocratique en Haïti
La République d'Haïti est située entre 18o et 20o 6' de latitude Nord entre 71o 20' et 74o 30' de longitude Ouest et elle s'étend sur une superficie de 27 750 km2. Elle partage avec la République Dominicaine l'île d'Hispaniola qui est la deuxième plus grande île des Caraïbes. La population est estimée à 7,5 millions d'habitants environ, d'où une densité de 250 habitants par km2 ; Haïti est le pays le plus densément peuplé de la région Caraïbe.
Elle est le pays le plus pauvre des continents américains et l'un des pays les plus pauvres du monde. En 1987 7 , le revenu annuel par habitant était de 360 dollars US, il est passé en 1995 à 250 dollars US et est inférieur à celui de bon nombre de pays africains. Il est très inférieur au revenu annuel moyen de l'Amérique Latine qui est de US$ 3 320. En milieu rural, environ plus de 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. La pauvreté en Haïti est directement liée à la performance économique médiocre: le revenu par habitant n'a pas augmenté au cours des quatre dernières décennies mais il a baissé de 5,2% par an entre 1985 et 1995. Le phénomène de la pauvreté en Haïti se reflète dans ses indicateurs sociaux qui sont nettement inférieurs à ceux d'autres pays de la région [Banque Mondiale, août 1998].
On peut difficilement aborder l'examen du processus actuel de démocratisation en Haïti sans rappeler la toile de fond sur laquelle il se déroule. Economie délabrée et inégalités sociales criantes se conjuguent en effet pour compliquer la situation. Le taux de mortalité infantile est de 123%. On ne compte pas moins de 65% d'analphabètes, localisés pour la plupart dans le monde rural où réside encore environ 65% de la population totale. De 1950 à 1988, la production céréalière (riz, maïs, sorgho) n'a augmenté que de 8% alors que la population a doublé pour atteindre aujourd'hui près de 7 millions d'habitants. En 1986, la production alimentaire par tête d'habitant a décru de 13% par rapport à ce qu'elle était en 1979. La part de l'agriculture dans le produit national brut est passé de 44% en 1950 à 28% en 1988. Une crise sévit donc depuis près d'un demi-siècle dans le système agricole, en sorte que le pays connaît un exode rural qui alimente les Etats-Unis d'une main-d'oeuvre bon marché ; (le nombre d'haïtiens dans ce pays peut-être estimé entre 750 000 et 1 million, une vague de boat people a fait la une de la presse américaine de 1972 à 1994). En République Dominicaine, les pouvoirs publics tentent périodiquement de réduire par des expulsions massives ; le nombre d'haïtiens estimé à 500 000 ; la plupart d'entre eux sont attirée par la Zafra (saison de la coupe de canne), par l'agriculture en général et par le secteur du bâtiment. Enfin, le Canada, les Bahamas et les départements français de la Caraïbe (Guadeloupe, Martinique et Guyane) voient arriver beaucoup d'haïtiens.
Les industries d'assemblage qui avaient, pendant les années 1970-1980, employé environ 80 000 ouvriers ont fermé depuis 1986 et ne mobilisent plus que 30 000 ouvriers dont le salaire journalier n'excède pas 2 dollars US (transport, santé, pension, avantage social n'étant nullement assurés). L'insécurité et l'instabilité politique ont fait presque disparaître le tourisme qui pourtant, en 1981, rapportait 44 millions de dollars et atteignait le sommet de 339 000 visiteurs. Les rumeurs répandues aux Etats-Unis sur le taux d'Haïtiens atteints du sida (soit 10% de la population totale) ont évidemment dissuadé radicalement les touristes de s'approcher d'Haïti.
Ces éléments d'information renseignent déjà un peu sur la situation chaotique de l'économie haïtienne. Mais ce que tout observateur peut découvrir rapidement, c'est ce qu'on a appelé la pratique d'apartheid qui caractérise les rapports sociaux en Haïti. Environ 5% de la population, vivant notamment dans la capitale, disposent de 50% des richesses globales du pays et l'écart entre les salaires est de 1 à 176. Deux langues sont en vigueur, l'une, le français, parlé par moins de 10% de la population est la langue de l'école, de l'administration, du prestige et de l'écrit, alors que le créole, parlé par la totalité de la population, a encore du mal à s'imposer et est vécu comme signe d'analphabétisme et d'infériorité culturelle. La nouvelle constitution de 1987 reconnaît enfin le créole comme langue nationale, mais aucune politique n'est mise en place, du moins de façon visible, par le pouvoir exécutif pour lui permettre de se développer. Dans le même temps, face au catholicisme imposé par le concordat (de 1860) comme religion officielle, le culte du vodou passe pour être fortement implanté en milieu rural ou à la périphérie des villes. Ayant survécu dans une sorte de clandestinité après plusieurs vagues de persécutions par l'église, le vaudou demeure un culte encore vivace, et il est la matrice de tous les arts en Haïti (musique, danse, sculpture, littérature, etc.) [Hurbon L. 2001 p.128-130]
Les informations sur la précarité de l'économie et sur les inégalités sociales caractérisant le pays, poussent à croire que Haïti a été «dévasté» par de grands cataclysmes naturels ou par une longue période de guerre. Dans ce contexte, il convient de questionner l'histoire de la naissance de l'Etat haïtien à la dictature des Duvalier afin de dégager certains faits pouvant permettre de poser les questions fondamentales de cette recherche et d'élaborer des hypothèses de travail.
Haïti, connu sous le nom de Saint-Domingue durant les périodes coloniales, fut la colonie la plus prospère de la Caraïbe, l'une des plus grandes sources de richesses pour la France et assurait plus de la moitié du commerce extérieur de ce pays. Un français sur huit vit indirectement de Saint-Domingue qui fournissait 70% des revenus que la France tirait de ses possessions
8 au Nouveau Monde.
En effet, la révolution de Saint-Domingue, a mis face à face 35 000 Blancs et 400 000 esclaves noirs, alors que les affranchis (noirs et mulâtres) ne dépassant pas 50 000 se retrouvent tantôt alliés aux Blancs, tantôt alliés aux Noirs ; elle a conduit cette colonie à la construction d'un Etat haïtien. Il a fallu dans un premier temps pour la liberté un appel aux armes et une exhortation à la guerre. L'évocation du mot «liberté » n'était pas une déclaration des esclaves d'idéologie libérale, et ce mot n'était pas le fruit de hauts principes démocratiques sur la légitimité du gouvernement, les abus de la monarchie, les droits de l'homme ou les fondements de la nation, comme ce fut pour les pionniers de l'indépendance des Etats-Unis dans leur déclaration de 1776 ou ceux de la révolution française dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'exhortation du Bois Caïman (22 août 1791) assuma comme évident que les esclaves, en tant qu'êtres humains oppressés, avaient le droit inaliénable de s'opposer à leur condition «d'être la propriété», de renverser leurs oppresseurs, vils tyrans dont la soif insatiable de profits leur avait causé tant de souffrances. Leur exhortation n'était pas fondée sur des principes théoriques ou sur des discours d'économie politique de l'esclavage ; mais elle était imprégnée des réalités tangibles de la vie de travail dans les plantations. En ce sens, les esclaves n'avaient pas un concept politiquement formulé de restructuration de la colonie et de la société pour leurs propres intérêts, ni une définition des paramètres et des aboutissements de ce qu'ils étaient en train d'entreprendre. Leur perspective était la libération de l'esclavage, mais pas le «libéralisme bourgeois» ni même, en 1791, l'indépendance politique
9 [Fick Carolyn, 2000].
L'abolition de l'esclavage ratifiée par la Convention Nationale Française de 1794 créa à Saint-Domingue une société multiraciale et un principe égalitaire. Cependant, après la défaite des espagnols après quatre années de luttes face à Toussaint Louverture qui était commandant de l'armée française et après l'expulsion des forces expéditionnaires anglaises en 1798, la colonie française devenait le lieu d'une confrontation entre chacun des groupements raciaux
10 de Saint-Domingue.
En 1801, Toussaint Louverture promulgua une constitution qui le fit gouverneur à vie avec pleins pouvoirs de nommer son successeur. La première charte de l'Etat d'Haïti ne laisse aucune possibilité à un autre citoyen d'accéder à la gouvernance du pays, à moins qu'il soit un dauphin du général gouverneur. Si la constitution de 1801 laissa très peu de place à l'autorité française pour administrer la colonie, son nouvel ordre politique et social n'en laissa aucune à la masse de ses esclaves travailleurs [Hurbon, 2001].
La liberté, telle est la «devise » dans la construction de ce nouvel Etat. Mais pour la défendre, Toussaint Louverture avait besoin d'une structure gouvernementale forte, d'une armée puissante, bien rémunérée, bien disciplinée et par-dessus toute loyale. A cet effet, il lui fallait des revenus qui ne pouvaient être générés que par le maintien du système de vastes plantations pour la vente des produits à l'exportation. Donc les seuls moyens, de garantir la production et de restaurer l'économie étaient l'application d'un code de travail coercitif
11 et une supervision militaire. Ce renforcement du système des plantations véhiculé par les défenseurs de Toussaint, était de nature tyrannique. Son système politique et social pouvait être aussi bien dirigé par un représentant des élites mulâtres ou même par un colon Blanc.
En 1801, le dilemme était que la construction de cet Etat, comme moyen nécessaire pour consolider et défendre les acquis de la liberté, reposait déjà sur une opposition fondamentale entre les élites qui constitueraient l'Etat et la masse des travailleurs agricoles c'est-à-dire la base de la nation naissante. La structure de base de l'Etat haïtien, après l'indépendance en 1804, se met en place avec la militarisation de l'Etat et de l'agriculture (le caporalisme agraire) et la plus grande masse des travailleurs complètement aliénés qui avaient peu d'espoir d'obtenir un jour la liberté et de posséder leurs propres parcelles de terre. Comme le souligne Trouillot
12 , le plus grand paradoxe était que : «L'Etat et la nation se dessinaient en même temps comme parties d'un même processus révolutionnaire, mais allaient dans des directions opposées. L'Etat et la nation avaient une idéologie commune qui était la liberté, mais la nation mesurait sa liberté à l'aune des marchés du dimanche et du droit de travailler ses jardins potagers tandis que, d'un autre côté, le parti de Louverture, embryon de l'Etat et en défenseur farouche de cette même liberté, était fermement ancré dans le système de plantation».
Les structures politiques et économiques de l'Etat se trouvaient ainsi constitutionnalisées, renforcées, légitimées et par-dessus toutes militarisées sous Dessalines, premier dirigeant de Haïti indépendant (1804-1806), dont le souci était néanmoins de défendre à n'importe quel prix la précarité de leur indépendance. La politique de réforme agraire, amorcée par Dessalines, a conduit à son assassinat, deux ans après l'indépendance, puis à une lutte acharnée pour le pouvoir. Le territoire national très exigu (27 750km2) est divisé en quatre Etats : l'Etat du Nord avec le Roi Christophe (1807-1820), celui de l'Ouest avec le Président Alexandre Pétion (1807-1820), l'Etat éphémère du Sud, avec le président André Rigaud et celui de la Grand'Anse (sud-ouest) sous le contrôle de Jean-Baptiste Goman (1807-1820).
En 1820, le président Boyer parvient à pacifier le pays et à restituer un Etat unique, dont le territoire augmente avec l'annexion, en 1822, de la partie orientale, l'actuelle République dominicaine. Cette situation perdurera jusqu'en 1844. Aux prix du sang de l'indépendance s'est ajouté celui de la rançon exigée par la France, pour la reconnaissance de l'indépendance. En 1825 le président Boyer accepte de payer à la France une indemnité de 150 millions de francs or, soit l'équivalent du budget annuel de la France de l'époque. Le pays a aussi été endetté pour tout le XIXe et la moitié du XXe. Rien d'étonnant à ce que des troubles socio-politiques et des soulèvements armés aboutissent au renversement du gouvernement de Boyer en 1843. Et provoquèrent «la crise de 1843» et une période d'instabilité entre 1843-1847 d'où une junte provisoire et quatre présidents se succèdent avant l'établissement du régime de Faustin Soulouque (Président de 1847-1849 et empereur de 1849-1858).
La fin tumultueuse de la présidence du général Nicolas Geffrard (1859-1867) a donné naissance à celle de Sylvain Salnave (1867-1869), qui fut troublée d'une part par trois (3) ans de guerre civile et d'autre part par la division du pays en trois Etats pour la deuxième fois en 1868. L'exécution du Président Salnave par ses ennemis politiques en 1870 a mis un terme à la crise mais a coûté au pays une perte de 200 millions de piastres. Et aussi une perte de 800 à 900 millions de piastres, lors d'une seconde guerre civile qui éclata entre la bourgeoisie libérale et le régime du présiden Lysius Salomon (1883-1884).
L'atmosphère d'agitation permanente, d'ingouvernabilité, d'anarchie et de guerre civile (1911-1915), au cours de laquelle six présidents se succèdent, donne l'occasion aux Etats-Unis de concrétiser un projet
13 programmé depuis la fin du XIXe siècle. 1915-1934 marque la période de l'occupation américaine d'Haïti. Cependant la fin de cette période d'occupation n'affectera en rien le système politique et administratif façonné par les Etats-Unis et ce n'est que 12 ans après, que le président Lescot sera contraint de démissionner en 1946 par la mobilisation de la jeunesse estudiantine. Le pouvoir est assumé par un comité militaire de trois membres qui organise des élections législatives desquelles est élu le président Estimé de manière indirecte (par le parlement) le 16 août 1946.
La constitution de 1950, prévoit pour la première fois l'élection du président au suffrage universel direct et le droit de vote des femmes. Cet élargissement de la participation civique met fin aux habitudes et aux manoeuvres discrètes des élites dirigeantes. Les tensions socio-politiques parviennent à un point tel que, de décembre 1956 à 1957 quatre gouvernements provisoires essaient en vain de trouver une formule qui pourrait satisfaire les revendications des citoyens en faveur des élections «libres, impartiales, et démocratiques».
La situation de crise aiguë que connaît le pays telle : les revendications sociales, la mobilisation populaire, le choc des intérêts et la lutte pour le pouvoir affaiblissent les 'institutions' de la démocratie représentative et le système politique implanté par les Etats-Unis. Le général Kébreau, face à cette situation chaotique, réalise le 15 juin 1957 le coup d'Etat contre le leader charismatique Fignolé, président provisoire ; il organise d'une main de fer, les élections présidentielles du 22 septembre de la même année au bénéfice de François Duvalier. Avec l'utilisation de la violence aveugle, des méthodes de répression devenues légendaires, la dictature des Duvalier s'est révélé la plus féroce d'Amérique Latine et des Caraïbes. Avant de mourir, en 1971 il désigne son fils Jean-Claude âgé de dix-neuf ans pour le remplacer; il sera renversé en 1986 par un large mouvement populaire appuyé par une partie notable du Clergé catholique. Le 29 mars 1987, Le peuple haïtien a approuvé la constitution de 1987 sur le mode mineur et émotionnel parce qu'il appuyait la sanction de l'article 291
14 qui frappait les duvaliéristes et, de manière plus imprudente, parce qu'elle consacrait les espérances de 1986
15 .
L'article 291, élément non négligeable dans la motivation citoyenne pour la première consultation électorale démocratique de 1987, semble être la première explication possible au massacre du 29 novembre 1987 orchestré par les duvaliéristes avec la complicité du Conseil National de Gouvernement (CNG). En effet, la première consultation électorale (novembre 1987) de l'ère démocratique en Haïti, opposant les conservateurs (les Forces Armées d'Haïti et les duvaliéristes) et le Front National de Concertation (FNC), qui regroupait 57 organisations socio-politiques, et les autres partis politiques s'est transformé en un massacre. Cette mise en garde contre l'apprentissage démocratique semble favoriser un retour à ce que Hobbes appelle «l'Etat de nature
16 » caractérisé par des gouvernements militaires successifs.
Le système politique où l'armée est source de pouvoir est formellement et réellement inégalitaire, écrit [Lahouari Addi,1999 p.225], et ne peut fonctionner avec un minimum de paix civile que s'il se structure autour d'une personnalité charismatique dans laquelle se projettent les membres de la communauté nationale. Cette approche théorique a de 1990 à 2002 ouvert un champ d'application en Haïti avec l'élection du Père Aristide à la présidence de la République. La praxis des fidèles d'obéir à leur directeur spirituel peut néanmoins orienter le concept de «paix civile» avancé par Lahouari Addi vers celui de domination et plus particulièrement vers le concept de «domination charismatique» souligné par Max Weber
17 [1995]. Faudra-t-il souligner dans le cas haïtien l'habitude développée dans le pays à savoir celle d'identifier les dirigeants en termes familiers et même familiaux :
«Papa Pétion» dont on rapporte que la nation avait pleuré la mort, «Tonton Nord (Oncle Nord)», «Papa Vincent», «Papa Doc» et jusqu'aux récents surnoms de «Titime» (Estimé), «Titide» (Aristide) ?
On ne peut penser que de telles pratiques visent à réduire psychologiquement la distance que l'exercice du pouvoir établit normalement entre les citoyens et leurs dirigeants ; elles traduisent aussi une sorte d'infantilisation de la population en vue de sa domination. Dans les structures où le fait démocratique connaît une transition assez longue, de telles pratiques peuvent entraver la consolidation de la démocratie en favorisant l'établissement d'un climat de conflit social entre la population et les autres forces politiques d'idéologie différente qui s'opposeraient aux idéaux du dirigeant charismatique.
Le retour à l'ordre constitutionnel en octobre 1994 - consécutif à la démobilisation de l'armée - offre de nouveaux champs d'application à l'établissement définitif de la démocratie en Haïti. La démocratie impose «l'autorité de la loi plutôt que celles des hommes. Les dirigeants démocratiquement élus doivent perdre l'habitude de se placer au-dessus de la loi
18 . Mais quelles sortes de transgressions de la loi sont suffisamment sérieuses pour que l'on s'inquiète de la santé démocratique d'un régime ? Assurément, toute transgression commise ouvertement, de manière répétée et à l'abri de poursuites judiciaires» [Schelder A. 2001 p.230]
En effet, chaque élection réalisée dans le pays se fait sous la direction d'un nouveau conseil électoral provisoire. Car si l'on se réfère aux dispositions transitoires de la loi mère, toutes les élections qui ont succédé la consultation électorale de 1987 devraient être réalisées sous la direction d'un conseil électoral permanent. La seule institution, qui devait assurer depuis 1988 la direction et la gestion des élections haïtiennes, et dont l'absence volontaire ou involontaire semble devenue aujourd'hui une entrave à la cohésion sociale. En Haïti, le seul moyen pour un pouvoir d'être à l'abri de poursuites judiciaires est le contrôle du parlement. La mise en accusation du Président de la République, du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d'Etat et d'autres dignitaires de l'Etat pour crimes de haute trahison ou tous autres crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, ne peut être prononcée que par la chambre des députés à la majorité absolue des deux tiers de ses membres ; et seul le sénat peut s'ériger en Haute Cour de Justice
19 , jusqu'au prononcé de la décision. De ce fait, on peut avancer sous la base d'hypothèse à vérifier que toute la problématique posée par les élections de 2000 dans la transition démocratique en Haïti se trouve installée dans un esprit de contourner les prescrits de la constitution, par l'occupation de tous les espaces du pouvoir.
Pour qu'une démocratie se consolide, plusieurs chercheurs posent la nécessité de l'existence d'un large consensus démocratique, au sein duquel : «tous les groupes politiques importants ... adhèrent aux règles du jeu démocratique
20 », «aucun acteur national, social, économique, politique ou institutionnel n'investit des ressources significatives en vue de créer un régime non démocratique répondant à ses objectifs
21 »
, «aucun des acteurs collectifs ne remet en question la légitimité des institutions démocratiques
22 »
, «personne ne peut [même] imaginer agir en dehors du cadre des institutions démocratiques
23 »
En Haïti, le consensus démocratique entre le pouvoir, les différents partis politiques et l'élite dirigeante se fait uniquement au moment de la formation des conseils électoraux provisoires. Une fois que les forces politiques en présence se sont mises d'accord sur la formation du conseil, le pouvoir reprend son caractère privé et ne défend que les intérêts du groupe qui le constitue. Les élections de 1995 résultant de la fin du mandat des députés de la 45ème Législature, de 18 sénateurs, des maires et Conseillers des sections Communales (2192 postes électifs) se sont déroulées sous le signe de ce qu'on pourrait appeler «un consensus démocratique». Cependant, le contrôle excessif exercé par le président et ses proches collaborateurs entraîne un malaise au sein même de la coalition Lavalas, occasionnant des maladresses du pouvoir Exécutif qui provoqueront entre autres le rejet des élections du 25 juin 1995 par l'opposition et le boycott du second tour, réalisé le 17 septembre de la même année.
Les élections du 6 avril 1997, en plus du renouvellement du tiers du sénat (9 sénateurs) et de deux députés, permettraient la constitution des 556 Assemblées des Sections Communales, des 133 Assemblées et des 9 Assemblées Départementales ainsi que la constitution du Conseil Interdépartemental et du Conseil Electoral Permanent (CEP). L'abstention de l'opposition va mettre face à face les deux principales organisations du mouvement Lavalas ; l'Organisation Politique Lavalas (O.P.L.) et La famille Lavalas (F.L.) Ce processus électoral donna lieu aussi à une crise de régime et de gouvernabilité.
Le 21 mai 2000, les élections qui devraient élire 83 députés, 17 sénateurs et l'ensemble des membres constituant les pouvoirs locaux au niveau national, sont gagnées par le parti au pouvoir à la majorité absolue mais elles sont contestées par l'opposition. La Mission d'Observation Electorale de l'Organisation des Etats Américains (OEA), sans invalider les élections a mis en cause la méthodologie employée par le Conseil Electoral Provisoire (version 1999) pour déterminer les pourcentages de vote provoquant ainsi une crise à la fois sociale, politique, et économique assez importante.
Malgré la demande de la résolution de la crise électorale du 21 mai par la Communauté Internationale, les élections sénatoriales et présidentielles de novembre 2000 ont été boycottées par l'opposition et remportées à la majorité absolue par le parti au pouvoir. Ces transgressions répétées
24 vont une fois encore aggraver la crise jusqu'à provoquer un blocage des fonds alloués à Haïti par le Fonds Monétaire Internationale (FMI), la Banque Mondiale et les coopérations bilatérales car comme le souligne Schelder, elles peuvent «porter atteinte à la santé de la démocratie»
La grande aventure démocratique
25 , souligne Simone Goyard-Fabre «
est lourde à assumer». La transition vers un régime démocratique est un processus long et incertain. Les soubresauts qu'a connus la France aux XIXe et XXe siècles le démontrent amplement. Les changements institutionnels - souvent accomplis dans la violence - n'ont que graduellement et difficilement enraciné la République. L'enracinement de la République Française n'a été possible que par un travail long, profond et volontariste portant sur les mécanismes institutionnels bien sûr, mais aussi sur l'éducation (les lois scolaires de la IIIe République).
L'apprentissage de la démocratie
26 semble exiger une prise en charge de l'avenir par la mise en place d'institutions devant assurer la pérennité du fait démocratique. La décision finale de la Cour Suprême des Etats-Unis aux conflits opposant les partis républicain et démocrate sur les élections présidentielles de novembre 2000 et l'acceptation par les candidats Bush et Gore de cette décision est l'un des plus grands exemples sur le rôle des institutions dans le jeu démocratique.
L'inexistence de véritables institutions démocratiques, l'utilisation de la violence, le rejet des élections, la transgression de l'autorité, l'échec des différentes missions de négociation entreprises depuis juillet 2000 par l'O.E.A., la CARICOM et la société civile haïtienne dans les conflits opposant le parti au pouvoir et la coalition des principaux partis d'opposition, et la permanence de la crise politique qui en découle, nous conduisent à nous poser la question de suivante : Y a-t-il une transition démocratique en Haïti ?
4- Les hypothèses de travail
Dans la perspective d'apporter des éléments de réponse à cette question principale de recherche, trois hypothèses de travail sont postulées :
La longue et périlleuse transition démocratique que connaît la République d'Haïti sont due à l'inadéquation existant entre le caractère trop démocratique de la Constitution de 1987 et la précarité des conditions socio-économiques du pays.
Le non-respect des règles démocratiques par les hommes politiques haïtiens est intimement lié à l'esprit de domestication de la population qui résulte à la fois de l'héritage colonial (le système esclavagiste) et du maintien de l'analphabétisme.
Les conflits, résultant des différentes élections réalisées après le retour à l'ordre constitutionnel en octobre 1994, sont intimement liés au poids des traditions et de la culture politique qui pèsent sur les idées et les comportements des acteurs.
5- Méthodologie
Le passage de l'autoritarisme à la démocratie fait l'objet d'études de nombreux chercheurs de diverses branches des sciences sociales. Cette abondante littérature sur les processus de transition, est à la fois utile et nécessaire pour la mise en relief des traits généraux et particularités marquant les différents mouvements de changement politique de la fin du 20ème siècle. Dans le cadre de cette étude sur les élections dans la transition démocratique en Haïti, on retiendra en particulier, les travaux de Juan Linz, de Guillermo O'Donnel, de Phillipe C. Schmitter, de Leonardo Morlino, d'Adam Przeworski et samuel P. Huntington sur les concepts de transition et de consolidation de la démocratie, ainsi que ceux des auteurs haïtiens comme Claude Moïse, Laënnec Hurbon, Leslie F. Manigat, Gérard Pierre-Charles, Sauveur Pierre Etienne, Kern Delince, etc., sur la chute du régime des Duvalier, le poids de l'histoire dans les processus de libéralisation politique en Haïti, les obstacles à la construction de la démocratie dans ce pays ainsi que certaines références telles que : la constitution de 1987, les décrets et lois électorales et les documents et rapports.
Cette étude se limite à la période allant de 1986 - 2000. Considérant les objectifs et les hypothèses sur lesquels se fonde cette recherche, l'analyse documentaire est l'outil spécifique qui sera mise en oeuvre pour la vérification des hypothèses et l'explication de certains faits sociaux et politiques de la période retenue. D'autres exemples de transition de l'autoritarisme à la démocratie concernant l'Uruguay, le Chili et les Philippines seront considérés. De plus des éléments historiques supplémentaires seront ajoutés dans le souci de questionner d'un point de vue scientifique, la sociologie politique rattachée à la longue transition démocratique d'Haïti.
La révision de ces éléments historiques permettra de comprendre les attitudes, les opinions, les traits de personnalité et typologies des acteurs politiques haïtiens (gouvernement - opposition) dans la gestion des conflits électoraux et de dégager en même temps leurs objectifs politiques dans le processus analysé.
Le travail de recherche comporte deux étapes fondamentales premièrement la compilation des informations provenant des sources et deuxièmement l'analyse et l'interprétation de ces données. La fin de ces deux étapes permettra de contribuer à l'explication de l'objet de cette étude. Un parallèle entre la constitution et les différentes élections sera établi. Une présentation et une analyse de quelques voies de la démocratie et de la non-démocratie en Haïti seront mises en regard.
En ce sens, la recherche se caractérisera par une synthèse des travaux spécifiques sur la réalité haïtienne et en particulier de ceux se rapportant à la dernière période de la modernisation politique.
6- Structuration de l'étude
Cette partie se divise en deux chapitres :
Le chapitre I : «Synthèse de la littérature sur la transitologie ». Dans ce chapitre, on tentera de faire une synthèse des différentes approches théoriques sur la transition démocratique en prenant appui sur l'analyse des études de cas réalisées sur certains pays ayant servi d'objet de recherche pour les nouveaux champs scientifiques de la politique comparée.
Le chapitre II : «Les élections en Haïti ». Dans ce chapitre, on se propose d'analyser, à la lumière des théories sur le rôle des élections dans un système politique de nature démocratique, les forces et faiblesses des élections les plus pertinentes organisées en Haïti après le 7 février 1986. Etant donné que ces élections donnent le plus souvent naissance à une crise post-électorale, on tentera d'étendre l'analyse aux modalités réelles de leur réalisation en questionnant le rapport politique existant entre la démocratie et les négations lequel devrait aboutir à la consolidation de la démocratie en Haïti.
Pour finir nous présentons une conclusion générale pour l'ensemble de l'étude.
Chapitre I - La littérature transitologique et le cas haïtien
I- Les cadres conceptuels de la transitologie
Le processus de démocratisation (1973 -1995) a donné naissance à deux nouveaux champs scientifiques dans le domaine de la politique comparée celui de «la transitologie démocratique» et celui de «la consolidologie démocratique». En effet, pendant les années 70 et 80, la déroute des régimes autoritaires en Amérique latine, en Europe du Sud et en Europe de l'Est a été à la source d'innombrables travaux qui ont repensé la démocratie et qui se sont intéréssés aux processus des transitions. Ces processus, tous issus de la troisième vague de démocratisation qui a commencé en 1974, permettaient de dégager certaines lois pouvant s'appliquer à l'ensemble des pays les ayant traversés. Les transitions démocratiques, plus ou moins réussies, d'un grand nombre de pays pendant les années 90, ont ouvert la voie à d'autres interrogations désormais centrées sur le processus politique qui commence à partir des premières élections post-autoritaires, celles que O'Donnel et Schmitter ont appelé «fondationnelles» [Ducatenzeiler, 2001 pp.191-198].
Comme dans toutes les études axées sur la démocratie, celles portant sur la transition et la consolidation doivent faire face à de nombreuses difficultés analytiques et méthodologiques, qui ne sont pas étrangères aux différentes conceptions de la démocratie elle-même. Dans le cadre de cette étude, on tentera de définir la transition comme étant l'ensemble des processus débouchant sur le passage de l'autoritarisme à la démocratie. Nous nous appuierons sur le fait que la démocratie est une variable dépendante d'élections libres et honnêtes. Cette approche permet à priori d'avancer, en prenant pour hypothèses (lesquelles restent à vérifier) que toutes les transitions commencent par l'élaboration des nouvelles législations, par la mise en place des structures «démocratiques» et qu'elles prennent fin avec les premières élections post-autoritaires. En effet, le concept «élection» évoque en général le symbole même de la démocratie pluraliste [Hermet, 1978, p. 21]. Cette idée symbolique des élections se retrouve également dans l'oeuvre de Samuel P. Huntington et Moore [1970, p.509] pour lesquels la «démocratie existe là où les principaux dirigeants du système politique sont choisis grâce à des élections concurrentielles auxquelles le gros de la population peut participer. Cette ouverture sur «le rôle» de l'alternance dans le jeu des acteurs politiques permet de définir le passage de l'autoritarisme comme un processus visant l'élaboration de nouvelles règles politiques permettant à toute la population d'un pays de participer librement à l'édification et à la stabilisation des structures du nouveau régime politique.
Prendre comme point de départ l'élaboration de nouvelles règles politiques implique un certain nombre de conséquences : étant donné leur validité limitée et leur relative contingence, ces règles doivent être par la suite «consolidées» pour qu'elles deviennent la « règle du jeu » (the only game in town) [Guilhot et Schmitter, 2000, p. 619]. En d'autres termes, l'émergence de nouveaux arrangements politiques ne suffit pas à déclarer clos le processus de changement de régime. Ce processus reste «virtuel» jusqu'à ce que les règles autour desquelles un accord limité s'est constitué deviennent l'unique référent des comportements politiques. Cette perspective diffère assez radicalement de celle proposée par les théories de la modernisation. En effet, ces théories peuvent conceptualiser l'institution d'une forme d'organisation politique particulière indépendamment de son émergence. Car elles ancrent les régimes politiques dans des structures socio-économiques, et ces régimes sont pour ainsi dire pré-institutionnalisés. Leur émergence n'est que la manifestation visible et formelle d'une transformation préalable des habitudes, des mentalités et des comportements sociaux, et cette transformation ne se traduit pas par un arrangement politique approprié. Dans cette perspective, la question de la stabilisation d'un régime politique ne se pose pas. En revanche, adopter le point de vue de la «transitologie» implique nécessairement un traitement en deux temps, au sens où le premier prévaut sur les configurations concrètes, l'idéal type sur sa réalisation dans un ensemble concret d'institutions et le second est entièrement articulé autour de la question de l'institutionnalisation des nouvelles règles du jeu politique [Guilhot et Schmitter, 2000, p. 619]. C'est cela qui est en jeu dans le concept de la consolidation.
L'objet de la «consolidation» n'est plus le changement de la nature des régimes politiques, mais le degré d'institutionnalisation des règles les définissant. Les théories de la consolidation tendent, par conséquent, à privilégier l'étude du «consensus social» [Ethier, 1990, p.3] qui se forme premièrement autour des nouvelles ressources institutionnelles et procédurales - d'abord au niveau d'une élite et ensuite de l'ensemble des citoyens. Deuxièmement, ces théories voient dans ce consensus non pas l'agrégation d'une multitude de choix (à travers lesquels les acteurs politiques accepteraient les nouvelles règles), mais un effet engendré par l'existence même de nouvelles règles et institutions [Guilhot et Schmitter, 2000, p. 619].
La transition et la consolidation de la démocratie s'oppose l'une à l'autre : une théorie du changement et une théorie de l'ordre. Ce sont d'abord les acteurs qui font les institutions (transition) et ensuite les institutions qui font les acteurs (consolidation).Tandis que la transition présuppose un degré d'incertitude élevé par des nouvelles règles que sont les «choix » stratégiques des acteurs, la consolidation restreint l'éventail des choix possibles et redonne aux facteurs structurels et institutionnels un pouvoir explicatif. Selon Schmitter. Ph. C. Le concept de consolidation inverse complètement le système de causalité mis en oeuvre dans l'analyse des transitions en permutant les variables dépendantes et indépendantes. Le tableau 1 présente un schéma explicatif de la transition et de la consolidation de la démocratie.
Tableau 1 : Schéma explicatif de la transition et de la consolidation |
| Transition | Consolidation |
Variable indépendante | Choix | Règles |
Variable dépendante | Règles | Comportements |
Acteurs concernés | Elite restreinte | Elite élargie (partis politiques,Intermédiaires, etc., ou ensemble des citoyens |
Le changement de perspective qui s'attache à l'étude de la consolidation des régimes marque en effet, le passage à une théorie de l'ordre ou de la stabilité. En premier lieu, les règles du jeu politique ne sont plus perçues comme les résultantes de processus sociaux ou politiques, mais comme des données. En second lieu, le principal défaut du processus de consolidation est qu'il empêche dans une large mesure de considérer une ultérieure démocratisation des nouveaux régimes. La difficulté de réconcilier l'idée de consolidation avec celle d'une démocratisation ultérieure est une conséquence directe de son statut épistémologique. Samuel Huntington (1968), in Political Order and Changing Societies, élabore une critique des théories de la modernisation. «Ce processus de modernisation, dit-il, induit certainement une différenciation fonctionnelle des sociétés qui fait éclater les formes traditionnelles d'organisation politique. Contrairement à ce que présupposent les théories de la modernisation les plus courantes, ce processus ne conduit pas automatiquement à une forme stable d'organisation politique et encore moins à une forme démocratique».
L'analyse de certains faits observés en Haïti : l'avortement des premières élections post-autoritaires de novembre 1987, les différentes dictatures militaires de la période 1986 - 1991, le coup d'état sanglant de 1991, l'intervention de puissances militaires étrangères pour le rétablissement de la démocratie, l'absence en 2002 des institutions prévues par la Constitution de 1987 et les différentes crises post-électorales de 1995-2000, laissent croire que les règles du jeu démocratique haïtien ne sont pas encore bien installées dans l'espace politique de ce pays. L'absence d'un nouveau pacte social rend difficile l'étude d'un «consensus socio-politique», ce qui ne permet pas aujourd'hui de considérer une analyse théorique sur l'applicabilité de la «consolidation de la démocratie» au cas haïtien.
Dans ce chapitre, on tentera de faire une synthèse des différentes approches théoriques de la transition démocratique en prenant appui sur l'analyse des études de cas réalisées sur certains pays ayant servi d'objet de recherche de ce nouveau champ scientifique de la politique comparée.
1.1- Perspectives analytiques des transitions
Le concept de la transition et du changement politique a été grandement analysé par les politologues durant les trente dernières années et a donné lieu à une prolifération d'ouvrages relatifs au cas des pays de l'Europe du Sud, d'Amérique latine et de l'Europe orientale. Le rappel des thèses émises par ces analystes semble être très important pour la validation de cette étude.
1.1.1- Le concept de la transition selon Guilhot et Schmitter
Le changement des procédures politiques au cours d'une période couvrant l'effacement d'un régime autocratique et les efforts pour implanter une démocratie constituent l'objet de la «transitologie». Le concept de transition, dans sa définition canonique, désigne «l'intervalle entre un régime politique et un autre [O'Donnell et Schmitter, 1986, p.6]. Cela signifie, en premier lieu, que la transition définit un laps de temps délimité à chaque extrémité par l'existence d'un régime politique présumé stable. Cette période est une sorte d'interrègne qui ne se laisse pas définir par des procédures, des normes et des conduites prévisibles, mais plutôt par des conflits portant sur la nature et la forme des premières, et sur l'impact qu'elles auront sur les secondes. Les transitions, par conséquent, se laissent mieux saisir comme des situations politiques «sous-déterminées» où l'absence de règles claires et les conflits opposant différents acteurs sur la nature de ces règles rendent les évolutions politiques extrêmement imprévisibles». C'est là l'hypothèse centrale de la littérature sur les transitions qui a constamment souligné le degré élevé d'incertitude caractérisant ces conjonctures [ibid. pp.3-66]. Les transitions apparaissent ainsi comme des situations historiques ouvertes, des «conjonctures critiques» au cours desquelles la nature et la direction du changement dépend en premier lieu des stratégies politiques adoptées par les divers groupes d'acteurs impliqués dans ce processus. Les rapports de force, relativement peu contraints par les routines et les contextes institutionnels, deviennent le véritable moteur du changement, à un moment où il est par ailleurs singulièrement difficile d'évaluer les forces en présence. Les transitions sont aussi - cela va sans dire - des périodes au cours desquelles les combinaisons sont souvent fortuites et où beaucoup d'erreurs peuvent être commises [Collier et Collier, 1991, pp. 29-31].
Le concept de transition met en relief la nature des régimes politiques, au sens où il formalise le changement politique sur la base des procédures définissant des types génériques de régimes - démocraties, autocraties, democraduras, dictablandas, bureaucraties autoritaires, etc. De ce point de vue, le type générique prévaut sur les configurations concrètes, l'idéal type sur sa réalisation dans un ensemble concret d'institutions.
Mais la «transitologie» n'a pas pour seul objet les attributs procéduraux des régimes émergents. Elle accorde une place centrale à leur émergence elle-même, au processus à travers lequel les nouvelles règles du jeu politique sont produites et acceptées avant de pouvoir donner lieu à un nouvel ordre politique. En ce sens, il s'agit inévitablement d'un type d'analyse centré sur l'acteur, où les configurations politiques produites dépendent avant tout des stratégies mises en oeuvre par un nombre limité d'acteurs et de leurs interactions contingentes - acteurs qui, répétons-le, sont à ce moment-là incertains de ce qu'ils font et des appuis qu'ils peuvent espérer. La place centrale de l'acteur est certainement ce qui définit l'analyse des transitions. Quant à savoir si leurs interactions peuvent être «modélisées» à partir d'un certain nombre d'hypothèses générales [Colomer, 1991], de «jeux» stylisés et d'axiomes a-historiques tels qu'ils sont aujourd'hui utilisés dans les théories du choix rationnel [Geddes, 1996], ou si, au contraire, il faut insister sur leur contingence et sur leur ancrage dans des contextes spécifiques [O'Donnell et Schmitter, 1986 ; Linz et Stephan, 1996], cela reste un sujet de débats [Guilhot et Schmitter, 2000, pp. 618-619].
1.1.2- La conception de Morlino
L'objet du changement, souligne Leonardo Morlino, n'est pas le système politique mais le régime. Pour lui, la transition de régime comporte un changement fondamental impliquant toujours le passage d'un régime à un autre dont les caractéristiques essentielles sont manifestement différentes. Posant ainsi le problème de la transition, Morlino indique avec précision le degré (ou seuil) et les modalités du changement.
Pour Morlino, un changement à petits pas, étalé dans le temps, n'est pas fondamental et ne suppose aucune transition mais admet qu'un ensemble de changements graduels peut être considéré comme le seuil à un changement fondamental. Ce seuil se résume à la dynamique du changement, c'est à dire la façon dont s'est déroulé le processus de changement.
Morlino distingue quatre modalités importantes qui peuvent se superposer ou s'imbriquer selon chaque cas dans une transition de régime à un autre.
- a) Modalité : continu/discontinu
- b) accéléré/lent
- c) pacifique/violent
- d) interne/externe
a) continu/discontinu
Les caractères de continuité sont évidents dans la transition d'un régime quand le changement résulte d'un processus d'adaptation incessant face à un changement de conditions externes d'ordre social économique ou culturel et jusqu'à dépasser un seuil de transformations au-delà duquel le régime est déjà différent du précédent. Un changement par adaptation est souvent graduel et peu clair et il deviendra fondamental seulement après qu'une série de petits changements aient conduit le régime à franchir ce seuil. Ainsi, la transition continue se produit beaucoup plus rarement que la transformation discontinue qui est beaucoup plus fréquente du fait que le changement survient à partir d'une rupture par rapport aux règles et aux structures d'autorité du régime précédent.
b) Changement accéléré/lent
Cet aspect du processus de transition se réfère à l'intervalle de temps entre les deux régimes et il prend en compte la lenteur ou la vitesse à laquelle se produisent les évènements. Par contre, le rythme du changement dépend en grande partie du degré de développement politique et socio-économique du régime.
c) Changement pacifique /violent
Du point de vue des modalités, l'auteur estime que cet aspect du processus de transition peut être probablement considéré comme étant le plus important. En effet nous avons pu remarquer que certaines formes de violence conduisent le plus souvent à un changement fondamental. Et de ce fait, le nouveau régime a plus de chance d'être moins différend du précédent.
d) Changement d'origine interne et externe
Cet aspect du processus de transition se réfère à la localisation et au poids des acteurs ou facteurs qui sont à l'origine du processus de changement. La transition d'origine interne résulte des actes provenant de la communauté politique ou des changements antérieurs survenus dans le système économique ou social. Ces actes peuvent être le résultat d'une volonté délibérée de ceux qui détiennent «les leviers du pouvoir» en vue de se libérer du carcan de la légalité constitutionnelle ou la conséquence de l'échec économique cuisant, qui provoque des mobilisations, des émeutes populaires etc. Cependant, le changement d'origine externe peut être de types divers. Par exemple nous pouvons citer les pressions internationales, la défaite militaire, l'intervention militaire d'une puissance étrangère, une coalition de puissances étrangères ou une institution internationale habilitée en la matière. L'objectif de cette troisième éventualité, est de trois ordres : le maintien de l'ancien régime, sa disparition ou la création d'un nouveau régime. Ces changements ne peuvent donner naissance qu'à un régime formellement indépendant semblable à ceux qu'on appelle régimes-fantoches ou à un régime à semi-souveraineté ou enfin à un régime réellement indépendant.
1.1.3- La thèse de Przeworski
La désintégration du régime autoritaire qui prend souvent la forme d'une «libéralisation» et l'instauration des institutions démocratiques constituent les deux processus simultanés de la transition d'un régime autoritaire à un système démocratique. Cependant, le problème stratégique d'une transition, d'après Przeworski, consiste à obtenir la démocratie sans violence politique ou économique. En ce sens, l'auteur pense que la destination finale du changement vers la démocratie dépend grandement de la voie empruntée pour l'atteindre.
Sachant que l'effondrement d'un régime ne conduit pas nécessairement à l'instauration de la démocratie et considérant les objectifs et ressources des forces politiques concrètes et la structure des conflits auxquels elles font face, Przeworski établit un éventail de cinq résultats possibles :
La structure des conflits est d'une telle complexité qu'aucun type d'institutions démocratiques ne peut durer et les forces politiques finissent par se battre pour l'instauration d'une nouvelle dictature.
La structure des conflits est telle qu'aucun type d'institutions démocratiques ne peut durer mais les forces démocratiques se mettent d'accord pour adopter la démocratie comme solution transitoire.
La structure des conflits est telle que certaines institutions démocratiques pourraient être durables si elles étaient adoptées, mais les forces démocratiques en conflit luttent pour établir une dictature.
La structure des conflits est telle que certaines institutions démocratiques pourraient être durables si elles étaient adoptées, mais les forces démocratiques en conflit décident d'établir un cadre institutionnel qui ne peut pas durer.
La structure des conflits est telle que certaines institutions démocratiques peuvent être durables dans le cas où elles sont adaptées.
Pour Przeworski, il existe plusieurs phases successives dans ces processus de transition : la phase de libéralisation du régime autoritaire, la phase de démocratisation ou de transition dans un sens étroit et une troisième phase de consolidation, dans laquelle doivent s'institutionnaliser certains traits fondamentaux (l'institutionnalisation des conflits économiques, l'imposition du contrôle des responsables politiques sur les forces armées etc.)
1.1.4- La thèse d'Odonnell et Schmitter
Pour O'Donnell et Schmitter le processus de transition est «l'intervalle qui s'étend entre un régime politique et un autre» c'est-à-dire qu'il signifie en premier lieu un laps de temps délimité à chaque extrémité par l'existence d'un régime politique présumé stable. Cette période est une sorte d'interrègne qui ne se laisse pas se définir par des procédures, des normes et des conduites prévisibles, mais plutôt par des conflits portant sur la nature et la forme des premières et sur l'impact qu'elles auront sur les secondes [ibid, revue française de science politique août-octobre 2000 p.618]. Insistant sur les caractères incertains et aléatoires des transitions, O'Donnell et Schmitter affirment que les processus de transition peuvent conduire des régimes autoritaires déterminés vers l'instauration d'une démocratie politique ou la restauration d'une nouvelle forme de régime autoritaire éventuellement plus sévère. Il peut aussi y avoir simplement un dénouement confus, avec la rotation dans le pouvoir de gouvernements successifs qui n'arrivent pas à donner une solution durable ou prévisible au problème de l'institutionnalisation du pouvoir politique. Et dans le cas extrême, ces processus de transition peuvent donner lieu, finalement, à d'amples et violentes confrontations et déboucher sur des régimes révolutionnaires».
Selon O'Donnell et Schmitter, la dynamique du processus transition de la domination autoritaire (libéralisation, transformation, adaptation ou transfert) ne dépend pas seulement des prédispositions, des calculs et accords établis par l'élite. Une fois mis en oeuvre, le face à face entre les modérés du régime autoritaire et les durs, produira probablement une mobilisation généralisée que les auteurs considèrent comme «la résurrection de la société civile».
Cette résurrection de la société civile dans ce processus de changement de régime vient créer une toute nouvelle politisation de la population après la répression, la manipulation idéologique et les stimulants sélectifs. Elle signifie aussi l'échec de la stratégie qui constitue la toile de fond du succès de la plupart des régimes autoritaires, c'est-à-dire la dépolitisation et l'atomisation de leurs sociétés respectives
27 . Mais, quelque soit leur intensité, les soulèvements populaires sont toujours éphémères parce qu'ils sont exposés à la répression sélective, la manipulation et la cooptation exercées par ceux qui contrôlent encore l'appareil d'Etat, la fatique que provoquent les fréquentes manifestations et le "théâtre de rue", les conflits internes qui, sans doute, doivent surgir autour du choix des procédés et des politiques substantielles, le sens de désillusion éthique face aux transitions "réalistes" qu'impose la conceertation d'accords et/ou le surgissement de leaders oligarchiques à l'intérieur des groupes qui décident ces accords; tous ces facteurs concourent à ce que le soulèvement se dissipe
28 . Ce qui caractérise le processus de changement de régime au cours de sa réalisation, c'est surtout la non-définition des règles du jeu démocratique. Ces règles se trouvent non seulement en flux permanent mais elles sont en général l'objet d'une dispute ardue. Nous avons pu remarquer que, au lieu d'établir des règles claires, les acteurs ont le plus souvent tendance d'une part à lutter pour satisfaire leurs intérêts immédiats et/ou les intérêts de ceux qu'ils représentent et d'autre part à définir plutôt les règles et les procédés dont la configuration déterminera probablement ceux qui, dans le futur, seront les perdants et les gagnants.Ces règles détermineront en grande partie les ressources qui légitimement peuvent être utilisées sur la scène politique et les acteurs auxquels on permettra d'y participer. Par contre O'Donnell et Schmitter ne nient pas qu'il puisse exister des règles et procédés effectifs qui conservent un pouvoir discrétionnaire plus ou moins grand sur les ordonnances juridiques et les droits, tandis que dans une démocratie stable, ils peuvent être solidement protégés par la constitution et par diverses institutions indépendantes. L'amorçage d'une transition est toujours certaine, selon O'Donnell et Schmitter, lorsque les gouvernements autoritaires commencent à modifier leurs propres règles en vue d'offrir de plus grandes garanties pour les droits des individus et des groupes. Mais dans le processus de structuration des options de la transition et de modération d'un secteur populaire docile, la convocation des élections constitue un succès qui joue un rôle plus immédiat et plus important que tous les autres.
1.1.5- La thèse de Samuel P.Huntington
Huntigton définit les processus de transition vers la démocratie grâce aux paramètres suivants :
Les problèmes de légitimation des systèmes autoritaires dans un monde où les valeurs démocratiques sont amplement acceptées ; la dépendance de ces régimes sur la légitimation de leur gestion et l'affaiblissement de cette légitimité par des défaites militaires, des problèmes économiques et les crises pétrolières de 1973-1974 et de 1978-1979.
La croissance économique des années soixante et l'expansion des classes moyennes urbaines dans beaucoup de pays.
La dé-élitisation de l'Église catholique lors du Concile Vatican II. C'est-à-dire le passage d'une attitude de « rempart du statu quo à celle d'opposition à l'autoritarisme et d'appui aux réformes sociales, économiques et politiques.
Des changements dans les politiques des acteurs externes comme la réorientation des politiques des États-Unis après la crise pétrolière, vers la promotion des droits humains et la démocratie dans d'autres pays, ou comme le changement notoire de Gorbatchev à la fin des années quatre-vingt dans la politique soviétique.
Renforcé par les nouveaux moyens de communication internationaux «l'effet boule de neige» ou effet démonstration, des premières transitions vers la démocratie de la troisième vague servit de modèle et stimula des efforts subséquents de changement de régime dans d'autres pays.
Malgré l'importance de ces facteurs généraux et structurels, Huntington admet que leurs effets peuvent varier d'une région à une autre, d'un pays à un autre. En ce sens, considérant la spécificité de chaque pays, l'auteur reconnaît l'existence de différentes modalités vers la démocratie :
-l'expérimentation de la démocratie et de l'autoritarisme de manière alternée (cas cyclique) ;
-le retour à l'autoritarisme après une expérience démocratique à peine ébauchée ;
-une démocratie consolidée, interrompue par une situation de polarisation ;
-une transition directe c'est-à-dire passage d'un système autoritaire stable à un système démocratique stable ;
-l'apparition des régimes autoritaires après la décolonisation .
Ces facteurs structurels, d'après Huntington, semblent être nécessaires mais insuffisants pour expliquer le processus de changement de régime. C'est pourquoi il précise qu'il faut considérer aussi les facteurs structurants c'est-à-dire l'intervention des leaders et acteurs politiques qui détermineront le type de dénouement qu'adopte une crise.
1.2- Synthèse des différentes conceptions
Pour de nombreux spécialistes des sciences politiques contemporaines qui ont étudié les processus de transition, le concept «transition» se réfère au processus de changement d'un régime politique à un autre régime qui peut être démocratique ou non. Par contre il peut apparaître au cours de cette période des signes très clairs d'affaiblissement du régime établi : «les mêmes acteurs avec de nouveaux discours modérés, le surgissement de nouveaux acteurs du même régime avec des discours de rupture et d'ouverture ; des acteurs socio-politiques étrangers à l'élite du pouvoir, qui se manifestent plus ouvertement et qui questionnent publiquement les pratiques politiques et la légitimation du régime ; la manifestation d'une société civile plus dynamique servant au processus; la reconnaissance implicite ou explicite de la nécessité de nouvelles pratiques politiques ; l'effort unilatéral ou de commun accord pour créer un cadre juridique et institutionnel destiné à conduire le processus de démocratisation». Ces idées sont aussi partagées par des auteurs comme Morlino, Przeworski, O'Donnell et Schmitter, Juan Linz et Huntington. Se basant sur les considérations, les spécialistes de la transitologie ont élaboré deux modèles que nous tenterons de résumer.
1.2.1- Le modèle consensuel
Ce modèle explique le cas d'une transition concertée qui eut lieu au moyen d'un accord ou pacte politique entre le régime autoritaire et l'opposition. Il existe, selon deux possibilités dans ce modèle :
- la transformation qui met en relief l'anticipation par des élites d'un processus démocratique dirigé qui leur permette de se maintenir au pouvoir de manière légitime ou tout au moins de conserver d'importants quotas au pouvoir.
- le transfert par la négociation entre les groupes modérés des deux secteurs et qui conduit conjointement et selon des rythmes préétablis, le processus de transition.
1.2.2- Le modèle conflictuel
Ce modèle de changement politique résulte de l'effondrement du régime autoritaire. Il se caractérise par l'absence des pactes politiques pour réguler la transition et l'existence d'une forte opposition qui a la capacité d'imposer le changement politique aux forces et secteurs politiques du pouvoir et de les substituer. Toutefois, les leaders et acteurs politiques disposent d'une marge de manoeuvre pour conduire le processus beaucoup plus large dans ce modèle que dans le modèle consensuel. Cependant, ce modèle présente certains inconvénients. Les auteurs ont pu remarquer dans les transitions non concertées qu'il existe un haut degré d'incertitude accentué par la présence de fortes oppositions déloyales et des confrontations directes et intenses entre les divers groupes, organisations, partis, factions et intérêts organisés.
Ces cadres analytiques, sans nier le poids des facteurs structurels, sont centrés sur les stratégies des acteurs pour expliquer le type de dénouement que peut adopter une transition vers la démocratie. Si ces facteurs délimitent le jeu des acteurs ou définissent le cadre de leur activité, ils ne sont pas déterminants, car ce sont les facteurs structurants c'est-à-dire l'intervention des leaders et acteurs qui expliquent le résultat final d'un processus de changement politique. En outre, les modalités de la transition déterminent en grande partie les caractéristiques du nouveau régime, c'est-à-dire le type de régime démocratique établi reflète les conditions dans lesquelles s'est déroulé le processus de transition.
Il convient de souligner également que ces deux modèles de transition vers la démocratie et le changement politique comme toute perspective analytique, sont des instruments qui vont permettre d'aborder le cas haïtien. Toutefois, avant l'étude de la transition haïtienne à la lumière des cadres analytiques de la transitologie on tentera de présenter dans un premier temps l'analyse théorique des transitions donnant naissance au concept «Path dependence» de Michel Dobry, et dans un deuxième temps certains exemples de transition.
1.3- Analyse théorique des transitions de Michel Dobry
En s'interrogeant sur les principes explicatifs des processus de «transitions» et «transformations», Dorby [2000] a procédé à une analyse des différentes approches construites par des groupes de chercheurs pour une meilleure compréhension des changements. En effet, il souligne «les ambitions de la perspective de la path dependence qui s'est affirmée sur le terrain empirique des transitions avec les basculements de 1989 en Europe centrale et orientale, demeurent assez voisines de celles de la première vague de la transitiologie qui est la transitologie classique où l'on retrouve dans cette dernière la même fascination pour les chemins ou voies par lesquels ces sociétés se sont dégagées des systèmes autoritaires et la même foi dans ce que ces chemins sont censés déterminer, c'est-à-dire dans leur pouvoir explicatif. Toutefois, la transitologie selon Dobry représente un éventail de perspectives diversifiées que nombre d'auteurs reconnaissent avec réticence car elles se définissent sous un label qu'ils ont parfois explicitement et vigoureusement dénoncé.
Parmi les difficultés les plus récurrentes de la transitologie dans son ensemble (qu'il s'agisse de rendre raison des transitions à la démocratie ou/et des transitions à l'économie de marché). On verra que, souvent ces difficultés ne lui sont pas entièrement spécifiques. Les plus importants d'entre elles renvoient à des choix méthodologiques lourds de conséquenses et à des manières particulières d'envisager la causalité historique, ou, mieux, de construire l'«intrigue historique».
29 Pour cela l'auteur retiendra quatre ensembles de problèmes suivants :
- les difficultés liées au présupposé que rendre raison des transitions, cela consiste d'abord à identifier des cheminements ou séquences historiques qui en seraient typiques, et que l'on pourrait associer chacun de ces cheminements à des points d'aboutissements ou résultats qui lui seraient propre (par exemple, une transition instable)
- le poids de détermination du passé, celui qui est cencé compter, et la façon dont il compte ; s'agissant plus spécialement des approches de la path dépendence. L'ambiguité inattendue renvoie à deux questions dans les faits complémentaires : comment est sélectionné, découpé et conçu le passé pertinent, celui qui est supposé déterminer et alimenter le processus de transition ou de transformation, et quels types d'«imageries causales» sont mis en scène pour rendre raison des cheminements historiques de ces processus ?
- Les «bifurcations» historiques ou critical junctures observables, ou au moins supposées telles, dans le cours des cheminements, imprudemment assimilées et cette fois c'est l'ensemble des principales approches de la transitologie qui est en cause à des conjonctions critiques et à de «grands» événements ; c'est en connexion avec cette manière de penser «la marche de l'histoire» que rendre compte des transitions la tentation d'un exceptionnalisme méthodologique pour rendre compte des transitiions, c'est-à-dire la tentation de leur appréhension, prioritairement ou exclusivement, en termes de choix stratégique des acteurs de ces processus.
- Enfin, ce dont est fait un système démocratique consolidé et ce en quoi consiste le processus ou la phase de consolidation qui est supposée conduire à cet état de consolidation et ne pas confondre avec le processus de transition lui-même ; l'une des sources majeures des difficultés sur lesquelles butte à cet égard la transitologie réside dans l'usage à première vue séduisant mais incontrôlé et passablement essentialiste, de l'incertitude en tant que caractéristique définitionnelle de la démocratie.
Du point de vue de trajectoires historiques, l'idée qui s'offre spontanément à l'esprit est probablement celle d'une ou de plusieurs séquences, chemins ou trajectoires historiques qui seraient plus ou moins caractéristique de types de phénomènes distincts. Dans le cas des transitions : «libéralisation-démocratisation-consolidation» et « méthodes des similitudes et des différrences».Il y a possibilité de proposer un récit historique plausible, c'est-à-dire liant un point de départ, une origine typiquement et un point d'arrivée de la séquence, la démocratie ou tel type de démocratie, par exemple instable ou, au contraire, auto-entretenue.
Par rapport au critique de Scokpol sur l'«histoire naturelle», l'«analyse historique comparative» qui tente distinguer sa démarche n'exclut a priori que des liens de causalité pouvant relier les différentes étapes, phases ou «uniformités» distinguées. Par exemple, de la même manière que dans l'«histoire naturelle des révolutions, la concurrence entre «modérés»et «radicaux» constitue visiblement un ressort causal de l'émergence d'une situation de «double pouvoir», puis du basculement vers la phase de terreur, l'analyse des transitions peut mettre aussi en scène les rapports entre softliners ou liberizers et hardliners et leurs rapports avec, ici aussi le couple «modérés » et «radicaux » et la concurrence entre ceux-ci, pour expliquer le glissement, par exemple, de la phase de libéralisation à celle de «démocratisation». Mais rien n'interdit de compliquer un peu le schéma explicatif, en introduisant des points de bifurcation, des embranchements où les processus pourront s'orienter dans une voie plutôt que dans une autre, vers , par exemple, une réaction répressive des hardsliners plutôt que vers la démocratisation, en fonctions des décisions « stratégiques » de certains acteurs ; la croyance dans les séquences typiques s'acommode bien au moins au plan théorique du refus du fatalisme, mais aussi, parfois, d'une vision proprement héroïque des «grandes décisions». Cette représentation sauvegarde cependant l'essentiel : à chaque type de résultat correspond une trajectoire histrique typique et le résultat auquel conduit cette trajectoire est conçu comme le produit de la spécifité de cette trajectoire. Par contre, il reste que, malgré cela, l'image trajectoires ou chemins historiques typiques hante encore, et handicap, une large partie de la transitologie. Il en est notamment ainsi de la tentation de vouloir discerner une voie idéale du cheminement de la démocratisation. Il n'est certes pas affirmé que la voie idéale est la seule voie possible, mais la proposition comporte un corollaire lourd d'implications c'est-à-dire les chances de l'implantation «convenable» auto-entretenue ou durable de la démocratie dans une société donnée seront évaluées, dans cette perspective, aux écarts observables par rapport à cette voie idéale. L'essentiel, sur les raisons qui rendent l'objectif de «comprendre » ou d'expliquer les transitions par des trajectoires historiques typiques hautement vulnérables, tient une forme de déterminisme historique assez rudimentaire, qui rattache ce type de construction de l'«intrigue» historique aux traditions les plus ordinaires de l'historicisme. C'est à dire à des transitions n'admettant pas que les basculeemnts d'un phénomène, puissent se produire qu'à la marge, que des glissements locaux ou des transformations de faible amplitude puissent, parfois au moins, inverser ou infléchir des tendances lourdes ou structurelles.
Enfin, l'objectif de l'explication des transitions, par les spécificités des trajectoires historiques, tend à faire irrésistiblement basculer le chercheur, même armé des plus solides préventions contre le biais téléologique, vers la recherche de quelque chose qui n'est pas loin d'une loi de développement historique.
S'agissant de la logique et de l'histoire, ce type de biais d'après Dobry semble ne pas jouer un rôle aussi important dans un domaine dans lequel les chercheurs devraient avoir été immunisés contre une vision trop naïve de la nécessité historique et les dangers des interprétations historicistes ou téléogiques. Dans ce contexte, il pense qu'un autre exemple de démarches et de schèmes explicatifs mis en oeuvre pour appréhender les transitions devrait permettre à la fois de préciser la portée de la discussion entreprise ci-dessus et, simultanément, de montrer la prégnance des difficultés qu'elle vise à cerner. La pertinene de la discussion précédente semble en effet garder très largement les perspectives qui mettent en scène des points d'embranchement et de bifurcation à partir desquels la trajectoire des transitions peut diverger. Ces embranchements tendent à être localisés par le chercheur, le plus souvent a posteriori, comme les choix ou les décisions stratégiques les plus importantes au cours du processus de transition. L'inflexion des processus se réalise là, et non pas ailleurs, et ainsii le hasard devient étroitement circonscrit ; hors de ces points analytiquement importants, il n'aurait pas d'impact significatif sur des trajectoires ou chemins suivis. Croyant ainsi conjurer le «fatalisme» ou le «déterminisme», les transitologues d'après Dobry ne font en fait autre chose que redoubler l'hypothèse historiciste par une autre hypothèses qui tend à supprimeer aux diverses trajectoires supposées des transitions des séquences ordonnées ou trajectoires logiques de points de bifurcations, séquences ou trajectoires parées dès lors de tous les atours de la nécessité historique.
Cette imbrication d'une analyse, en termes de choix stratégiques des acteurs des transitions et de séquences historiques ordonnées en «arbres» mais épousant les formes de lois de développements historique, est illustrée par Adam Przeworski des «situations stratégiques» caractéristiques des transitions conduisant à des démocraties auto-entretenues (self-sustaining democraties).Ici, au moins à première vue, la nécéssité historique n'est pas postulée entre les points de départ des transitions, les ruptures affectant des régimes autoritaires, et les points d'aboutissement de ces processus. La démocratie auto-entretenue n'est concue que comme un résultat particulier parmi une pluralité de résultats possibles. Très classiquement encore, sont distinguées plusieurs phases successives dans ces processus de transition, dont la phase de libéralisation du régime autoritaire , la phase de démocratisation, ou de transition dans un sens étroit, et une troisième phase, de consolidation, dans laquelle doivent s'institutionnaliser certains des traits fondamentaux qui font d'un système démocratique une démocratie auto-entretenue (l'institutionnalisation des conflits économiques, l'imposition du contrôle des responsables politiques sur les forces armées, etc.). Certes, tout ceci ne va pas entièrement de soi, pour des raisons déjà évoquées, mais aussi, parce qu'il n'est pas aussi facile que cela de découper, avec quelque rigueur, dans certains des processus de transition en Europe centrale et orientale (que l'on songe, par exemple, au cas de la Tchécoslovaquie, ou encore au cas, très dissemblable, de la Roumanie), une phase de délibéralisation en amont d'une phase de démocratisation qui en serait distincte. L'essentiel cependant se situe dans le traitement, l'articulation séquentielle, des «situations stratégiques» à l'intérieur même de chaque phase [Dorby, 2000].
II - Exemples de Transition : Uruguay, Philippines, Chili
2.1- Uruguay
1983 -1984 marque la période au cours de laquelle le changement politique a eu lieu en Uruguay. Cette transition, déroulée sous des auspices meilleurs, a été possible grâce à la prise de conscience des généraux et amiraux de l'armée qui se réclament eux aussi de l'histoire démocratique
30 de ce pays. Leur mainmise sur le gouvernement n'a pas eu d'autre explication qu'une mesure provisoire dictée par une menace d'effondrement de l'Etat. Cependant, attachés à la logique démocratique, les généraux ont fini par conclure non seulement un pacte «Club Naval » avec les représentants des partis mais aussi rappeler les cadres syndicaux exilés afin pour un dialogue social seul capable de canaliser l'impatience des salariés dont le pouvoir d'achat a diminué de moitié en quelques années »[Hermet 1996, p.61] Comme le souligne cet auteur «la démocratisation de l'Uruguay fournit l'exemple parfait d'une transition concertée, et non pas simplement octroyée puis légitimée» parce que toujours d'après cet auteur l'Uruguay, comptant seulement deux millions d'habitants, présentait les caractéristiques optimales pour une telle opération.
2.2- Philippines
Ce point de vue semble-t-il vouloir supposer qu'un pays avec une forte densité ne présentait pas les caractéristiques optimales pour un changement politique ? Qu'en est-il des expériences philippines avec une population de 77 millions d'habitants ? En effet, les Philippines, ancienne colonie espagnole jusqu'en 1898, se rapprochent par ces traits des sociétés de l'Amérique latine. Cependant, obéit avant tout à une dynamique inspirée par les États-Unis, le processus de changement politique amorcé par ce pays en 1986 diffère complètement de ceux des pays sud-américains. Selon Guy Hermet «la qualité démocratique du régime restaurée » pose un problème. C'est-à-dire à en croire l'auteur, il est plutôt question d'une restitution de pouvoir à l'oligarchie terrienne et financière malmenée autrefois par le dictateur Marcos. L'enjeu que représentait actuellement le pouvoir entre cette oligarchie alliée à l'appareil catholique et des secteurs des classes moyennes représentés par un général protestant, le général-président Ramos, laisse comprendre que le changement politique aux Philippines n'a pas été concerté et le bilan apparaisse assez confus. En conséquence, la manière dont a été effectué le changement politique aux Philippines ne laisse aucun doute qu'il puisse exister une corrélation entre la réussite d'un changement politique et la densité d'une population.
2.3- Chili
Les expériences démocratiques du Chili, bien qu'elles recoupent un peu celles de l'Uruguay par la manière dont fut amené le processus de transition politique, n'ont été possibles que par la volonté des chiliens de préserver leur croissance économique et non à cause de la densité de sa population.
En effet, le général Pinochet, bâtissant sa dictature à partir d'un dispositif constitutionnel depuis 1980 sous le couvert du suffrage universel. Il organise en 1988 le nouveau plébiscite pour obtenir la prorogation de son mandat présidentiel. Il se trouve que ce nouveau plébiscite tourne à son désavantage (45% pour-55%contre). Il a fallu attendre 1990 pour que les présidents de tendance démocrate-chrétienne Aylwin puis Frei arbitrent «une transition qui présente à deux niveaux quelques similitudes avec celle de l'Espagne. Au Premier niveau, contrairement aux préoccupations économiques des espagnols, les Chiliens selon [Hermet, 1996, p.63] n'ont éprouvé aucune envie de compromettre le résultat économique acquis par le régime militaire dans une Amérique latine frappée par un marasme persistant. En ce sens, Ils acceptent que les nouveaux dirigeants démocratiques conservent la plupart des orientations économiques du régime militaire aux prix de quelques concessions sociales. Au second niveau, la permanence imposée par le dictateur à la tête de l'armée a eu pour certains chiliens un effet positif dans le sens qu'elle a permis «d'éconduire les revendications aventurées des nostalgiques de l'expérience de Salvador Allende» et même épargner au pays un nouveau putsch. Dans ce contexte, on peut voir dans les expériences chiliennes un changement politique tronqué de par ce partage du pouvoir réel. Comme l'a fait remarquer Laennec Hurbon «la démocratie ne se construit pas au Port-au-Prince comme à Lomé ou à Prague, et pas seulement à l'histoire et de la géographie. A chacun sa spécificité, sa culture.
III- La Transition haïtienne à la lumière des cadres analytiques de la Transitologie
L'effondrement du régime des Duvalier, le 7 février 1986 marque un tournant décisif dans le système politique haïtien. Ce changement politique suscite de nombreuses controverses, de disputes et de violences entre les différents acteurs de la classe politique haïtienne. La transition haïtienne, «résultat» d'une rupture violente avec les structures dictatoriales de Duvalier qui s'étend sur une période considérablement longue, est pour de nombreux observateurs de la classe intellectuelle haïtienne une «transition illimitée».
La transition haïtienne, souligne [Etienne, 1999, p. 59] est une transition en dents de scie, une transition chaotique. Il y eut à la fois continuité et rupture dans le processus de changement politique. Contrairement à l'affirmation de O'Donnell, la mobilisation populaire ne fut pas éphémère dans le cas haïtien, malgré la répression sélective, massive et parfois aveugle, le mouvement populaire ne se dissipa pas durant les moments les plus durs de la transition. De façon paradoxale et héroïque, il parvint à porter au pouvoir un prête de la théologie de la libération, contre la volonté du Vatican, de Washington et de l'oligarchie locale [Etienne, 1999, p. 59].
Le constat des faits sociaux et politiques suivants permettent de comprendre toutes les péripéties que connaît la transition haïtienne et l'implantation de la démocratie en Haïti et on peut la résumeer ainsi :
- la fameuse opération «déchoukage 31 » à travers tout le pays au lendemain du départ des Duvalier,
- le caractère sus generis du Conseil National de Gouvernement succédant à la dictature civile,
- l'avortement des premières élections libres et démocratiques par le massacre du 29 novembre 1987,
- la dégradation politique et économique qui ne cesse de perdurer,
- l'instauration de la démocratie sous les pressions internationales et la restauration de celle-ci par l'intervention militaire des Etats-Unis le 15 octobre 1994 après trois années du coup d'Etat et de blocage économique.
L'analyse de ces faits permet d'avancer que la transition haïtienne recoupe la stratégie politique du changement pacifique/violent de Morlino. Il est peut-être intéressant de souligner le niveau élevé de violence qui est rattaché aux processus de transition d'Haïti. Toutefois, en dépit de cette violence aveugle on n'a pas pu arriver à un changement fondamental. La probabilité de Morlino, à savoir que certaines formes de violence conduisent à la transition du régime, est très faible en Haïti.
Se référant à la révolution contemporaine des médias audiovisuels de masse, radio et surtout télévision projettent brutalement l'humanité dans la vidéosphère des réseaux de communication d'images, instantanées et universelles [Debray, 1991]. L'Eglise catholique haïtienne, avec sa station de radio «radyo solèy» en a fait l'expérience avec le travail de socialisation axé sur la conscientisation politique et économique des citoyens haïtiens. Cette prise de position de la presse haïtienne qui a contribué à un certain degré au renversement de la dictature des duvalier, rejoint aussi l'«effet boule de neige» qu'attribue Samuel P. Huntington aux processus de transition vers la démocratie.
Les crises électorales survenues des premières élections du 29 novembre 1987 et celles du 17 janvier 1988, le coup d'Etat sanglant du 30 septembre 91, et les conflits électoraux depuis le retour à l'ordre constitutionnel tels : le rejet des résultats des élections du 25 juin 1995 et le boycottage du second tour du 17 septembre, les fraudes et les actes de violence enregistrés durant la réalisation des élections de 1997, la majorité absolue revendiquée par le parti au pouvoir lors des élections de mai 2000 conduisent à partager l'idée de Przeworski selon laquelle «la structure des conflits est telle qu'aucun type d'institutions démocratiques ne peut durer, et les forces politiques finissent par se battre pour l'instauration d'une nouvelle dictature».
La définition des règles du jeu bien avant l'élaboration d'un pacte social semble être un élément non négligeable dans la compréhension de la longue transition haïtienne vers la démocratie. Née à partir de facteurs structurels internes et de revendications manifestées par les différentes couches de la population haïtienne, la Constitution de 1987 semble privilégier beaucoup plus les facteurs externes ou internationaux rattachés à la modernisation et à la démocratisation. Compte tenu du caractère propre de la société, après une dictature rétrograde de 29 ans et de nature féroce, la nouvelle charte post-autoritaire n'a pas pu épouser sociologiquement et culturellement la réalité socio-politico-économique haïtienne dans toute son intégralité.
Tout processus de transition vers la démocratie ou de changement politique, suppose un ensemble d'acteurs qui peuvent être des individus, des institutions, des groupes sociaux, des organisations socio-politiques, avec leurs intérêts antagoniques, leurs conflits, leurs divergences et leurs objectifs spécifiques, qui luttent dans un espace physique déterminé et dans un temps donné pour le maintien, la consolidation, l'adaptation, la transformation ou le changement radical d'un régime politique [Etienne, 1999, p. 59]. Dans l'espace haïtien, caractérisé par une économie en difficulté, des ségrégations socio-spatiales aiguës et un taux d'analphabétisme élevé, la proclamation de la Constitution de 1987 en dehors d'un pacte social entre les différentes tendances politiques ne saurait faciliter le passage vers la transition voire la consolidation de la démocratie.
La trajectoire historique de la République d'Haïti configure les caractéristiques structurelles qui définissent le cadre des relations socio-politiques de ses différents acteurs. Le non-attachement des acteurs politiques aux prescriptions de la constitution, manifesté particulièrement par l'absence volontaire des institutions indépendantes prévues par la Constitution de 1987 telle le Conseil Electoral Permanent semblent rejoindre la conception de O'Donnell et Schmitter sur les règles du jeu démocratique au cours d'un changement de régime.
La transition haïtienne connaît de grandes difficultés, mais elle n'est pas en voie de disparition. Elle n'a pas encore trouvé les voies et moyens pour l'émergence des normes, des valeurs et attitudes indispensables à la constitution d'un Etat démocratique de droit. Pour certains analystes, il semble que cette transition tend à faciliter l'instauration d'un régime autocratique, providentiel et/ou messianique. Cependant, la littérature sur certains processus de transition permet de comprendre que des régimes de type national-populiste (Juan Domingo Perón en Argentine, Getulio Vargas au Brésil et Lázaro Cárdenas au Mexique) sont à l'origine de la modernisation de bon nombre d'Etat. Le succès chilien a été l'oeuvre d'un régime militaire autoritaire et sanguinaire. Face aux mutations géniques que connaît le cas haïtien « autoritarisme - démocratie en herbe - retour de l'autoritarisme », le rappel historique sur la modernisation et la démocratisation des Etats (à partir du national-populisme et du militarisme autoritaire et sanguinaire) peut fournir un argument méthodologique pour repenser l'implantation de la démocratie en Haïti en s'appuyant sur le modèle consensuel.
Chapitre II- les elections en Haiti
Le concept «élection» selon la définition du petit Robert renvoie généralement à la possibilité de faire un choix. Au suffrage universel, «élection» signifie le droit d'exprimer sa volonté dans les décisions politiques, c'est une procédure dans laquelle l'électorat n' est pas restreint par des conditions de fortune, de capacité d'hérédité mais qui peut cependant comporter des exclusions. Cette dénotation des élections se retrouve dans l'oeuvre de Hermet [1978, p.9] qui considère l'apparition des élections concurrentielles-pluralistes, d'un point de vue logique et normative, généralement comme le critère de la démocratie et, par la, comme l'objet privilégié de l'analyse politique ». Peu importe, dans cet esprit que le choix effectif de l'électeur soit infiniment moins libre que ne l'est la procédure électorale proprement dite. Peu importent les doutes fondés que l'on peut émettre sur la cohérence démocratique de la décision de majorité qui pourtant, «se mue en principe de légitimité» des régimes électifs, représentatifs et pluralistes. Et peu importe la «technologie» des modes de scrutin et du découpage des circonscriptions.
Giovanni Sartori
32 définit «la démocratie comme un procédé de création continue de minorités ouvertes et rivales dont le comportement est orienté par la loi des réactions prévues, c'est-à-dire par l'idée que l'on se fait du comportement des électeurs aux prochaines élections». De ce point de vue, Hermet propose une relecture qui «ne doit pas s'inscrire dans le cadre logico-normatif mais dans une perspective empiriste reposant sur l'observation des modalités réelles des élections dans l'ensemble des systèmes politiques et sur le long terme historique».
Dans ce chapitre on se propose d'analyser, à la lumière des théories sur le rôle des élections dans un système politique de nature démocratique, les forces et faiblesses des élections les plus pertinentes réalisées en Haïti après le 7 février 1986. Etant donné que ces élections donnent le plus souvent naissance à une crise post-électorale, on tentera d'étendre l'analyse sur les modalités réelles de leur réalisation en mettant en regard d'une part la démocratie et les négations devant aboutir à la consolidation de la démocratie en Haïti d'autre part.
2.1-Comment les Haïtiens sont-ils devenus électeurs après le 7 février 1986 ?
Au lendemain du 7 février 1986, les Haïtiens optent pour un changement de régime. Ce processus de transition démocratique entamé au coeur même d'innombrables inégalités sociales semble s'orienter vers la sacralisation d'une nouvelle constitution et la tenue des élections prévues pour le 29 novembre 1987. Toutefois, il semblerait que l'avortement de ces premières élections et crises résultant des dernières élections réalisées semblent vouloir d'après certains mettre une fin au processus de transition à la démocratie en Haïti. Face aux échecs des différentes tentatives pour relancer le processus, il est tout à fait important et nécessaire de procéder à une relecture de l'histoire de ce pays pour une autre compréhension du cheminement qui a conduit les haïtiens aux élections.
2.1.1- Une très longue période d'esclavage conduite par la France.
Cette période est considérée comme la négation chez un être humain du droit à avoir des droits, l'esclavage au nouveau monde est une institution justifiée par des lois positives et encadrées par l'Etat moderne naissant au XVIe et au XVIIe. L'esclave l'est d'abord à vie et sa progéniture est destinée à l'esclavage. C'est déjà indiquer jusqu'à quel point l'esclavage constituait l'empire même de la mort. Le travail, sous surveillance d'un commandeur, s'effectue du lever du soleil à son coucher et est soumis à la discipline du fouet, «cinquante à deux cents coups à la moindre négligence». Etre esclave, c'est être un corps battu, qui ainsi, pourra fournir son plein rendement. Toute interprétation des attitudes du maître en termes paternalistes est ici dépourvue de fondement. Car il va falloir que le maître travaille, en toute rigueur, à l'avilissement de l'esclave, à sa déchéance la plus totale, pour mieux parvenir à rendre sa condition naturelle à ses propres yeux. Chargé de nourrir, de vêtir et de loger l'esclave, le maître s'arrange pour maintenir ces devoirs sous le régime de la pure faveur et donc ne saurait éviter la parcimonie. Les tortures réservées à l'esclave, rebelle ou paresseux, ne témoignent pas de la cruauté particulière de quelques maîtres, mais font partie structurellement de la pratique quotidienne de l'esclavage. Appliquer un fer rouge aux parties délicates de l'esclave, l'attacher à des pieux pour le livrer à des insectes jusqu'à ce que mort s'ensuive, le brûler vif, l'enchaîner, mettre à ses trousses chiens et serpents, violer les négresses, et bien d'autres tortures servent avant tout à exprimer la domination absolue. Absolue, elle l'est, ou plutôt prétend l'être dans l'acte d'étamper l'esclave, de changer son nom, de mélanger les ethnies, de le faire perdre toute affiliation, bref produire chez lui une amnésie culturelle dont il sortira zombie, mort-vivant totalement soumis aux caprices et aux humeurs du maître. La traite, dès le départ suppose une entente générale au sein des nations européennes entre l'Église, l'Etat, la noblesse et l'opinion publique. On voyait déjà dans l'esclave un étranger ou un captif dont la peine de mort est commuée en mort sociale et juridique. Sous ce rapport l'esclave ne suscitait plus aucun questionnement. Pratiqué encore en Europe, au XIIe et XIIIe siècles, et plus tard au XVe siècle, l'esclavage disposait d'un arsenal de justifications. Mais à travers la nouvelle expérience esclavagiste au nouveau monde, les Etats modernes européens mettent à l'épreuve non seulement leurs capacités expansionnistes, mais aussi leur efficacité interne comme instance qui saura se subordonner la religion et s'attribuer la tâche pédagogique de la production de l'homme.
Règlements de discipline, arrêts, ordonnances émanant des métropoles sont nombreux et manifestent leur intérêt soutenu à la survie de l'institution esclavagiste. Mais parmi les dispositifs juridiques qu'on retrouve dans toutes les colonies à esclaves du nouveau Monde, le Code Noir français de 1685 mérite une attention particulière. Il souligne que l'objectif de ce code
33 n'avait point été d'assouplir les conditions de vie de l'esclave, ni de contribuer à limiter le pouvoir du maître, mais de fonder et de renforcer, à travers l'appareil étatique, l'ordre esclavagiste.Il est réédité en France par Louis-Salamolins, qui le qualifie de texte juridique le plus monstrueux qu'aient produit les temps modernes. Le code noir énonce paradoxalement le non-droit de l'esclave et le seul droit du maître qui doit le nourrir, le vêtir, l'entretenir, pourvoir à son instruction religieuse, disposer de sa progéniture et éviter les traitements barbares et inhumains (art 26). Mais là où le code noir prétend protéger l'esclave, il déclare en même temps que l'esclave ne peut en aucun cas porter témoignage ou plainte par lui-même devant les tribunaux contre les excès du maître (art.30). L'institution esclavagiste a en effet pour objectif de convertir au christianisme des infidèles ou des païens vivant sous l'empire de Satan : Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique... » (art.2). Le christianisme ne développe pas son action, à son corps défendant : il sert l'Etat en proclamant à l'esclave son devoir d'Etat qu'est l'obéissance au maître. Déjà esclaves et captifs sur leur continent, mais idolâtres, les noirs ne peuvent que rendre grâce à la providence pour leur déportation en Amérique. «Leur servitude, écrit le père Dutertre
34 , au XVIIe siècle, est le principe de leur bonheur et leur disgrâce est la cause de leur salut. A quoi, un règlement, de discipline, un siècle plus tard, en 1776, fera écho : «La sûreté publique, l'intérêt des maîtres, le salut de leur âme, sont les motifs qui doivent engager le missionnaire à y travailler [à l'instruction religieuse des nègres] avec d'autant plus de zèle. Inversement, les réunions des esclaves qui tentent un réemploi de leur système religieux africain sont interdites. Elles sont tenues pour des occasions de rébellion. Aussi le maintien de la couverture idéologique de l'esclavage qu'est la conversion forcée apparaît-il comme une obsession chez les administrateurs. Dans l'ensemble, le clergé remplit assez bien son rôle ; il est en effet lui-même possesseur d'esclaves
35 . Bien entendu, certains prêtres, protecteurs des esclaves fugitifs ou trop zélés dans l'instruction religieuse, sont rapidement déportés et rembarqués pour la métropole.
Le plus important, au regard de l'Etat, demeure la prise en charge de la vie de l'esclave, dans sa totalité. Le christianisme, tout en contrecarrant toute possibilité de révolté des esclaves doit accomplir une oeuvre civilisatrice, servir de lieu d'accès à la culture occidentale, dont les paramètres prétendent définir l'humanité de l'homme. Mais pour que l'esclavage soit maintenu, il faudra en toute logique que l'esclave soit inapte au christianisme, qu'il soit sorcier et barbare de manière rédhibitoire. Par l'inscription de ces «tares» dans sa constitution biologique. Si le préjugé racial n'est pas au principe de l'esclavage,. il vient se déposer et se développer au coeur de la pratique esclavagiste. Les «nègres» sont propres à la servitude, par ce qu'ils constituent une espèce dégradée. Sur le mythe de Cham vient se greffer peu à peu une anthropologie du «nègre» sauvage et barbare, cannibale, paresseux, polygame, enclin aux sacrifices humains et dépourvus de goût pour la liberté. Une littérature
36 vaste se déploie dès le XVIIe siècle pour répandre en Europe une telle image du noir, afin de rendre l'opinion publique occidentale insensible à l'enfer esclavagiste.
2.1.2- Une révolution dévastatrice et sanglante
En dépit de l'ordre esclavagiste et de l'application du Code noir de 1685, l'aspiration à la liberté pour les esclaves de St-Domingue, a été très déterminante. Mais avant, comme le décrit Hurbon [2000, p.33], il faudra souligner «deux issues qui ont été offertes d'abord à l'esclavage. La première impose de laisser le corps au maître pour rejoindre symboliquement ou spirituellement l'Afrique : suicide, avortement, refus des soins et de la nourriture, infanticide sont les premières expressions d'un grand refus. La deuxième qui est la fuite individuelle ou collective appelée marronnage
37 . Partout où c'est possible l'esclave tente en effet d'échapper au pouvoir du maître. Et sans nul doute, depuis le XVIIe siècle, chaque règlement émanant de l'administration ou de la métropole vise la répression systématique du marronage. Maints articles du Code noir ne font qu'énoncer une panoplie de châtiments contre l'esclave marron ».
Les rumeurs d'empoisonnements, de révoltes accompagnées d'incendies des plantations et des sucreries, hantent le sommeil des maîtres, tout au long du XVIIe siècle, spécialement dans les îles. Bientôt à la faveur des événements de la révolution française à St-Domingue, la colonie la plus prospère pour la France avec plus de 400 000 esclaves, offre le spectacle de la première grande révolte d'esclaves victorieuse, une insurrection déclenchée à St Domingue dans la nuit du 15 août 1791 a été le moment inaugural d'une longue lutte de treize ans, au cours de laquelle surgira le génie politique de Toussaint Louverture. Pourtant, la marche vers l'abolition de l'esclavage a été d'une extrême lenteur.
Les idées abolitionnistes exprimées avec prudence au XVIIIe siècle par les lumières, et soutenues avec audace en Angleterre par William Pitt, Wilberforce, puis par Clarkson, sont sans succès. Un peu partout en Europe, les écrits philanthropiques les plus radicaux penchent vers la seule suppression de la traite et proposent une émancipation graduelle.
A Paris, en 1788, la Société des amis des noirs s'intéresse au départ à l'égalité civique des mulâtres avec les blancs dans les colonies françaises, mais nullement à une abolition de l'esclavage. Il a fallu que parvienne en France la nouvelle de la révolte sanglante des esclaves, déclenchée en août 1791, pour qu'enfin, on prenne conscience de l'horreur que représentait l'esclavage au regard des noirs. Mais là encore, la liberté générale proclamée en 1793 à Saint-Domingue ne sera ratifiée par la convention qu'en 1794, pour être remise en question par Napoléon Bonaparte en 1802. Le cas exceptionnel du nouvel Etat indépendant d'Haïti servira toutefois de repoussoir contre toute abolition immédiate, car celle-ci disait-on, risque d'entraîner la perte des colonies. En revanche, la révolution anti-esclavagiste haïtienne, déclenchée deux ans après la révolution française, décrit Blandine Barret-kriegel «a été l'oeuvre d'un mouvement spécifique constitué par la classe des esclaves pour mettre fin au système. Cette tentative de sortie de l'esclavage a quelque chose d'exemplaire mais pour être bien comprise et pour peut-être expliquer la réalité haïtienne d'aujourd'hui, elle doit être rattachée aux diverses pratiques de marronage (fuite individuelle ou collective) qui scandent l'histoire de l'esclavage dans les Amériques. Chaque fois, en effet, une nouvelle société se reconstituait loin des centres de travail (plantations, ateliers), mais sur la base d'une reprise de réseaux symboliques différenciés de ceux de la classe des maîtres. Autrement dit, ce serait au sein de leur propre culture que les esclaves marrons ont puisé les ressources nécessaires à l'affirmation de leur droit de vivre libre. Dans chaque esclave semble primer plutôt la conscience d'être membre d'un grand corps social soudé par une culture spécifique (organisation familiale, religion, vison de l'histoire, etc.). Ce n'est pas que l'égalité ne soit pas revendiquée, mais l'on assiste surtout à un refus opposé à la condition d'étrangers à l'espace Saint-Dominguois, qui a voué les esclaves à leur sort. Orlando Patterson voit à juste titre presque toujours et partout un «étranger» c'est-à-dire quelqu'un qui ne correspond pas à la définition de l'homme adoptée par la société dans laquelle il est réduit à la condition d'esclave. En définitive, la sortie de l'esclavage soulève une double interrogation : l'une porte sur le statut de l'affranchi, l'autre sur les rapports entre différentes cultures. On ne voit donc pas pourquoi l'Etat de droit, là où il est aveugle au contexte historique et culturel de son établissement, ne serait pas compatible avec l'esclavage qui frappe toujours «l'étranger» ou celui qui est susceptible d'être pris pour tel. A vrai dire, le problème apparaît avec clarté au moment de l'abolition aux Etats-Unis et aux Antilles françaises. Une fois affranchi, l'esclave américain n'acquiert pas automatiquement tous les droits reconnus à un citoyen américain. En revanche, aux Antilles françaises, l'affranchi se voit conférer un statut de colonisé ; on assiste même à une régression par rapport au droit romain qui, faisait de l'affranchi un citoyen. L'élément nouveau qui intervient avec l'Etat moderne est la visée pédagogique qu'il assume par rapport à l'esclave : celui-ci doit abandonner sa propre culture pour intérioriser celle du maître, afin de passer à l'Etat dit de nature à la condition de «civilisé».
L'analyse de Blandine Barret-kriegel est très profonde dans la mesure où l'on relate la trajectoire politique de la majorité des dirigeants haïtiens. Et on pourrait même se poser la question de savoir : cette transition à la condition de «civilisé» n'est-elle pas faussée au départ ? Parce qu'il va falloir à l'esclavage d'appliquer les leçons apprises quand il est passé au stade de «civilisé». Toussaint Louverture en dépit de son génie politique ne fait pas exception à cette visée pédagogique qu'assumait l'Etat moderne. Le code de travail coercitif établi par Toussaint Louverture est une aberration dans la mesure où la masse des esclaves ne bénéficiait d'aucune possibilité d'affranchissement à son épanouissement moral, social et économique. Bien qu'atténuer aujourd'hui, c'est-à-dire l'affranchissement de quelques milliers de ces esclaves, en général la situation reste la même puisque le système fonctionne encore.
2.1.3- La nouvelle formation étatique
Cette formation étatique repose sur une dichotomie Etat-Nation qui oppose l'élite qui représentait l'Etat et la masse ouvrière représentant la base de cette nation naissante. Gérard Barthélémy
38 prétend de son côté fournir une explication sans reste de la misère et de la pauvreté comme de la dictature en Haïti à partir de l'opposition entre créoles (esclaves nés dans l'île) et bossales (esclaves fraîchement débarqués, peu adaptés à la condition d'esclave) venue en droite ligne de la période esclavagiste. Les créoles qui occuperaient l'Etat, seraient individualistes, pro-occidentaux, préoccupés de son enrichissement économique, pendant que les bossales se caractérisaient par leur communautarisme, leurs pratiques holistes et la création de contre-valeurs face à l'occidentalité, enfin et surtout par leur marronage ou pratique de fuite par rapport à l'Etat
. Cette perspective demeure finalement fort éloignée de celle de Lundhal dans la mesure où Barthélémy comme pour conjurer la mauvaise fortune de la misère prétend que la paysannerie haïtienne offre pour la première fois dans l'histoire universelle une alternative au développement si cher à l'occident. Nous serions en présence d'une société, ou plutôt d'une paysannerie qui serait la descendante directe des bossales, qui aurait «choisi d'être pauvre» parce qu'elle est essentiellement mue par une pulsion égalitaire.
2.1.4- Des périodes de grande instabilité politique
L'histoire politique haïtienne est faite d'une succession de régimes autoritaires presque toujours contestés et renversés. Dès les guerres de l'indépendance et le gouvernement de Toussaint les principales lignes de force sont tracées. Les exigences de la lutte conduisent à l'absolue militarisation du pays. Le peuple est une armée sur laquelle ses chefs ont droit de vie et de mort. Une abondante littérature a déjà fait état de ces périodes. On ne fera ici que rappeler sommairement les éléments essentiels. Bien avant l'indépendance, la colonie de St-Domingue existait depuis plusieurs années sans lois positives et fut gouvernée par des hommes ambitieux. Il a fallu comme le souligne Thomas Madiou «le génie-actif et sage du général en chef Toussaint Louverture, qui, par les combinaisons les plus justes, les plans les mieux réfléchis et les actions les plus énergiques, a su la délivrer presque en même temps de ses ennemis extérieurs et intérieurs ; touffer successivement tous les germes de discordes ; du sein de l'anarchie ; préparer sa restauration ; faire succéder l'abondance à la misère ; l'amour du travail et de la paix, à la guerre civile et au vagabondage, la sécurité à la terreur et enfin la soumettre tout entière à l'empire français
39 en se faisant proclamer gouverneur à vie par la constitution de 1801».
Sous ces ordres, les chefs militaires sont les maîtres, ils considèrent que les habitations doivent leur revenir pour récompenser leurs services à la guerre. Ils sont ignorants et avides de richesses. Ils disposent des cultivateurs à leur gré et sont seuls à pouvoir les faire travailler. Inversement, ces africains ne connaissent pas la loi ; ils ne connaissent que leurs chefs. Le pouvoir est économique et politique. Comme les nouveaux libres le disputent en même temps aux anciens libres et que ceux-ci sont en majorité mulâtres, on est à l'origine des féodaux de province, de l'oligarchie noire plutôt militaire, de l'oligarchie mulâtre plutôt bourgeoise, et de la paysannerie.
Cependant, la révolution avait renversé, avec violence, tout ce qui constituait le régime par lequel l'île de St-Domingue était anciennement administrée. Deux ans après l'indépendance et la mort de Dessalines, général en chef de l'arme indigène, ces «satrapes militaires
40 » s'appuient sur des armées de pauvres paysans racolés de force, mal équipés, mal soldés, qui furent un thème constant de plaints pour les nationaux et de dérision pour les étrangers jusqu'en 1915. Les chefs de d'Etat s'entourent, d'autre part, d'une garde qu'ils espèrent plus sûre. Le royal Dahomey de Christophe ou les tirailleurs de Geffrard sont les ancêtres des léopards duvalieristes. Les soldats ne connaissent que leurs chefs. Et ces chefs sont dominés par l'ambition et la jalousie depuis les origines. Après avoir contraint Toussaint Louverture à la réédition en se soumettant lui-même, Christophe qui craignait sa vengeance, approuva l'arrestation de Toussaint par Leclerc. Dessalines qui ambitionnait de succéder à Toussaint l'a dénoncé à Leclerc, fit tuer Charles Belair parce que Toussaint se proposait d'en faire son successeur. Christophe convoita le pouvoir de Dessalines lequel proposa à Capoix de le tuer. Pétion se dressa contre Christophe et il vit se dresser contre lui Guerin, Bonnet, Rigaud et finalement Boyer. Après le suicide de Christophe, Romain tenta de conserver le Nord contre Boyer. Soulouque dut se défaire de Maximillien et Geffrad et de Prophète. Les «libéraux» se voulaient tous chefs et ils se détruisirent, après 1875, par la rivalité entre Boisrond Canal et Boyer Bazelais. Rares les chefs d'Etat dont l'énergie ne fut pas toute consacrée à défendre leur pouvoir. Les luttes sont d'autant plus dures que les hommes sont souvent d'une vanité extrême, d'une fatuité ridicule qui n'épargne pas les meilleures.
Le pouvoir absolu suscite évidemment chez l'assujetti une servilité que renforcent la terreur et la faim. Il faut renchérir sans cesse dans la louange pour être entendu au milieu du concert des autres. Les «papas» Toussaint et Dessalines sont révérés comme des dieux. Pétion est «papa bon coeur». Salnave est «grand Protecteur». Les thuriféraires proclament Salomon «père de la Patrie », «Messie». Nord-Alexis est Régénérateur de la Patrie». Soixante ans plus tard, sur de pieux chromos, le christ présentera François Duvalier : «Ecce homo» « papa doc». Le pouvoir étant personnalisé à outrance et l'opposition légale étant impossible (toute critique est qualifiée d'atteinte à la sûreté publique), Il suffira pour faire une «révolution» d'abattre le chef de l'Etat. Vingt cinq dirigeants se sont succédés en Haïti depuis l'arrestation de Toussaint jusqu'à 1'occupation Américaine. Dessalines a été assassiné, Christophe s'est suicidé devant la révolte de ses généraux, Salnave a été fusillé, Hippolyte est mort d'apoplexie en allant réprimer une insurrection, Cincinnatus Leconte a sauté avec son palais, Vilbrun Guillaume Sam a été mis en pièces, quinze autres ont été renversés et pour la plupart exilés.
Quant au modèle de Constitution qui leur fut imposé par l'occupation américaine, c'était celui de Mussolini. La Constitution de 1918, rédigée par Franklin Roosvelt, ancien sous-secrétaire d'Etat de la Navy, a été «enfoncée dans la gorge des Haïtiens à la pointe d'une baïonnette» (Warren Harding). A l'ancienne «satrapie Noir» succédait une «dictature blanche» plus dure encore parce qu'elle ne pouvait pas être renversée comme l'autre. Douze ans après la désoccupation, la «révolution » de 1946 contre le despotisme du Président Lescot, a amené un comité Exécutif Militaire de trois membres au pouvoir qui organise les élections législatives du 12 mai 1946, desquelles est élu le président Dumarsais Estimé, de manière indirecte (par le parlement), le 16 août de la même année.
Nous noterons, comme le souligne Barros Jacques [1984, p. 514] que tous les généraux sont élus par l'assemblée Législative. Par contre, la Constitution de 1950, prévoyant l'élection du Président au suffrage universel direct et le droit de vote des femmes, provoque une crise aiguë dans le pays. Cette situation chaotique a amené le général Kebreau à réaliser le coup d'Etat du 15 juin 1957 contre le président provisoire, le leader charismatique Daniel Fignolé, et à organiser les élections présidentielles du 22 septembre 57 au bénéfice de François Duvalier. En commentant cet événement, Gérard Pierre-Charles
41 avance «les thompsons (mitraillettes) furent les forces qui aidèrent le monstre à naître».
2.1.5- Une déstabilisation économique
Le déclin économique constant du pays depuis une cinquantaine d'années excite la curiosité et met la raison à l'épreuve surtout quand on mesure la distance qui sépare Haïti de sa voisine, la République dominicaine.
Des études récentes sur les difficultés du passage de la société haïtienne à la modernité poussent Kern Delince
42 par exemple, à comprendre ce qu'il appelle la banqueroute actuelle du pays. Tout en essayant de placer Haïti dans son environnement extérieur, à savoir l'impérialisme nord-américain,
Kern Delince refuse de faire des Etats-Unis un deus ex machina qui expliquerait tous les déboires du pays. Il s'appesantit sur «la pathologie de la vie politique haïtienne», sur «l'anomalie» que représente la situation politique d'Haïti dans la Caraïbe et surtout sur la passion du pouvoir pour le pouvoir qu'on découvre dans l'histoire du pays. Il s'interroge sur la recherche du pouvoir absolu chez la plupart des présidents qui se seront comportés en monarques vivant au-dessus des lois et qui n'ont en rien modifié le système social, économique et administratif. On dirait que la mise en application de lois et de normes universalisables fondées sur le recours à la raison demeure liée à des facteurs qui manquent singulièrement en Haïti où le lien social semble être fondé essentiellement sur le religieux (christianisme et vaudou).
Plus récemment, Leslie Péan
43 choisit de se lancer dans une hypothèse sur les causes de la pauvreté et du despotisme récurrent et fait remonter à Toussaint Louverture les pratiques de corruption qui sont décrites comme structurales à travers l'évolution sociale, économique et politique du pays. En recourant à la théorie du pouvoir comme technique et moyen de contrôle élaboré par Michel Foucault, Leslie Péan s'efforce de sortir des sentiers battus pour renouveler la réflexion sur les sources de la dégradation continuelle de l'économie haïtienne et la réapparition de gouvernements dits forts qui maintiennent Haïti dans la condition d'une société de non-droit.
L'obsession est la même dans les travaux de Sauveur Pierre Etienne
44 qui parle encore de cette impuissance à «construire un ordre démocratique durable où la raison de la force cède le pas à la force de la raison». Avec le colloque international, de nombreux chercheurs ont exprimé leurs appréhensions sur ce qu'on croyait être un véritable processus de démocratisation et sur les mobiles de l'intervention américaine qui ramenait Aristide (après son exil de trois ans) dans sa fonction de président de la République. L'espoir était encore à l'ordre du jour dans de nombreuses contributions à cet ouvrage
45 . D'autres chercheurs, comme Marc Massenchalk et Jean Claude Jean
46 soutiennent que le «pays est même loin de faire l'expérience d'une transition démocratique»
. Par contre, seule Kusti-clara Gaillard
47 semble trouver une explication logique et censée au déclin économique du pays, cependant vu l'antériorité de cet argument on se demanderait s'il arrive même a être considéré en temps que tel. Cet argument repose sur une dette évaluée à 150 millions de francs or (soit le budget de la France au début du XIXe siècle) que la jeune république a contracté en vue de la reconnaissance de son indépendance par la France. Gaillard expose ces faits tout en relatant l'histoire en ces termes : «Après avoir accomplit sa révolution, Haïti affronte un monde dominé par des Etats encore esclavagistes. En ce sens la jeune république est mise en quarantaine pour empêcher que se propage son exemple. Elle devra attendre vingt et un ans pour que l'ancienne métropole, par l'ordonnance de 1825, renonce à sa reconquête et reconnaisse son indépendance. Le monarque Charles X par sa fameuse ordonnance du 17 avril 1825, édictée sous la pression des milieux commerciaux français, concédait donc l'indépendance à Haïti. Mais en contrepartie, les ex-colons français dépossédés de leurs biens, devraient être dédommagés. De plus, il exigeait une réduction de 50% des droits de douane sur les navires français et leurs marchandises, qui faisaient mouvement dans les ports haïtiens. Malgré l'importante diminution des revenus de l'Etat haïtien, le gouvernement autocrate de Boyer (1818-1843) a accepté toutes les conditions exigées par l'ancienne métropole. Dorénavant il n'a plus à craindre une expédition militaire de reconquête et il peut mieux contrôler les mouvements paysans aux revendications très larges».
Cependant pour faire face au paiement de la première annuité de l'indemnité due, l'Etat haïtien a recours en 1825, à un emprunt de 30 millions de francs, Celui-ci a 6% d'intérêt, côté dès l'année suivante à la bourse de Paris, est remboursable en 25 ans auprès des maisons de la Haute Banque française qui conservait un escompte de 20%. Ainsi 24 millions de francs sont transférés directement des caisses des Banques Lafite, Rotschild, Lapnouze... à la caisse des dépôts et Consignations à Paris. Le principe même de l'indemnisation indigna la population haïtienne qui assistait aux embarquements périodiques de lots d'or et d'argent. Elle subissait en outre les retombées du code rural de 1826. Ce dernier invitait, au besoin par la force, les cultivateurs à planter des denrées dites coloniales, seules garanties pour faire face aux engagements financiers. Or, avec la baisse du volume du café haïtien exporte, les droits d'exportation collectée diminuaient, surtout que la chute des cours du café était allée, elle aussi en s'accentuant. (En1830, au Havre, cent Kilos ne valaient plus que 83,70 francs). Les recettes douanières à l'importation rétrécissaient elles aussi, d'autant plus que le privilège du demi-droit de l'ordonnance de Charles X fut appliqué jusqu'en 1830. Il faut, en outre, signaler que le montant de l'indemnité avait été fixé par le gouvernement français. Celui-ci, unilatéralement avait évalué les superficies cultivées en caféiers, canne, cotonniers, indigotiers, bois, etc., et avait de la même façon, évalué le rendement unitaire de chaque culture. Or, il y avait eu, en fait, sur évaluation de ce rendement, ce qui explique, en tenant compte des facteurs précédemment mentionnés, la difficulté croissante de l'Etat haïtien à payer ses échéances.
En 1838, il s'avéra donc nécessaire pour les deux parties de renégocier les modalités de l'indemnité coloniale. La France y avait d'autant plus d'intérêt qu'en ces années-là, elle occupait le dernier rang du mouvement commercial d'importation d'Haïti après l'Angleterre, les Etats-Unis, l'ensemble des villes Hanséatiques. Au mois de février 1838 les deux nations signèrent un traité de reconnaissance formelle de l'indépendance d'Haïti, avec une clause octroyant à chacune des parties, le traitement de la nation la plus favorisée, en attendant la signature d'une convention commerciale. De plus, elles convinrent d'un accord réduisant la dette coloniale à 60 millions de francs. Des lors, l'ensemble des deux obligations, dédommagement et emprunt, désigne, à partir de l'arrangement conclu le 22 décembre 1870, sous le nom de «double dette» s'élève à 90 millions de francs or. Le café haïtien essentiellement exporté vers l'entrepôt du Havre, est donc la clé de voûte du paiement de la «double dette». Cette denrée est aussi, à cause des ressources douanières et du niveau des revenus des producteurs qui en découlent, le pivot du débouché haïtien pour les produits importés français entre autres.
Aussi dès 1840, la France songe à élaborer un traité commercial avec Haïti pour deux raisons : se faire payer les sommes dues et s'assurer une meilleure part du marché haïtien. Mais elle avance toujours comme préalable l'abrogation de la clause de la première Constitution haïtienne qui stipule l'interdiction pour les étrangers de race blanche, d'accéder à la propriété foncière et immobilière dans le nouvel Etat. Aussi, jusqu'à la première année du XXe siècle, aucun accord commercial franco-haitien n'aboutit, malgré la multiplication des démarches françaises dans les années 1880. Parallèlement à celles-ci, la «double dette» va être épongée et de nouveaux emprunts vont être contractés. Les réalités commerciales haitiano-francaises régissent donc la solvabilité de l'Etat haïtien, tout en influençant les rapports financiers entre les deux pays.
Depuis la signature du traité d'amitié en 1838, la préoccupation essentielle des gouvernements français est que Haïti remplisse ses engagements envers la Haute Banque et la Caisse de Dépôts et Consignations. En effet, même si la balance commerciale haitiano-francaise est de plus en plus favorable au jeune Etat, la compensation numéraire en devises fortes n'existe pas pour Haïti. L'essentiel de l'argent restait en Europe pour payer la «double dette» Les négociants consignataires et banquiers étrangers établis en Haïti (les Français étant de plus en plus nombreux à partir de 1850), se libéraient des droits de douane par des traités sur Paris, Liverpool, Londres. Leurs correspondants négociaient ces traités à leur avantage avec la Caisse de Dépôts et Consignations. Elaborée dans les années 1850, cette combinaison enrayait les mouvements de protestation contre la spoliation des devises. De plus, le gouvernement haïtien souvent à court d'argent, contractait des emprunts très onéreux, «quelques-uns a 10% par mois » auprès de ces même négociants consignataires payés en bons compensables. Ces derniers servaient à acquitter les droits de douane. Les négociants faisaient trafic de leurs bons de sorte que presque tous les droits dans les principaux ports de la république étaient payés en papiers, et que malgré l'augmentation des recettes, il n'entrait presque plus d'argent dans les caisses du gouvernement. Et enfin, une partie des devises servait à payer les importations en provenance des Etats-Unis...
Or, le gouvernement de Domingue, nommé par la nouvelle assemblée Constituante, le 11 juin 1874, ne sera reconnu par la France qu'après le paiement de l'échéance de la «double dette». La pression financière française s'accroît donc dans une conjoncture politique haïtienne mouvementée.
2.1.6- Une dictature féroce et sanglante
Les travaux de Stammer Otto
48 ont prouvé généralement, que les tensions sociales et les crises économiques, jointes à la détérioration de l'ordre constitutionnel et au développement des groupes de pouvoir antidémocratiques, sont quelques-uns des facteurs qui déterminent l'émergence des régimes dictatoriaux.
Haïti, à la chute du régime militaire du général Paul E. Magloire, est confronté à une situation similaire qui ébranle le système politique établi durant l'occupation américaine (1915-1934) et rend difficiles les traditionnelles et habiles manoeuvres des élites dans le cadre du jeu de la démocratie représentative. En effet, de décembre 1956 à juin 1957, il se produit un vide total qui donne lieu à une situation de chaos généralisé au cours duquel cinq gouvernements provisoires se succèdent, la dissolution du Parlement et l'affrontement entre les deux fractions de l'armée, le 25 juin 1957 ont lieu. Sans minimiser le contexte d'agitation sociale, de convulsions politiques et de confusion donnant lieu à divers massacres et à des élections frauduleuses, il faudra toutefois souligner les facteurs externes expliquant cet état de fait.
Ainsi, en argumentant la politique américaine envers la région de la Caraïbe, après la Révolution cubaine, Etienne la voit «se caractériser par la phobie anticastriste et son objectif était d'empêcher la répétition de l'expérience cubaine dans les pays de cette zone ; elle fournit à Duvalier le contexte idéal pour le développement et la consolidation de son régime dictatorial de caractère personnaliste qui allait durer 29 ans »
. En effet, l'appui des Etats-Unis au régime de «papa doc» est sans équivoque : le renforcement de l'armée au moyen de la livraison d'armes et de munitions, l'instruction technique et un appui économique de 100 millions de dollars durant les six premières années. Profitant de cette situation, le dictateur réussit à «duvaliériser» l'armée, créer sa milice (les fameux «tontons macoutes»), neutraliser les organisations de la société civile. Au moyen de la violence et de ses méthodes de répressions devenues légendaires, François Duvalier parvient à instaurer une situation de paix de cimetière
49 et à assurer, en modifiant la Constitution de 1964 dans le sens du régime présidentiel à vie, la succession de son fils Jean-Claude, âgé seulement de 19 ans.
Ainsi le 22 avril 1971, jour de l'annonce officielle de la mort du dictateur est aussi le jour de «l'intronisation» de Jean-Claude Duvalier, son fils, comme Président à vie. Avec l'anéantissement total des forces de l'opposition de droite et de gauche, surtout le démantèlement du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (PUCH)
50 , le régime de Jean-Claude Duvalier avait besoin du ferme appui des Etats-Unis. En effet, l'ambassadeur des Etats-Unis d'alors, M. Clinton Knox, s'érige en parfait et principal architecte de cette succession pacifique et demande officiellement au Département d'Etat d'expédier des bateaux de guerre près des eaux territoriales haïtiennes pour éviter l'infiltration des exilés qui pourrait perturber le calme du pays.
Par contre, dès le début de son gouvernement Jean-Claude Duvalier doit affronter le défi d'une croissante détérioration économique qui se manifeste dans ses dimensions structurelles
51 et conjoncturelles
52 . Pour cela, le nouveau président s'éloigne du nationalisme absurde et démagogique de son père
53 , Jean Claude Duvalier essaie de mettre en oeuvre un projet de modernisation du pays qui se situe dans le cadre des relations de type néocolonial établis entre Haïti et les Etats-Unis depuis l'occupation américaine. Malgré une nette amélioration au niveau des investissements étrangers dans le domaine de la sous-traitance et l'augmentation de l'aide
54 international dans les quatre premières années. Ce «boom économique » a par contre comme caractéristique essentielle, la concentration des revenus au niveau des entrepreneurs étrangers et locaux, du gouvernement et du monde des affaires. Il se manifeste surtout dans des constitutions résidentielles de luxe (château et palais), voitures de luxe et un armement impressionnant. Parallèlement, à ce boom économique qualifié par Etienne, [1999, p. 75] de «économie de vitrine» et à l'étalage du grand luxe de l'oligarchie économique et politique correspond la croissante détérioration des conditions de vie de la population.
2.1.7- Evolution du nouveau régime à travers les élections
Les nombreuses Constitutions de la République d'Haïti, écrit Barros Jacques [1984, p.513], «sont des textes de convenance qui ne correspondent ni aux moeurs ni aux réalités nationales et qui sont enfreintes ou remaniées dès qu'elles gênent». La Constitution de 1806 est inspirée par la Constitution de l'An 3 que la Convention thermidorienne avait imaginé pour la France, avec quelques emprunts à la Constitution des Etats-Unis. Accordant l'essentiel des pouvoirs à un Sénat, elle n'est qu'une machination de l'oligarchie de l'Ouest et du Sud pour désarmer Christophe.
La Constitution de 1816 est celle qui a duré le plus longtemps.Elle fut pratiquement reprise jusqu'en 1867 et Bolivar s'en inspira pour l'Amérique latine. Le pouvoir législatif est exercé par deux chambres : une Chambre des représentants des Communes et un Sénat. Les Sénateurs sont nommés par les députes sur une liste de trois candidats par siège présentée par le Président. Seul le Sénat nomme le Président d'Haïti qui est élu à vie et dont les attributions sont extrêmement larges.
Des Constitutions beaucoup plus libérales ont fait suite à des périodes d'autoritarisme excessif : celle de 1806 après Dessalines, celle de 1867 après Geffrard. Madiou tenait la Constitution de 1874 pour la meilleure, sauf pour l'élection du chef de l'Etat par le Sénat et la Chambre réunie en Congres
55 . Le système des deux Chambres et de l'élection du président par le seul Sénat avait, en effet, été rétabli. Le Président était nommé pour huit ans. Il n'en pouvait être réélu avant un intervalle équivalent.
La Constitution de 1987, après sa ratification le 29 mars, constitue l'acte de naissance par excellence du nouveau régime qu'allait adopter la République d'Haïti, bien qu'elle fasse l'objet jusqu'à présent de nombreux débats
56 . La constitution de 1987 pose de toute évidence les règles et conditions de l'établissement d'un nouveau régime. En effet, elle établit un pouvoir exécutif bipolaire avec le président comme chef de l'Etat et le Premier Ministre responsable devant le parlement, comme chef de gouvernement. Celui-ci est choisi par le Président au sein du parti majoritaire au parlement qui doit ratifier son choix et approuver sa déclaration de politique générale. Le parlement peut aussi, par un vote de non-confiance, obliger le Premier Ministre à démissionner. Le président non seulement partage le Pouvoir Exécutif avec le Premier Ministre, mais aussi partage certains de ses privilèges avec le Sénat qui peut ou non approuver certaines de ses initiatives ou décisions. Il s'agit d'un régime politique semi-présidentiel et semi-parlementaire très similaire à celui de la France. Par contre celle d'Haïti ne permet pas au Président de dissoudre le Parlement, tandis que le Sénat peut s'ériger en Haute Cour de Justice pour décider du sort du président, après la mise en accusation de ce dernier par la chambre des Députes.
Avec le système de décentralisation établi par la Constitution de 1987, les pouvoirs locaux acquièrent une signification réelle depuis les sections communales, les communes et les départements ; le Conseil interdépartemental dont les membres participent au Conseil des Ministres avec le Président et le Premier Ministre fait des autorités du Pouvoir Exécutif, comme le souligne [Etienne, 1999, p.117], «de simples serviteurs publics» et Michel Saint-Louis, commentant le caractère insignifiant du pouvoir Exécutif, écrit : «le qualificatif de régime d'assemblée est le seul qui rende compte de la vraie nature de ce système constitutionnel aussi complexe». Il met en évidence le pouvoir tout-puissant du parlement et le rôle subordonné ou réduit du Pouvoir Exécutif
La Constitution de 1987 garantit aussi la liberté d'expression, le pluralisme politique, le rôle essentiel des partis politiques dans la formation du gouvernement et la création d'un Conseil Electoral Permanent indépendant du pouvoir Exécutif, lequel est chargé de l'organisation de toutes les opérations électorales sur le territoire de la République. Enfin, la Constitution de 1987 fait du créole une langue officielle au même titre que le français (Art.5)
2.1.8- Les élections du 29 novembre 1987
Après les journées de grève et de mobilisations de rue sans succès des mois de juin et de juillet pour renverser le Conseil National de Gouvernement, le mouvement populaire et démocratique représentant les 57 organisations socio-politiques et partis de gauche et la principale force électorale du pays se prépare, souligne [Etienne, 1999, p. 120], à participer au processus électoral. Malgré l'appui matériel et financier des Etats-Unis, de la France, du Canada et du Venezuela au processus électoral, les problèmes logistiques et les difficultés de toutes sortes augmentent pour le CEP qui ne peut pas compter sur l'appui du C.N.G., c'est-à-dire de l'aide de l'armée, ni de la police pour transporter les matériels de vote, surveiller et protéger les locaux et les bureaux électoraux. Hormis la non-collaboration de l'armée et de la police, on n'en registre du côté du mouvement démocratique des déclarations qui contribuent à aggraver la situation de tension entre le C.N.G. et le CEP, sans se préoccuper du fait que les élections allaient s'organiser sous l'égide du même C.N.G. qui contrôlait l'appareil d'Etat. Il y a lieu de souligner, et du côté du C.N.G. et du mouvement démocratique certains faits qui peuvent prêter à équivoque tels :
- la désignation comme candidat de l'ancien membre du C.N.G., le professeur Gérard Gourgue qui a démissionné à la suite des conflits avec les militaires ;
- le rejet, par le CEP, le 2 novembre, de la candidature de 12 individus liés à l'ancien régime ;
- l'incendie criminel détruisant le magasin d'Emmanuel Ambroise, un membre du CEP, et l'imprimerie le Natal qui prépare les bulletins de vote ;
- le marché Salomon, situé près d'un poste de police, dans la nuit du 23 au 24 novembre est incendié ;
- l'enregistrement chaque jour des corps criblés de balles dans les rues de Port-au-Prince ;
- le pillage des bureaux régionaux du CEP ;
- la destruction des matériels de vote et des locaux des partis politiques mitraillés.
Des actes de violence revendiqués à la radio et à la télévision par des leaders duvaliéristes sans que les autorités n'interviennent ; les fortes explosions enregistrées à la veille des élections ; et enfin le massacre de la ruelle vaillant causant la mort des dizaines de votants.
En dépit des motifs qui ont poussé Toussaint à proposer une constitution à la colonie de St Domingue, après certaines analyses, on peut se rendre compte que la Constitution qualifiée la «plus convenable» de St Domingue fut imprégnée de tous les voeux du commandant en chef. Cependant cette remarque a été identifiée dans la majorité des cas dans diverses autres Constitutions. Comme la Constitution de 1806 et de 1950, celle de mars 1987 retrace les mêmes faits suite à l'élection au suffrage universel direct qui devrait être réalisé le 29 novembre 1987. Les revendications sociales, la mobilisation populaire, le choc des intérêts et la lutte pour le pouvoir représentent l'intersection de ces Constitutions.Par contre, à la différence de la première qui a provoqué la scission du territoire en quatre Etats et transformé le pays en un véritable volcan en éruption avec d'interminables guerres entre les Etats rivaux et de la seconde qui a donné naissance à la dictature des Duvalier, celle de 1987 a débouché sur la consultation électorale prévue pour le 29 novembre 1987.
2.1.9- Les élections du 17 janvier 1988
Le déroulement des élections déroulées en 1988 ne constituent pas une avant première dans l'histoire politique du pays. Elle est comme d'habitude le genre de réponse utilisée par de nombreux chefs d'Etat en Haïti. En effet, après la dissolution par décret du CEP, le Conseil National de Gouvernement établit un nouveau Conseil Electoral Provisoire en promulguant une loi électorale et convoque le peuple aux comices du 17 janvier 1988. Cependant, les quatre candidats les plus représentatifs des forces politiques du pays, à ce moment, Gerard Gourgue, du Front National de Concertation (F.N.C.), Sylvio C. Claude, du Parti Démocrate Chrétien Haïtien (P.D.C.H.), Marc Bazin, du Mouvement pour l'instauration de la Démocratie en Haïti (MIDH) et Louis Dejoie II, du Parti Agricole et Industriel National (PAIN) se rassemblent pour former le Comité d'Entente Démocratique (CED) , exprimer leur refus de participer à une élection organisée par le C.N.G. et réclamer sa démission. Le CED, avec l'appui d'une cinquantaine organisations de la société civile, convoque deux journées de grève pour le 6 janvier et le 6 février afin de montrer à l'opinion publique nationale et internationale l'isolement total du gouvernement militaire et le caractère antidémocratique des élections du 17 janvier 1988. la réponse de la population fut massive dans tout le pays, ce qui n'empêche pas le C.N.G. d'organiser ces dites élections, avec un taux de participation plus qu'insignifiant, desquelles est 'élu' Leslie F. Manigat. L'élection de Manigat, le 17 janvier 1988, constitua l'un des pires moments de déchaînement de la soldatesque en termes d'assassinats et de vols nocturnes.
Le coup d'Etat du 20 juin du général Namphy, survenu le 17 juin après que le président Manigat a essayé de le relever de sa fonction de général en chef de l'armée, prouve qu'une transition concertée, selon le modèle consensuel, n'aurait jamais été possible en Haïti.
2.1.10- Les élections de décembre 1990
Ces élections, ont été l'oeuvre de plusieurs négociations nationales d'une part et internationales d'autre part. Etant donné la claire volonté manifestée par les présidents provisoires antérieurs de se maintenir indéfiniment au pouvoir, les protagonistes, constitués par les secteurs du mouvement démocratique en Assemblée de Concertation
57 (A.C.), prennent la précaution d'établir clairement dans l'accord signé le 4 mars 1990 à côté du Pouvoir Exécutif dirigé par la juge Ertha Pascal Trouillot, un Conseil d'Etat constitué par les représentants désignés des neuf départements géographiques du pays et des organisations de la société civile, dont le mandat est de contrôler et de surveiller le Pouvoir Exécutif. Et en plus du droit de tutelle, ce conseil d'Etat jouit aussi du droit de veto. Le 14 mars 1990, le commandant en chef de l'armée, le général Hérard Abraham, remet le pouvoir, qu'il assumait provisoirement à Ertha Pascal Trouillot. Celle-ci, oubliant les exigences des membres du Conseil d'Etat (très passionnés par le mouvement populaire qu'ils représentent), refuse d'entreprendre de grandes opérations de justice et d'assainissement au sein de l'administration publique. Elle s'attache à créer les conditions nécessaires à la réalisation des opérations électorales et à liquider les affaires courantes de l'Etat.
Cette obsession de Madame la présidente fut totalement partagée par la communauté internationale fatiguée pour n'avoir pas pu agir à sa guise dans le cas haïtien, si complexe, puisqu'il ne dispose pas d 'une pièce de rechange comme Corazon Aquino, aux Philippines ou Violeta Chamorro, au Nicaragua. Les forces duvalieristes et l'armée, affaiblies tout au long du processus de changement politique, ne sont pas totalement anéanties ou contrôlées, étant donné qu'à n'importe quel moment, elles pourraient se réorganiser, se fortifier pour bloquer le processus. Consciente de cette menace, la communauté internationale décide d'appuyer sans réserve la Présidente, invitée à Washington par le président George Bush et au Venezuela par le président Carlos Andrez Perez. A Port-au-Prince, elle reçoit la visite des missions militaires françaises et américaines celle des délégations de l'O.E.A., de l'O.N.U. et de la CARICOM, en vue d'évaluer, comme le réclament les autorités haïtiennes, les besoins et de définir les possibles conditions de leur participants dans la difficile tâche de garantir la sécurité, l'honnêteté et l'efficacité dans l'organisation des prochaines joutes électorales. La détermination de la communauté internationale pour assurer le succès de ces élections se manifeste aussi en termes d'appuis matériels et financiers au nouveau Conseil Electoral Provisoire (CEP). En raison de l'enregistrement de certains cas d'assassinats tels : le Conseiller d'Etat Serge Villard et le syndicaliste Jean-Marie Montès, en plein jour par un commando le 21 juin 1990 durant les premiers mois de la présidence de Ertha Pascal Trouillot. L'O.N.U., répondant à une demande de celle-ci, décide après le vote de l'assemblée Générale du 8 octobre 1990, d'envoyer une mission d'observateurs civils et des militaires sans armes pour la sécurité et la crédibilité des comices du 16 décembre ; l'O.E.A, la France, le Canada et d'autres pays quelques jours après feront de même. Cependant, peu avant l'établissement de l'exécutif, un coup de force de Lafontant
58 est menée dans la nuit
59 du 6 au 7 janvier 1991 et les rumeurs de coup d'Etat dans la nuit du 26 au 27 du même mois vont bon train. Et au bout de sept mois, le coup d'Etat sanglant du 30 septembre 1991provoque une crise de trois années. Selon Morlino, ce changement de régime entamé en Haïti lors des élections de 1990 connaît deux phases : la première qui consiste au maintien de l'ancien régime par les militaires suite aux pressions internationales et la deuxième phase qui, par l'intervention militaire d'une puissance étrangère ne peut créer qu'un régime en apparence formellement indépendant, comme ceux qu'on appelle régimes-fantoches, ou un régime à semi-souveraineté ou, enfin un régime réellement indépendant.
2.1.11- Les élections de 1995
Pour ces élections municipales et législatives de juin et de septembre, le président Aristide constitue un Conseil Electoral provisoire (CEP) chargé de conduire le processus. Il jouit d'une grande popularité et bénéficie de l'appui d'une puissante organisation politique (organisation Politique Lavalas). Cependant, selon les témoignages de certains dirigeants politiques du moment, le président manifeste une réelle volonté de contrôler le processus électoral, utilisant le faux prétexte suivant : si l'opposition gagnerait les élections législatives, elle le jugera pour avoir demandé l'intervention militaire destinée à le rétablir dans ses fonctions. Ainsi, profitant de la collaboration de la Cour de Cassation, il nomme la majorité des membres du CEP, ainsi la classe politique d'opposition n'ayant pas pu digérer sa défaite électorale retentissante mais prévisible, pourra qualifier l'Institution Electorale de CEP Lavalas et essayera de discréditer ces élections. D'autant plus que les médias d'Etat transformés en de véritables organes de la coalition Lavalas excluent la possibilité pour les partis de l'opposition de jouir du temps d'antenne reconnu par la loi électorale à tous les secteurs engagés dans le processus.
Même au sein de la coalition du mouvement Lavalas, constitué par l'O.P.L.. Le MOP et le P.L.B., Etienne prétend qu'il règne «un certain malaise dû au contrôle excessif exercé par le Président et ses plus proches collaborateurs. Ces derniers obligent les dirigeants de ces partis à se réunir au Palais National pour désigner leurs candidats respectifs, sans pouvoir intervenir dans la constitution de la liste finale qui sera envoyée directement du Palais National au CEP. Au Limbé, une commune du département du Nord, les membres du P.L.B. provoquent l'incendie du Bureau électoral communal pour protester contre le choix d'un membre de l'O.P.L. comme candidat de la Coalition. Cet événement malheureux donne lieu à la manipulation de l'Institution judiciaire contre le candidat de l'opposition dans ce district électoral, M. Dully Brutus, ex-député du PANPRA et ancien président de la chambre durant le coup d'Etat. L'interrogatoire dont M. Brutus est l'objet de la part de certains journalistes de la télévision d'Etat, crée un malaise au sein de la grande majorité de la classe politique au point que l'ex-parlementaire écoeuré, fut obligé de laisser le pays. Il est indubitable que ces pratiques n'ont rien à voir avec la démocratie et elles rappellent étrangement celles de l'ancien régime.
Concernant les présidentielles de décembre 1995, elles ont eu lieu dans un climat de division et de conflit à l'intérieur du mouvement Lavalas et de fortes pressions des Etats-Unis. En effet, malgré son engagement envers l'administration Clinton de ne pas essayer de récupérer les trois ans passés en exil, le président Aristide se lance dans une vaste campagne de manipulation des organisations populaires et tente, avec les ressources du trésor public, de mobiliser les masses populaires autour de sa permanence au pouvoir. L'opposition de l'Organisation Politique Lavalas (OPL) devenue par la suite Organisation du Peuple en Lutte qui détient une majorité relative dans les deux chambres, évite la participation du Parlement à cette aventure. Eut égard à l'hostilité qu'il provoque de la part de l'opposition et des Etats-Unis et vue son caractère anticonstitutionnel et antidémocratique Etienne souligne toujours [1999, p. 224] «que ce projet pourrait conduire le pays à une crise plus dramatique que la précédente et déboucher, cette fois, sur une occupation militaire étrangère non déguisée. Cette situation provoque une scission à l'intérieur du mouvement Lavalas avec, d'un côté, les partisans de la récupération des trois ans par le président et, de l'autre ceux qui sont favorables à l'organisation des élections pour assurer la continuité du pouvoir Lavalas sur la base de la légalité constitutionnelle». Cette situation relève d'un cas tout à fait particulier et spécifique à Haïti, car dans la culture même de l'Haïtien il est courant de passer outre des lois et même de la constitution quant cela va de son intérêt. Mais la faiblesse structurelle de l'opposition politique et l'érosion du peu de crédibilité qu'elle avait durant les trois années de la crise n'ont pas permis au président d'exécuter ses voeux puisque le candidat de la coalition Lavalas, René Garcia Préval a été élu avec 87.9 % des votes exprimés malgré un pourcentage de participation inférieur à 30% des votants.
2.1.12- Les élections frustrées de 1997
En plus du renouvellement du tiers du Sénat (9 sénateurs) et de deux députés, ces élections permettraient aussi la constitution des 556 Assemblées des sections communales, les 133 Assemblées Communales et les 9 Assemblées Départementales, le Conseil interdépartemental et le Conseil Electoral Permanent (CEP). Malgré l'importance de ces «élections» dans la dynamique du processus d'institutionnalisation démocratique, ces élections auxquelles ne participent pas les partis politiques de l'opposition, mettent face à face les deux principales organisations du mouvement Lavalas, l'Organisation politique Lavals (OPL) et la Famille Lavalas (F.L.).
Les fraudes et les actes de violence enregistrés durant la réalisation de ces comices d'après l'opposition portent l'OPL à rejeter les résultats de ces élections et à exiger leur annulation. Le rapport négatif du directeur de la mission d'Observation de l'O.E.A. et de l'ONU, M. Colin Granderson, concernant le climat dans lequel s'est déroulé le processus électoral, conduit cette institution à enlever son assistance technique au CEP. Dès lors, éclate une crise multidimensionnelle dont l'issue déterminera le sort du fragile processus d'institutionnalisation démocratique.
Cette crise résultant des élections de 1997 donne lieu aussi à une crise de régime et de gouvernabilité, car le Premier Ministre Rosny Smarth et le parlement désapprouvent ces élections tandis que le président René Garcia Préval reconnaît leur validité. Cette situation provoque la démission du Premier Ministre, le 8 juin 1997, et dès lors, le président n'arrive pas à se mettre d'accord avec l'O.P.L. qui détient une majorité relative dans les deux chambres, pour nommer un autre Premier Ministre. Une commission d'appui au Conseil Electoral Provisoire a été même instituée par Arrêté en date du 29 octobre 1997, paru au Moniteur No. 85 du jeudi 30 octobre. Les termes de référence de commission sont entre autres de :
Donner une opinion juridique sur le processus électoral en cours ;
Faire toutes suggestions utiles en vue de l'organisation et de la réalisation d'élections honnêtes et démocratiques aux dates fixées par le CEP ;
Le contenu de ce rapport coïncide dans son intégralité aux diverses contestations formulées par l'opposition au cours des élections du 7 avril 1997. Toutefois, face aux constats négatifs enregistrés tout au long du processus de changement de régime, il semble évident de souligner que la structure des conflits est telle que certaines institutions démocratiques pourraient être durables si elles étaient adoptées, mais les forces démocratiques en conflit décident d'établir un cadre institutionnel qui ne peut durer [Przeworski, op cit., p. 93].
2.1.13- Les élections de mai 2000
Depuis la caducité du parlement, le 11 janvier 1999, des efforts ont été déployés pour la tenue des élections en vue de compléter le Sénat de la République, reconstituer la chambre des députés, les Conseils d'Administration des sections Communales, les Conseils Municipaux, les Assemblées de Sections Communales, les Assemblées Municipales et Départementales, les Conseils Départementaux et le Conseil Interdépartemental. En effet, les élections prévues pour le mois de mai 2000 ont été réalisées et exécutés à la diligence d'un Conseil Electoral Provisoire. Elles se seraient déroulées d'après les déclarations et rapports de divers observateurs, et en particulier le rapport de l'expert indépendant de la Commission des droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme en Haïti, dans des conditions optimales de transparence et de liberté, avec un taux de participation assez élevé comparé aux scrutins précédents depuis 1990. Il n'y a pas eu pratiquement la moindre bavure policière; aucun policier n'a été dénoncé pour avoir empêché des citoyens d'accomplir leur devoir électoral. Certains ont même affirmé que la police a pallié les faiblesses du CEP car, dans certaines localités privées d'électricité, ses locaux ont servi d'espace de dépouillement sans la moindre interférence.
Aucune des missions d'observation n'a eu à dénoncer, au soir du 21 mai, des fraudes massives de nature à affecter la sincérité du scrutin. Plus tard, quand l'opposition devait dénoncer le pouvoir Lavalas pour utilisation de commandos armés et de la Police nationale aux fins de viol du suffrage des citoyens. Ils ont fait état d'urnes volées ou substituées par d'autres préalablement remplies, d'intimidation par les armes en évitant toute effusion de sang, de décomptes sans contrôle de mandataires, de faux procès-verbaux, de bulletins annulés et de candidats terrorisés ou détenus.
2.2- Démocratie et Négations de la démocratie en Haïti
Les conditions particulières d'apparition des régimes qui se disent ou sont considérés comme démocratiques doivent être analysées dans leurs singularités. Il demeure pourtant possible de discerner des facteurs favorables que l'on retrouve au moins partiellement à diverses étapes de ce long processus. Ils permettent de construire des hypothèses explicatives sur l'avènement de l'âge démocratique contemporain. Pour Braud [1997, p.31] La démocratie : «implique l'existence d'un climat intellectuel favorable à des changements ex : liberté de discussion, Club de discussion. En France, les philosophes défiaient de plus en plus ouvertement une censure royale qui d'ailleurs, était elle-même relativement tolérante. Les intellectuels avaient acquis un prestige considérable par leurs oeuvres savantes ou de vulgarisation. Certains d'entre eux avaient même des contacts politiques à grand impact sur l'opinion publique (action de voltaire en faveur du chevalier de la barre). Les salons auxquels ils participaient assidûment constituaient des lieux de discussion politique très ouverts. En d'autre terme il y a eu la construction d'un espace public de libre débat assumant un destin historique particulier. Il devient alors synonyme de nation au sens ethnoculturel du terme, c'est-à-dire une «gemeinschaft» unie par la croyance, fondée ou non en une origine commune. Le peuple ainsi entendu à vocation à se donner un Etat qui lui permette d'exprimer son vouloir vivre collectif»
Par contre Raymond Aaron pense que devant l'impossibilité de considérer l'idéal démocratique d'un «gouvernement par le peuple et pour le peuple» admettait sans ambages : qu'on «ne peut concevoir de régime qui en un sens, ne soit oligarchique. L'essence même de la politique est que des décisions soient prises pour, non par la collectivité ».
Pour Aristote [Ibid., p.35] très rationnel sur la question se contente de «définir catégoriquement et mettre en parallèle suivant leurs contrastes, les différentes formes de gouvernement suivantes : la royauté et la tyrannie sont le gouvernement d'un seul ; l'aristocratie et l'oligarchie le gouvernement de plusieurs ; la politeia et la démocratie le gouvernement de la multitude».
Allant dans le même sens qu'Aaron, Montesquieu [Ibid, p.35] associe toujours le régime démocratique à une forme de République, le peuple se manifeste à la fois comme sujet et monarque et Jean Jacques Rousseau de son côté sur l'exercice de la souveraineté «par tout le peuple ou la plus grande partie du peuple»
Compte tenu de la diversification des structures et l'extension des taches de gouvernement dans les Etats contemporains et l'impossibilité pour la «multitude» d'être en position de gouverner par elle-même mais seulement par une minorité, Grawitz par contre admet «que toute démocratie est représentative et son critère distinctif par rapport à toute autre forme de régime politique ne peut-être que l'élection des dirigeants au suffrage universel, opérée sous certaines conditions de procédure». Par ce critère distinctif, elle arrive à jouer une place prépondérante dans l'étude des régimes politiques. Toutefois, ceci n'empêche qu'elle continue d'être remise en question.
L'ensemble des informations recueillies dans la littérature consultée sur le concept « Démocratie » permet d'avancer que la démocratie est un rapport de force entre les acteurs politiques. Ce rapport, en absence du respect des règles, peut donner naissance à des conflits voire des crises de sociétés. Commentant la société conflictuelle dans un espace donné, Lecomte [1999, p. 21] pense que toute société globale articule de multiples groupes qui rassemblent des individus porteurs de statuts et de rôle divers (familles, classe d'âges, catégorie professionnelle, etc.). La société est donc différenciée. De plus, elle est hiérarchisée : tous les groupes d'âges ou de professions, par exemple, ne sont pas placés au même niveau sur l'échelle des valeurs propres à la culture d'une société ; et cette hiérarchie affecte aussi les membres d'un même groupe (dans la famille patriarcale domine le père, par exemple). Toutes ces marques de différenciation hiérarchisées forment la structure même de l'ordre caractéristique de chaque société et le statut de chacun de ses membres dépend de leur possession. De ce fait, elles deviennent des enjeux sociaux ; elles suscitent et nourrissent une compétition permanente entre les groupes. Et cette compétition est elle-même génératrice de désordres, de conflits qui constituent une menace récurrente pour l'unité et la cohésion de la société toute entière.
Ces conflits qui traversent et travaillent en permanence tous les rapports sociaux font l'objet, dans toutes les sociétés, de procédures d'ordonnancement, de mise en scène, destinées à prévenir les risques de déchirure du tissu social qu'ils entraînent. Ces procédures, caractéristiques de chaque société, conditionnent donc sa survie en tant quantité, en aménageant le déroulement des litiges et en organisant leurs mécanismes de contrôle ou de règlement dans le cadre d'un «ordre conflictuel» plus ou moins cohérent et contraignant».
Tout conflit, écrit encore Lecomte [Ibid, 1999, p. 21] «peut être réglé selon deux modalités. La première ne mobilise que ses protagonistes. C'est le cas lorsque ceux-ci partagent des valeurs et des normes culturelles propres à leur permettre de trouver les moyens d'un règlement spontané du litige. On dit alors que le conflit a été réglé par intégration, c'est-à-dire par la force coercitive des normes collectives qui assurent d'elles-mêmes le contrôle social des membres du groupe. Lorsque l'intégration se révèle inefficace, le conflit se règle par la loi que le plus fort des acteurs en litige impose au plus faible.
La seconde modalité, en revanche, fait appel à un intervenant extérieur aux parties en conflit qui leur propose sa médiation ou leur impose son arbitrage, au nom d'un intérêt supérieur à leurs intérêts respectifs. Le règlement des conflits par médiation ou arbitrage est, dans la vie sociale, beaucoup plus fréquent que leur règlement spontané, par l'intégration ou par la force. En effet, aucune société ne parvient à fonctionner, soit sur la base d'une harmonie parfaite fondée sur une intégration totale de ses membres, soit sur la base d'un pur rapport de forces fondé sur l'imposition aux plus faibles de la loi des plus forts.
La réalité se situe entre l'idéal de la paix civile absolue et l'anti-utopie radicale de la guerre civile permanente. Chaque société doit donc, pour survivre, organiser des modes de médiation ou d'arbitrage propre à permettre l'expression et le règlement de ses conflits dans le cadre de l'ordre social qui la caractérise.C'est précisément dans ce processus d'organisation et de contrôle des conflits qu'apparaît le politique.
En Haïti, il paraît que le politique n'assure pas efficacement son rôle de régulateur et de controleur des conflits. Souvent il se trouve qu'il est à la fois juge et partie. En effet, le 29 novembre 1987 le système politique ayant à sa tête l'armée, au lieu d'assurer son rôle de régulateur, se retrouve comme l'un des principaux protagonistes de la crise résultant des conflits électoraux et juge en fonction de ses intérêts. Un régime de dictature peut-il être un élément du processus de transition vers un régime de démocratie ? Les procédures juridiques acquièrent-elles de la validité là où il y a absence du pouvoir judiciaire ? Par quel artifice une mentalité non-légaliste se transforme-t-elle en son contraire ? Par décret ou par la lutte entre les classes sociales ? La révolte constitutionnellement obligée qui se déroule maintenant en Haïti a déjà répondu en grande partie à ces questions. La situation haïtienne est analogue, toutes choses étant égales, à celle qui prévalait aux Etats-Unis et en France à la fin du XVIIIe siècle : c'est celle de la fondation du discours démocratique.
Le pouvoir n'est légitime que s'il procède de la volonté du peuple souverain telle qu'il se l'exprime en sa majorité par la voie du suffrage universel, libre, égale et secret. Tout pouvoir illégitime doit être destitué. Et tout comme au XVIIIe siècle, la fondation du discours démocratique s'élève dans la contradiction.
Le Conseil National de Gouvernement (CNG) a dû adopter, sous les pressions de la population, un calendrier politique au cours du mois de juin 1986, échelonnant les différentes élections devant aboutir à la remise du pouvoir par le CNG au nouveau président, le 7 février 1988 [Larose V 1987]. Le CNG limitait ainsi son pouvoir dans le temps. Il détenait cependant un pouvoir absolu. Car aucun contre pouvoir n'était institué. Le CNG est donc formellement une dictature. Or, le Constituant 87 va se laisser piéger dans le calendrier du CNG. Il l'a repris tel quel sans en faire la politique du calendrier politique. Ce qui implique forcément une application à la fois partielle et différée de la Constitution et comporte une contradiction grosse de conséquences : le CNG est, d'après l'article 285, autorisé à prendre en Conseil des Ministres, conformément à la Constitution, des décrets ayant force de Loi jusqu'à l'entrée en fonction des députés et sénateurs élus sous l'empire de la présente Constitution. Mais aucune institution indépendante n'est prévue pour se prononcer sur l'inconstitutionnalité des Lois. Mais c'est à l'occasion d'un litige, et si le renvoi lui en est fai,. qu'il incombe à la Cour de Cassation le contrôle effectif de la constitutionnalité des Lois. Pis : l'illégitimité de la cour de Cassation invalide grandement, dans la période de transition, le recours à l'article 183.
Un conseil constitutionnel aurait dû être établi. Il aurait été chargé du contrôle juridictionnel de la légalité des règlements, des actes de l'Exécutif. L'autonomie du pouvoir judiciaire est donc impensée pour la période transition. L'impensé de ce pouvoir est lié à la condamnation constitutionnelle du duvaliérisme et potentiellement des candidats duvaliéristes. L'article 291 bannit des fonctions électives pour les dix prochaines années toute personne ayant concouru par ses excès de zèle au maintien de la dictature des Duvalier. Il en découle le dualisme suivant : un individu notoirement connu comme duvaliériste demeure partiellement un citoyen : il peut voter, choisir ses représentants. Mais, il ne peut se présenter candidat aux fonctions électives. S'il se fait cependant sage, si son âge le lui permet et si la clameur publique ne l'a pas dénoncé, le candidat duvaliériste peut se réhabiliter politiquement au-delà des dix prochaines années. Il est en tant qu'électeur, un citoyen, et, en tant qu'homme politique, un banni. Cet hiatus dans sa condition traduit la tension chez le constituant de 87. Condamner le duvaliérisme comme régime politique ayant commis des crimes contre l'humanité ? Ou laisser cette condamnation à la loi de l'offre et de à la demande ? Les conditions du marché, du rapport de forces, feront condamner tel candidat dans telle zone et non pas tel autre présentant le même profil dans telle autre zone. Et d'ailleurs, l'instance chargée de recevoir les déclarations de candidatures, le CEP (Conseil électoral provisoire) ne dispose pas de la violence légitime pour faire appliquer ses décisions. Le Conseil Electoral Permanent ne possède que l'arme idéologique. Les échéances électorales allaient faire éclater les contradictions dans le type de condamnation du duvaliérisme.
Ecarter constitutionnellement les duvaliéristes de la compétition politique présupposait qu'on possédait les moyens politiques en vue de déposséder politiquement cette fraction de la classe politique. En instituant le CEP on pensait se donner un pouvoir parallèle tellement puissant qu'il pouvait cohabiter sans difficultés majeures avec la nature du régime actuel. Le décret électoral du CNG et la dissolution de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH) montrèrent que le pouvoir institué avait erré. Par son décret, le CNG montrait qu'il ne comptait nullement rester hors-jeu dans l'enjeu de nomination des candidats aux fonctions électives. Il essaya de dérober le plein pouvoir que la Constitution accorde de part en part au CEP. Le CNG aurait dû s'attendre à une vive opposition à son décret électoral. D'autant plus que chez un éventail très large de candidats, un large consensus avait vu le jour, depuis bien avant la constitution 87 sur la nécessité de former un Conseil National indépendant permanent pour l'organisation et le contrôle des élections. Il faut croire que le coup valait son pesant d'or. A la limite, le CNG n'avait qu'à procéder au retrait du décret. Mais jamais ne lui serait venue à l'esprit l'idée que l'opposition allait s'étendre jusqu'à soulever la question de la l'égalité de son gouvernement et les sanctions qui s'imposent à sa violation de la Constitution. De ce fait, surgissait le mode de sanction à appliquer : politique et juridique.
La sanction juridique s'éliminait d'elle-même ; le système judiciaire n'existe pas encore en Haïti. Le Constituant de 87 aurait innové s'il avait institué un pouvoir judiciaire de transition. A la violation de la Constitution n'allait donc s'imposer que la sanction politique. Mais devrait-on faire intervenir la sanction politique uniquement pour imposer l'abrogation de décrets qu'on voulait frapper d'inconstitutionnalité ? L'unanimité se réalisera autour du déploiement de la sanction politique pour forcer le CNG à abroger les décrets-lois sur les élections et la dissolution de la CATH. La grève générale d'avertissement fut déclenchée avec succès. Le CNG battit en retraite en acquiesçant aux revendications. Mais un glissement eut lieu : la grève d'avertissement se changera en grève d'insurrection demandant le départ du CNG.
Le passage à la grève d'insurrection brisa l'unanimité. Deux tendances se formèrent. L'une accordant son soutien total au CEP afin qu'il puisse organiser les élections dans la cohabitation avec le CNG. Le maintien du GNG tenait du réalisme, non seulement en raison de la proximité des élections à tous les échelons, mais, fondamentalement, on ne renverse pas un gouvernement militaire. Tandis que l'autre tendance avance que le CNG se trouve dans l'illégalité. Ayant violé la Constitution, il doit être destitué et jugé pour crime de haute trahison suivant l'article 21 de la Constitution. Mais la Constitution est-elle mort-née ? Comment le constituant de 87 a-t-il pu ne pas penser à des mécanismes constitutionnels de sortie du pouvoir durant la transition en cas de violation flagrante et répétée de la Constitution dans un pays où la transition est à la violation de la Constitution ?
Le coup d'Etat de 1991 contrastant avec les principes de la démocratie représentative a provoqué la condamnation unanime de la communauté internationale et a donné lieu à un rebondissement prolongé de la crise et à un arbitrage extérieur. L'application de cette modalité, dans la résolution de la crise haïtienne, a débouché sur de nombreuses missions de négociations, sur des accords internationaux et finalement sur une intervention militaire.
2.2.1- La mission à Cartagène (Colombie)
Lors de la troisième séance plénière tenue le 4 juin 1991, les Etats membres de l'O.E.A. ont signé l'Engagement de Santiago envers la Démocratie et la Rénovation du système Interaméricain. Ils y ont déclaré leur «engagement irrévocable envers la défense et la promotion de la démocratie représentative et des droits humains dans la région ». Le coup d'Etat du 30 septembre 1991 va donc constituer un défi voire une épreuve pour le prestige et la crédibilité de l'Organisation panaméricaine. Conscient du fait qu'il s'agit d'un véritable défi, après la présentation des faits à l'Assemblée Générale le 2 octobre par le président renversé, le secrétaire générale de l'O.E.A., M. Jao Clemente Baena Soares, dirige une délégation de Ministre de Relations Extérieures de divers pays du continent. Ils y ont déclaré leur «engagement» de l'émissaire de l'O.E.A. à Port-au-Prince et à la formation d'une délégation de parlementaires des deux chambres qui part pour Cartagène (Colombie) à la fin du mois de novembre, pour entamer les premières discussions avec le Président destitué à Port-au-Prince le 4 octobre, pour manifester aux militaires putschistes le rejet et la condamnation unanime du coup par les membres de l'organisation» Mais, au second voyage de la délégation le 7 du même mois éclate une fusillade mettant en danger la vie des honorables invités qui ont dû se réfugier dans l'avion qui les attendait sur la piste. La réaction de l'Organisation face à cet acte d'intimidation et de brutalité de la part de l'Institution militaire ne se fait pas attendre. Le lendemain l'O.E.A. décrète un embargo commercial contre Haïti [Etienne, 1999, p. 198]
Les sanctions commerciales imposées au régime militaire toujours d'après Etienne ont pour objectif de rendre flexibles les généraux putschistes, de créer chez eux les conditions psychologiques nécessaires au succès des négociations qui devraient conduire au rétablissement des autorités constitutionnelles au pouvoir. Ainsi malgré l'échec des deux premières rencontres de la délégation de l'O.E.A. à l'aéroport de Port-au-Prince, avec les leaders militaires, l'organisation hémisphérique doit nommer l'ancien ministre colombien des Relations Extérieures, José Ramirez Ocampo, représentant du secrétaire Général. Il est chargé de conduire les négociations avec les militaires haïtiens.
La stratégie de ceux-ci, consistant à se replier derrière le parlement pour cacher la vraie nature du coup, fait des deux chambres les principaux interlocuteurs du diplomate colombien. Sa tache se complique par la violation de l'embargo par un pétrolier de son pays qui sauve le régime de facto de la situation de panique causée par l'épuisement à court terme des réserves pétrolières gérées par les compagnies étrangères opérant dans le pays. Cet acte, qui montre l'incapacité de l'O.E.A. à faire respecter ses décisions même par ses membres, augmente l'audace des autorités de facto qui considèrent les négociations comme un simple aspect des manoeuvres dilatoires destinées à faire passer le temps et, avec la lassitude de la communauté internationale, à éloigner Aristide du pouvoir jusqu'à la fin de son mandat. Les différents voyages du représentant de l'O.E.A. à Port-au-Prince, conduisent à la formation d'une délégation de parlementaires des deux chambres, qui part pour Cartagène (Colombie) et à la fin du mois de novembre, pour entamer les premières discussions avec le président destitué.
La deuxième rencontre entre les deux parties haïtiennes patronnée par l'O.E.A. et avec l'appui des Etats-Unis, a lieu au siège de l'Organisation panaméricaine et conduit, le 23 février 1992, à l'Accord de Washington que les militaires substituent par l'accord de Port-au-Prince du 8 mars de la même année. Avec la violation systématique de l'embargo et l'évidente incapacité de l'O.E.A. de résoudre la crise, la diplomatie haïtienne, avec l'appui des «pays amis d'Haïti » a confié la gestion de la crise à l'ONU.
2.2.2- L'Organisation des Nations-Unies et la crise haïtienne
Suite aux efforts engagés par la France et le Canada à la fin de 1992, le Conseil de Sécurité des Nation-Unies prend une résolution dans laquelle il réaffirme son appui au président destitué et nomme Dante Caputo, l'ancien émissaire de l'O.E.A. qui lui accorde le même titre. La manière dont l'émissaire de l'O.N.U. aborde l'affaire de la crise permet d'entrevoir un possible issue. Après plusieurs visites infructueuses de Dante Caputo à Port-au-Prince, qui permettent de constater l'intransigeance de l'armée haïtienne refusant de trouver une solution négociée à la crise, le Conseil de Sécurité vote, le 16 juin 1993, la Résolution 841 décrétant un embargo mondial sur les armes et le pétrole contre les autorités militaires.
Ces sanctions, dont la levée est subordonnée à la coopération des militaires au processus de négociations destiné au rétablissement de l'ordre constitutionnel en Haïti, entrent en vigueur le 23 du même mois. Ainsi le 26 juin, le général Raoul Cédras dirige une délégation à NewYork, pour négocier avec les autorités légitimes. Après cinq jours d'intenses négociations à Governors'Island, les deux partis haïtiennes qui ne se sont jamais rencontrées arrivent, signent un accord, le 3 juillet 1993.
2.2.3-L'application de l'Accord de Governors'Island
Cet accord en dix points, signé par le Président destitué, le général Cédras et Dante Caputo, le médiateur de l'O.N.U. et l'O.E.A.., établit, entre autres, ce qui suit :
- l'organisation, sous les auspices de l'O.E.A., et l'O.N.U., d'un dialogue entre les partis politiques représentés au parlement avec la participation des représentants de la Commission présidentielle en vue de normaliser le Corps Législatif et d'obtenir sa coopération dans l'instauration d'un nouveau gouvernement ;
- la désignation d'un nouveau Premier Ministre par le Président Aristide ;
- la suspension des sanctions par les secrétaires généraux de l'ONU et de l'O.E.A., après la ratification du Premier Ministre et l'installation de son gouvernement ;
- l'approbation par le parlement de la loi accordant l'amnistie présidentielle aux militaires putschistes ;
- le retrait du général Cédras de l'armée, avant le retour du Président déchu en Haïti prévu pour le 30 octobre 1993.
La mise en oeuvre de certains points de l'accord se fait sans difficulté, mais après l'installation du gouvernement de Robert Malval, l'armée décide d'exécuter son plan destiné à créer une situation chaotique dans le pays pour rendre impossible le retour du Président Aristide à la date prévue. En effet, les actes de terreur qui ont perturbé l'installation par le Premier Ministre de certains membres de son gouvernement, atteignent un degré tel que certains Ministres ne peuvent se rendre à leurs bureaux. Au mois de septembre 1993, apparaît le groupe paramilitaire néoduvaliéristes dénommé «Front pour l'Avancement et le Progrès d'Haïti» (FRAPH) dont les actes de violence et d'assassinats rappellent [Etienne, 1999, p.202] les pires moments de la dictature de «François Duvalier»
L'armée se sert de ce groupe pour empêcher, le 11 septembre, l'accostage au quai de Port-au-Prince, du Harlan County le bateau de guerre, destiné à la professionnalisation des forces armées haïtiennes et à la formation du nouveau Corps de police. Avec le retour du Harlan County à sa base l'Accord de Gorvernors'Island connaît le sort de celui de Washington. Le 14 septembre 1993, les actes de terreur de l'armée et du FRAPH culminent avec l'assassinat du ministre de la justice, ce qui porte certains membres du gouvernement de Malval à opter pour l'une des options suivantes : se réfugier chez le Premier Ministre, dont la maison est transformée, dès son investiture, en siège du gouvernement, entrer en clandestinité ou s'exiler.
Le 15 octobre, le général Cédras ne donne pas sa démission et le président Aristide ne peut non plus retourner au pays comme le prévoit l'Accord de Governors'Island. Avec la démission
60 du Premier Ministre Robert Malval, le 15 décembre 1993, l'Accord de Gorvernors'Island dont l'échec était prévisible souligne [Etienne, 1999, p. 203] «n'était plus qu'un souvenir».
2.2.4-L'ONU : de la médiation à celle de la coercition
Le 6 mars 1994, le Conseil de Sécurité adopte la résolution 917 décrétant un embargo économique total contre le régime militaire. En effet, avec la présence de la flotte multinationale dirigée par les bateaux de guerre américains, stationnée au large des côtes haïtiennes pour surveiller l'application effective des sanctions, le pays fait face à un véritable blocus naval.
2.2.5- L'intervention militaire américaine du 19 septembre 1994
Lecomte [1999, p.23] souligne «les valeurs communes plus elles s'affaiblissent plus les acteurs en opposition ont besoin d'un arbitre extérieur pour régler leurs conflits et moins celui a de chances d'y parvenir par des moyens proprement politique, c'est-à-dire sans recourir à la force nue » Les cas de violation des droits humains par les militaires ne se comptent plus ; les membres de la Mission Civile des Nations-Unies sont (MICIVIH) sont expulsé du pays. Réagissant aux mesures de provocation de l'Institution militaire le Conseil de Sécurité de l'ONU adopte, à la demande du Président Aristide, le 31 juillet 1994, la Résolution 940 autorisant «la formation d'une force multinationale qui utiliserait tous les moyens nécessaires pour obtenir le départ des militaires, le prompt retour du Président légitimement élu, l'instauration et le maintien d'un climat sûr et stable qui permettraient l'application de l'Accord de Gorvernors'Island. Contrairement à beaucoup d'autres invasions, celle d'Haïti a été négociée après l'envoi d'une mission
61 de dernière heure par le Président Clinton avec ses plus proches collaborateurs. Et le 15 octobre 1994 le Président revient au pays sous la haute intervention militaire américaine, tandis que les généraux responsables du coup ont démissionné de leur fonction et quittent le pays.
2.2.6- Les crises électorales de 1997 et 2000 : contradictions de la transition démocratique en Haïti
Les crises, résultant des élections tenues après le retour à l'ordre constitutionnel, semblent intensifier la complexité de deux problèmes majeurs que confronte la société haïtienne depuis peut-être sa formation : l'absence des valeurs communes ou de cohésion sociale et l'incapacité pour le politique de se constituer en instance de régulation de la société. Théoriquement, les joutes électorales de 1997 et de 2000 devaient créer un contexte politique favorable à l'établissement des différentes institutions prévues par la Constitution de 1987, indispensables au passage de la transition vers la consolidation démocratique en Haïti. Cependant, la résurgence de certaines pratiques de l'ancien régime (arrestation de candidats/opposants au pouvoir en place, l'utilisation des biens de l'état au profit des candidats du pouvoir, etc.), les crises institutionnelles et les problèmes de gouvernabilité résultant de ces élections jumelées à la précarité des conditions socio-économiques générales du pays rendent encore plus complexe les processus de construction de la démocratie en Haïti.
Une anarchie institutionnelle d'une gravité exceptionnelle existe depuis les élections de 1997 en Haïti. Il y a lieu de noter premièrement l'absence de gouvernement constitutionnel à l'issue de la démission du Premier Ministre Rosny Smart ; les ministres et secrétaires d'état en place fonctionnant au nom de l'état et de la constitution et en absence d'un chef de gouvernement (1997-1999) constituaient dans une certaine mesure un gouvernement de facto.
Cette anarchie institutionnelle va connaître son apogée en janvier 1999 avec la dissolution de la 46ème législature et l'installation au mois de mars de la même année du ministre de l'éducation dans la fonction du Premier Ministre de la République sans que celui-ci ait été ratifié par le parlement selon les prescrits de la Constitution de 1987. «Dans un système électif, écrit Bernard Manin [1996, p.205], la seule question possible concerne le type de supériorité qui doit gouverner. Mais lorsqu'on lui pose la question : «Qui sont les aristoi, qui doivent nous gouverner ?, le démocrate se tourne vers le peuple pour lui laisser la décision». Cette décision symbolisant un acte de citoyenneté, le peuple haïtien l'a si bien prise en votant le 29 mars 1987 en faveur de la nouvelle constitution du pays. En effet, la Constitution de 1987 répond à deux types de défis :
- un défi de majorité où l'électorat est périodiquement appelé à arbitrer les joutes politiques, qui sont impérativement concurrentielles, en vue d'établir la relation du couple démocratique : le parti politique majoritaire et le minoritaire logent en un même lieu, c'est l'assemblée politique représentative ; et en ce lieu, la recherche de l'exclusivisme politique peut être difficilement menée.
- un défi du politique où les relations entre l'Etat et la population s'institutionnalisent, c'est-à-dire se manifeste la citoyenneté, à travers certains principes et mécanismes : l'émergence de l'Etat de droit, le respect des droits de l'homme, des libertés publiques, du suffrage universel, du pluralisme des partis, de l'alternance au pouvoir, de l'autonomie du pouvoir judiciaire, etc.
A ces deux grands défis, il faudra souligner la naissance d'une certitude, celle du respect de l'alternance qui va contraindre les membres de la classe politique à avoir comme horizon en leurs comportements la sanction des élections et de l'opinion publique ; ce qui présuppose et résulte de l'avènement de la citoyenneté.
La dissolution du Parlement dans un régime semi-parlementaire ou semi-présidentiel, fondé sur le principe du gouvernement de la majorité parlementaire, va sans doute créer une dissociation entre l'Etat et le peuple. Dans le cadre des processus de transition démocratique en Haïti, la dissolution du parlement semble représenter un instrument de sortie de crise politique entre les différents acteurs. En effet, les faits politiques marquant ces processus prouvent que le consensus politique (élément fondateur de toute transition) entre les différents partis, l'élite dirigeante et le pouvoir se présente uniquement lorsqu'un vide étatique doit inévitablement déboucher à l'organisation de nouvelles élections et c'est également le seul moment où le peuple est considéré comme acteur politique. La dissolution du Parlement haïtien en janvier 1999 va donc donner naissance à une coalition de partis politique dénommée «Espace de Concertation», laquelle tentera d'obtenir un consensus avec le pouvoir baptisé d'Accord du 6 mars 1999, portant sur l'installation du Premier Ministre Alexis et l'organisation des élections de 2000. Le peuple haïtien sera donc invité à participer aux nouvelles élections, qui cette fois-ci seront organisées par un Conseil Electoral Provisoire composé de représentant du pouvoir et de ceux de l'opposition réunie au sein de l'Espace de Concertation.
L'électorat aura à décider sur la configuration du prochain gouvernement. Y aura-t-il un gouvernement majoritaire ou de cohabitation ? Si c'est un gouvernement de cohabitation qui en est issu, il y a d'un côté le chef de l'Etat qui appartient à une famille politique donnée et de l'autre côté, un chef du gouvernement, qui lui, est membre d'une autre sensibilité politique. Mais, celui-ci dispose de sa propre majorité parlementaire. Ils sont à la fois des adversaires et des partenaires politiques. Ainsi doivent-ils coopérer, suivant leurs compétences respectives, en vue d'accomplir leur mission : partager la détention du pouvoir exécutif. Si c'est un gouvernement majoritaire, le chef de l'Etat et le Premier Ministre appartiennent à la même famille politique. Ce qui signifie aucunement l'exclusion de l'opposition. Ce ne sera pas un pouvoir privé ; ce sera un pouvoir public. La figure de l'opposant et le devoir d'opposition constituent les garant de l'alternance politique. Les droits de la majorité gouvernementale sont suspendus au devoir de la minorité politique qui doit, elle, se positionner incessamment comme alternative crédible et responsable.
En signant l'accord du 6 mars, le pouvoir et l'opposition définissent les règles du jeu et les ont acceptées. L'électorat et plus largement, l'opinion publique, représente l'arbitre et les spectateurs, le sujet et l'objet du pouvoir. Toutefois, il convient de poser la question de savoir «pourquoi les acteurs politiques, signataires de l'accord du 6 mars 1999 n'ont pas fait avancer les processus de transition vers la consolidation démocratique avec les élections de 2000 ? ».
Le non-respect des règles démocratiques par les hommes politiques haïtiens est intimement lié à l'esprit de domestication de la population qui résulte à la fois de l'héritage colonial (le système esclavagiste) et du maintien de l'analphabétisme. Cela suppose également le non-respect du choix de la majorité des électeurs. «En Haïti, Les lois ne sont qu'un vernis institutionnel, ceux qui les font ne se croient pas obliger d'y obéir. Le peuple ne les connaît pas. Les plus instruits appliquent des lois européennes et croient pouvoir réformer les moeurs par des articles de loi. Mais la loi reste lettre morte parce que les moeurs ne la soutiennent pas» [Barros J., 1984, p. 518]
Le non-respect des règles démocratiques par les hommes politiques haïtiens devient donc un phénomène culturel qui va donner lieu à une crise structurelle. Le peuple va approcher la dissolution du parlement sous la base des théories expliquant la montée des diverses formes que connaît le fascisme. Cependant, l'acceptation hypocrite de cette décision par les partis d'opposition et la renaissance de l'idée de combler les vides institutionnels par des élections vont substituer le désordre constitutionnel à l'ordre constitutionnel. Le gouvernement de Monsieur le Premier Ministre Jacques Edouard Alexis, mis en place par le Président Préval en collaboration avec la coalition politique Espace de Concertation n'a aucune référence constitutionnelle.
Dans la démocratie française par exemple, le Président de la République dispose du droit constitutionnel de dissoudre le Parlement. En Russie, le chef de l'Etat dispose également de ce pouvoir. Cependant, la Constitution de 1987 de la République d'Haïti n'accorde pas ce droit au Président. Qu'est-ce qui explique alors que les constituants de 1987 ont repoussé la fonction de dissolution du Parlement comme mécanismes de sortie de crise politique telle qu'elle existe dans la constitution française de 1958? Pourquoi ont-ils adopté certains articles tels que la fonction du Premier ministre, de la décentralisation et rejeté tels autres, le conseil constitutionnel, la compétence qu'échet à l'Exécutif de dissoudre le Parlement. ?
Est-ce par ignorance ? Les constituants de 1987, n'étant pas des spécialistes en droit constitutionnel et en sciences politiques n'ont pas pu comprendre la structure et les fonctions du régime politique semi-parlementaire ou semi-présidentiel moderne. Est-ce une question d'histoire culturelle des mentalités ? Se situant à la croisée des chemins entre la tradition et la modernité, les constituants ont pensé la dissolution en des termes traditionnels, la phobie d'une utilisation despotique, mais nullement en des termes modernes il revient à l'électorat de trancher si les conditions politiques amènent à la décision de dissoudre le Parlement, dans le cadre d'élections légitimes, bien entendu.
Au-delà de la question des interprétations, il est extrêmement difficile de soutenir la vision des constituants de 1987, lorsqu'il s'agit de la fonction de la dissolution en un régime politique semi-présidentiel. Il y a une objection qui ne tient pas c'est-à-dire l'impossibilité de dissoudre le parlement, contraint l'Exécutif à nouer des alliances politiques en vue de dégager une majorité parlementaire, comme base politique du gouvernement. C'est s'interdire de comprendre la fonction de l'électorat : c'est à lui qu'il incombe d'arbitrer, lorsqu'il y a crise politique. Le principe majoritaire, et la Constitution de 1987 ne saurait s'en détacher, prescrit de faire le choix du Premier ministre, à l'intérieur du parti qui dispose de la majorité au Parlement. Mais de quelle majorité s'agit ?
La Constitution de 1987 ne laisse aucune marge à l'interprétation. La majorité absolue est définie dans le cadre de l'élection du Président de la République au suffrage universel (art. 134). Ni adjectif, ni complément de nom n'accompagnent le substantif majorité, à l'article 136 qui prescrit le mode de désignation à la fonction du Premier Ministre. Même si la formulation pose problème : le Parlement haïtien se compose de la chambre des députés et du Sénat de la République. Le principe à retenir se formule ainsi : la composition du gouvernement doit refléter la représentation politique du Parlement. Dans la conduite de sa politique, le gouvernement se trouve en l'obligation pratique de composer constamment avec le Parlement particulièrement avec le parti qui dispose de la majorité parlementaire.
« En raison de l'égalité fondamentale de tous les humains, le droit de gouverner ne peut-être issu que du libre consentement de ceux sur qui le pouvoir est exercé. Mais si, du fait des propriétés intrinsèques de l'élection, les gouvernés ne peuvent choisir les gouvernants que dans certaines catégories de la population, peut-on encore dire qu'ils donnent librement leur consentement ? [Bernard Manin 1996, p.201]
En Haïti, ni l'ordre dynastique, ni l'ordre démocratique n'ont jamais pu s'instituer. C'est à l'encontre, le corps-Etat qui s'est installé. Les crises structurelles, résultant des différentes élections, sont intimement liées au poids des traditions et de la culture politiques qui pèsent sur les idées et les comportements des acteurs.
Dans le binôme personne / institution, le corps-Etat se caractérise par le primat de l'élément personne sur l'élément institutionnel dans le cadre de l'exercice du pouvoir politique ; personne qui, elle, se l'approprie ; et les frontières ne sont pratiquement pas tracées entre les espaces publics et privés. Les hommes d'Etat haïtien manifestent, presque tous, la tendance à ne pas vouloir se soumettre au principe de l'investiture du pouvoir d'Etat.
Presque tous croient en leur corps-Etat voué à l'immortalité. Selon eux leur corps représente le corps politique ; et en leur corps se manifeste l'unité de la société et se concentre tout l'investissement national accumulé, tant sur les plans matériel que symbolique.
Le corps, comme corps politique constitue donc un enjeu de pouvoir, car il est l'objet et le moyen de l'opération symbolique et des luttes politiques. Se pose néanmoins la question du rôle de l'opposition politique et de la place de la transmission du pouvoir : le corps est non seulement contingent et mortel, mais il est l'objet des luttes politiques qui se déroulent parmi les divers prétendants au pouvoir d'Etat.
Ainsi se pose-t-il toujours la question de la dévolution du pouvoir, et sa transmission se trouve constamment en situation de déshérence. Il existe donc un Etat qui ne fait que se recréer constamment sans jamais arriver cependant à se créer réellement. C'est le pouvoir intransmis mais qui doit être tout de même : la continuité de l'Etat l'ordonne.
Conclusion
La vague de transitions de l'autoritarisme à la démocratie, qui a touché successivement les nouveaux pays industriels d'Europe du sud (1973-1978), d'Amérique latine et d'Asie de l'Est (1980-1988), les Etats communistes de l'Europe centrale et orientale et les pays en développement de l'Afrique (1989-1995), a provoqué en Haïti le 7 février 1986 après 29 ans de régime dictatorial le départ du Président Jean Claude Duvalier. D'une manière générale, trois grandes contradictions ont marqué le passage de l'autoritarisme à la démocratie en Haïti :
- la politique de libéralisation économique entamée par le régime en 1971 par le jeune Président dictateur Jean Claude Duvalier ;
- la nouvelle mission sociale de l'église catholique haïtienne ;
- la politique de défense des droits humains de l'administration Carter (1976-1980).
La synthèse de la littérature disponible sur les principaux facteurs qui ont conduit au départ de Duvalier et de celle sur les faits politiques fondateurs du nouveau régime haïtien ont permis de fixer comme objectif principal de cette recherche l'analyse à la lumière de la Constitution de 1987 du poids des élections dans le processus de transition vers la démocratie en Haïti. En effet, la démocratie est un procédé de création continue de minorités ouvertes et rivales dont le comportement est orienté par la loi des réactions prévues, c'est-à-dire par l'idée que l'on se fait du comportement des électeurs aux prochaines élections [Giovanni Sartori 1970
62 ]. L'avortement des premières joutes électorales post-autoritaires de novembre 1987 par le massacre sanglant des électeurs et les différentes crises politiques résultant des différentes élections réalisées en Haïti après 1986 ont poussé à poser la question de savoir : Y a-t-il une transition démocratique en Haïti ? Dans la perspective d'apporter des éléments de réponse à cette question principale de recherche, trois hypothèses ont été postulées :
La longue et périlleuse transition démocratique que connaît la République d'Haïti sont due à l'inadéquation existant entre le caractère démocratique de la Constitution de 1987 et la précarité des conditions socio-économiques du pays.
Le non-respect des règles démocratiques par les hommes politiques haïtiens est intimement lié à l'esprit de domestication de la population qui résulte à la fois de l'héritage colonial (le système esclavagiste) et du maintien de l'analphabétisme.
Les conflits, résultant des différentes élections réalisées après le retour à l'ordre constitutionnel en octobre 1994, sont intimement liés au poids des traditions et de la culture politique qui pèsent sur les idées et les comportements des acteurs.
Ayant limité cette étude à la période allant de 1986 -2000. Et considérant les objectifs et les hypothèses sur lesquels se fonde cette recherche. La vérification des hypothèses a été mise en exergue par l'analyse documentaire de nombreuses études sur : la chute du régime des Duvalier, les concepts de transition à la démocratie et des exemples de transition de l'autoritarisme à la démocratie d'une part. Et d'autre part sur l'historique du processus démocratique en Haïti, la Constitution de la République d'Haïti de 1987, l'évolution du nouveau régime à travers les élections réalisées pour questionner la sociologie politique rattachée à la longue transition démocratique d'Haïti.
Le processus de démocratisation (1973 -1995) a donné naissance à deux nouveaux champs scientifiques dans le domaine de la politique comparée celui de «la transitologie démocratique» et celui de «la consolidologie démocratique». Dans le cadre de cette étude, la transition est définie comme l'ensemble des processus débouchant sur le passage de l'autoritarisme à la démocratie, en prenant appui sur le fait que la démocratie est une variable dépendante d'élections libres et honnêtes. Cette approche permet de comprendre que toutes les transitions commencent avec l'élaboration des nouvelles législations sur la mise en place des structures «démocratiques» et prennent fin avec les premières élections post-autoritaires.
Contrairement à la transitologie la «consolidation» d'après [Ethier, 2000, p. 619] «n'est plus le changement de la nature des régimes politiques, mais le degré d'institutionnalisation des règles les définissant. Les théories de la consolidation tendent par conséquent à privilégier premièrement l'étude du «consensus social» qui se forme autour des nouvelles ressources institutionnelles et procédurales - d'abord au niveau d'une élite et ensuite au niveau de l'ensemble des citoyens. Et deuxièmement, ces théories voient dans ce consensus non pas l'agrégation d'une multitude de choix (à travers lesquels les acteurs politiques accepteraient les nouvelles règles), mais un effet engendré par l'existence même de nouvelles règles et institutions».
La transition et la consolidation de la démocratie s'opposent l'une à l'autre : une théorie du changement et une théorie de l'ordre. Ce sont d'abord les acteurs qui font les institutions (transition) et ensuite les institutions qui font les acteurs (consolidation). Tandis que, la transition présuppose un degré d'incertitude élevé par des nouvelles règles que sont les «choix» stratégiques des acteurs, la consolidation restreint l'éventail des choix possibles et redonne aux facteurs structurels et institutionnels un pouvoir explicatif.
L'analyse de certains faits politiques observés en plein coeur du processus de transition en Haïti laissent croire que les règles du jeu démocratique haïtien ne sont pas encore bien installées dans l'espace politique de ce pays. De ces faits on peut citer notamment :
- l'absence en 2002 des institutions prévues par la Constitution de 1987,
- l'avortement des premières élections post-autoritaires de novembre 1987,
- les différentes dictatures militaires de la période 1986 - 1994,
- le coup d'état sanglant de 1991,
- l'intervention de puissances militaires étrangères pour le rétablissement de la démocratie,
- les différentes crises post-électorales de 1995-2000
L'absence d'un pacte social rend difficile l'étude d'un «consensus socio-politique», ce qui ne facilite pas aujourd'hui de considérer dans le cas haïtien une analyse théorique sur l'applicabilité de la «consolidation de la démocratie» dans ce pays.
L'analyse de ces faits a permis d'avancer que la transition haïtienne recoupe la stratégie politique du changement pacifique/violent de Morlino. Toutefois, la probabilité pour Morlino, à savoir que certaines formes de violence conduisent à un changement fondamental, est très faible en Haïti malgré le niveau élevé de violence qui est rattaché aux processus de transition d'Haïti. Cette remarque induit à penser que la violence dans le système politique haïtien est un processus récursif.
Aussi les violations de la Constitution, les coups d'Etat, les insurrections, l'exil des chefs d'Etat sont les modes de régulation et de la passation du pouvoir. C'est le corps à corps qui décide du vainqueur dans le combat politique, non les joutes électorales soumises au principe majoritaire. Le mécanisme de socialisation et de sociabilité à la politique ressortit au jeu guerrier. Or, ce jeu clive la nation, tend à l'exclusion du perdant. Et le sentiment d'appartenance à la nation ne trouve pratiquement pas des règles relatives à son expression. N'existent ni Etat, ni nation, sinon leur fragilité congénitale. Tandis que dans le jeu politique, ce sont les institutions telles l'école, les associations socioprofessionnelles, les lieux de résidence, de loisirs et de croyances qui incitent leurs membres aux attitudes et comportements constitutifs du système électif : le sentiment d'appartenance à la fois de proximité et au niveau national, l'adhésion au système politique, l'intériorisation des formes d'auto-contrôle et de retenues afin de baliser la violence et fondamentalement la manifestation de la solidarité entre la défense de ses intérêts privés et la promotion de l'intérêt collectif.
La trajectoire historique de la République d'Haïti configure les caractéristiques structurelles qui définissent le cadre des relations socio-politiques de ses différents acteurs. Le non-attachement des acteurs politiques aux prescriptions de la constitution, manifesté particulièrement par l'absence volontaire des institutions indépendantes prévues par la Constitution de 1987 telle le Conseil Electoral Permanent semblent rejoindre la conception de O'Donnell et Schmitter sur les règles du jeu démocratique au cours d'un changement de régime.
La transition haïtienne connaît de grandes difficultés, mais elle n'est pas en voie de disparition. Elle n'a pas encore trouvé les voies et moyens pour l'émergence des normes, des valeurs et attitudes indispensables à la constitution d'un Etat démocratique de droit. Pour certains analystes, il semble que cette transition tend à faciliter l'instauration d'un régime autocratique, providentiel et/ou messianique. Cependant, la littérature sur certains processus de transition permet de comprendre que des régimes de type national-populiste (Juan Domingo Perón en Argentine, Getulio Vargas au Brésil et Lázaro Cárdenas au Mexique) sont à l'origine de la modernisation de bon nombre d'Etat. Le succès chilien a été l'oeuvre d'un régime militaire autoritaire et sanguinaire. Face aux mutations géniques que connaît le cas haïtien «autoritarisme - démocratie en herbe - retour de l'autoritarisme », le rappel historique sur la modernisation et la démocratisation des Etats (à partir du national-populisme et du militarisme autoritaire et sanguinaire) fournit un argument méthodologique pour repenser l'implantation de la démocratie en Haïti en s'appuyant sur le modèle transitologique consensuel.
Sources et Bibliographie
Documents administratifs
- Rapport de la Commission Présidentielle d'appui au Conseil Electoral Provisoire. Journal Officiel de la République, Moniteur No 85, octobre 1997
- Décret Electoral 1987
- Loi Electoral 1987
Document juridique
- Constitution du 29 mars 1987 de la République d'Haïti
Ouvrages, articles et revues consultés
Sur la transition démocratique :
- DIAMOND L., Developing Democraty : Toward Consolidation Baltimore, Md., John Hopkins University Press, 1999.
- Dobry Michel, Les voies incertaines de la transitologie, choix stratégiques, séquences historiques, Bifurcations et processus de Path dependence, Revue française de Science Politique, Vol. , No 4-5 aout-octobre 2000, p. 585-614.
- DUCATENZEILER G, Nouvelles approches à l'étude de la consolidation démocratique, Revue Internationale de Politique Comparée, Volume 8, N°2, 2001, pp. 191-198
- ETHIER D, Des relations entre libéralisation économique, transition démocratique et consolidation démocratique, Revue Internationale de Politique Comparée, Volume 8, N°2, 2001, pp. 269-283.
- Guilhot N., Schmitter P.C. De la Transition à la Consolidation, Revue française des Sciences Politiques, Vol. , 50, No 4-5, août-octobre 2000, p. 615-631.
- HERMET Guy. , Le passage a la démocratie, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences politiques, 1996, 127p.
- Hurbon Laënec, Les transitions démocratiques, Paris, Editions Syros/La découverte, 1996
- O'DONNELL G., SCHMITTER P. WHITEHEAD L. , Transitions from Authoritarian Rule. Tentative Conclusions about Uncertain Democracies, Baltimore. The Johns Hopkins University Press, 1986.
- SCHEDLER A., Comment observer la consolidation ? Revue Internationale de Politique Comparée, Volume 8, No 2, 2001, p. 230.
Sur la Démocratie :
- Darnton R., Duhamel O., Démocratie Paris, 5eme,Editions du Rocher, 1998, p347,
- Goyard Fabre Simone, Qu'est-ce que la démocratie, la généalogie philosophique d'une grande aventure humaine, Paris, Armand Colin, 1998, 237p
- GRAWITZ Madeleine (dir). et LECA Jean (dir). , Traité de Science Politique, Tome 2- les régimes politiques. Paris, PUF,1985.
- HERMET Guy. , Aux frontières de la démocratie, Paris, PUF, 1993, 255p.
Sur la Constitution de 1987 et les élections :
- GARIGOU Alain, Le vote et la vertu. Comment les Français sont devenus électeurs. Paris, Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 1992
- Manigat Mirlande, Traité de droit constitutionnel haïtien, Vol. I II. Port-au-Prince, Editions Presses de l'Imprimeur II, 2000, 420p, 786p
- Moïse Claude. , Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti, tome II, Montréal, CIDIHCA 1990, pp. 422-423.
Sur la sociologie politique :
- ADDI Lahouari. , Les mutations de la société algérienne - famille et lien social dans l'Algérie contemporaine, Paris, Editions la Découverte et Syros, 1999, p. 193
- BRAUD Philippe. , Sociologie politique, Paris, LGDJ, 3éd. , 1997
- DENNI Bernard et LECOMTE Patrick. , Sociologie du Politique, Tome I, II Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1999, 208p.159p.
- Hurbon Laënec, Pour une sociologie d'Haïti au XXIème - la démocratie introuvable, Paris, Editions Karthala, 2001, 301p
Sur l'histoire politique d'Haïti :
- Barros Jacques, Haïti de 1804 à nos jours Tome II, Paris, Editions L'Harmattan, 1984 p.
- Hurbon Laënec, L'insurrection des esclaves de Saint-Domingue, Paris, Editions Karthala 2000, 271p
- d'aNS André-Marcel., Paysage et Société. Paris, Editions Karthala, 1987, 337p
- Nerestant Micial, Religion et politique en Haïti, Paris, Editions Karthala 1994, 281p
- PIERRE-CHARLES Gérard, Radiographie d'une dictature, Traduction française, Montréal, Nouvelle Optique, 1973, p.37
- Pourchet-Gaillard Gusti-Clara-, L'expérience haïtienne de la dette extérieure ou une production caféière pillée, Port-au-Prince, Editions Deschamps, 1990, pp. 19-22.
- TROUILLOT Michel-Rolph, Des journaux de planteurs à l'Académie : La révolution haïtienne comme histoire impensable, Le journal de l'histoire caraïbéenne, 25 (1et 2) pp.81-85.
Sur l'histoire politique d'Haïti pour la période 1986-2000 :
- Delince Kern, Les forces politiques en Haïti Paris, Editions karthala 1987, 337p.
- Etienne Sauveur Pierre, Haïti : Misère de la démocratie, Paris, Editions l'Harmattan, 1999, 285p.
- Messages et documents de l'épiscopat (1980-1988), Présence de l'Eglise en Haïti, Paris, Les Editions S.O.S., 1988, p.36.
- WARGNY C., Plus de droit à l'erreur pour Haïti, Le Monde diplomatique, juillet 2000, p.8.
Ouvrages généraux :
- Agulhon Maurice, 1848 ou l'apprentissage de la République 1848-1852, Paris, Editions du Seuil, 1992, 68p.
- Favre (P.), La décision de majorité, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1976, 325p
- HERMET G. ROUQUIE A. et Al Des élections pas comme les autres, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1978, 179p.
- mANIN bernard. , Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion collection champ, 1996, 201p.
- Weber Max, Economie et société, les catégories de la sociologie, Paris, Editions Pocket, 1995, p411, p285
ANNEXES
Annexe 1- Cartes de la République d'Haïti
Annexe 2 - Chronologie des événements politiques en Haïti de 1987 à 2000
(Ces notes sont extraites principalement de la série publiée par l'Agence de Presse : Haïti au quotidien, et de l'ouvrage de G. Danroc, La Répression au quotidien en Haïti : 1991-1994)
1987
29 mars : vote de la Constitution qui prévoit un conseil électoral indépendant du pouvoir
exécutif et l'exclusion pendant dix ans des personnes qui ont joué un rôle important dans le
soutien à la dictature de Duvalier.
13 octobre : Yves Volel, avocat, ancien officier de l'Armée, fondateur du Parti Social
Chrétien Haïtien, est assassiné par les agents du service des recherches criminelles devant
les locaux du département de la police, sous l'oeil des journalistes de la presse locale et
étrangère. Il est mort sa toge d'avocat sur le bras et un exemplaire de la Constitution entre
les mains, alors qu'il répondait à l'appel d'un prisonnier
29 novembre : élections au suffrage universel (présidence et législatives) stoppées dans le sang : une centaine de morts, la plupart des individus tués dans la file des votants.
11 décembre : création par le général Namphy (chef du conseil national de gouvernement) d'un nouveau conseil électoral provisoire.
1988
17 janvier : élections au suffrage universel, mais abstention des partis politiques les plus importants comme le Konakom.
7 février : Leslie Manigat, secrétaire général du parti RDNP (rassemblement des démocrates nationaux progressistes) est investi par le parlement comme président de la République.
20 juin : Leslie Manigat est renversé par un coup d'Etat militaire ; le général Namphy reprend le pouvoir et proclame par arrêté la mise en place d'un gouvernement militaire, sans proposer de nouvelle date pour des élections.
11septembre : plusieurs partis politiques, syndicats et organisations socioprofessionnelles lancent une campagne pour la remise en route de la Constitution et proposent à tous ceux qui veulent appuyer cette campagne d'adopter une tenue en blanc.
Le même jour, massacre dans l'église de Saint-Jean Bosco de nombreux fidèles venus à la messe célébrée par le père Aristide : 14 personnes sont mortes par balle et armes blanches. Partout la terreur s'installe, les hommes de main, (anciens Tontons macoutes, attachés, repris de justice) reprennent du service ; les locaux de plusieurs partis politiques sont attaqués.
17 septembre : le général Namphy est destitué, des sous-officiers et soldats désignent Prosper Avril comme président provisoire et réclament la suppression des attachés et du corps des macoutes.
17 octobre : sous la pression de la conférence épiscopale, le père Aristide est prié de se rendre à Rome ; des groupes de soutien contre le départ d'Aristide se forment, une grève de la faim est organisée dans la cathédrale de Port-au-Prince.
Décembre 1988 : exclusion d'Aristide de la congrégation des pères salésiens.
1989
9 février : forum national (proposé par le général Avril) réunissant partis politiques et syndicats pour la préparation d'un conseil électoral provisoire.
2 avril : coup d'Etat raté de trois généraux, Philippe Biamby, Himmler Rebu, Guy François.
1990
21 juin : attentat contre le Conseil d'Etat créé lors du choix de Mme Ertha Trouillot comme président provisoire ; Serge Vilard, membre du Conseil, est tué.
7 juillet : retour en Haïti de Roger Lafontant, ancien chef des Tontons macoutes, il est accueilli au salon diplomatique et se déclare candidat à la présidence.
11 juillet : grève générale contre la présence de l'ancien général Williams Régala et de Roger Lafontant en Haïti.
13-14 octobre : congrès à Vertaillis night Club (situé aux environs de la capitale) des Duvaliéristes. Leur parti URN (Union Pour la Réconciliation Nationale) est formé. Un mandat d'arrêt est lancé contre Roger Lafontant mais n'est pas exécuté par les militaires.
Juillet-août ; désaccords persistants entre le Conseil d'Etat et l'exécutif, représenté par Mme Ertha Trouillot.
16 décembre : élections présidentielles, législatives et municipales sous contrôle international ; Jean Bertrand Aristide, candidat juste un mois avant la fermeture des inscriptions des candidats, est élu président de la République avec plus de 67% des voix.
1991
7 janvier : coup d'Etat réalisé par Roger Lafontant, ancien chef des Tontons macoutes, avec la complicité de l'armée ; dès que la nouvelle a été répandue, des barricades sont dressées à travers toutes les rues de la capitale ; mise à sac de la nonciature apostolique, du local de la conférence épiscopale et incendie de l'ancienne cathédrale de Port-au-Prince, monument vieux de deux siècles ; à la fin de la matinée, l'armée a été acculée à intervenir et Roger Lafontant est arrêté.
7 février : investiture de J.-B. Aristide comme président de la République.
29 juillet : procès de Roger Lafontant réalisé en une seule journée uniquement sous la charge du coup d'Etat, il est condamné à perpétuité.
13 août : interpellation par la chambre du Premier Ministre ; il refuse de se présenter.
30 septembre : coup d'Etat militaire dirigé par le chef d'Etat Major de l'armée, le général Raoul Cedras, le président Aristide est envoyé en exil. Entre-temps, Sylvio Claude, leader du parti Démocrate Chrétien, est lynché par une foule dans le sud du pays ; Roger Lafontant est assassiné en prison.
11-13 novembre : mission de l'OEA en Haïti ; une mission interaméricaine des droits de l'homme est décidée ; embargo contre Haïti ; les manifestations contre le coup d'Etat sont interdites par l'armée.
1992
19 juin : Marc Bazin (du parti du MIDH) reçoit l'investiture de Premier ministre de facto.
23 juin : l'OEA décide le maintien de l'embargo contre Haïti
1993
12 janvier : l'OEA condamne l'organisation d'élections législatives partielles prévues pour le 18 janvier.
5 février : le secrétaire général de l'ONU examine les mesures à prendre pour une solution à la crise politique haïtienne après l'échec de Dante Caputo, négociateur dépêché par l'OEA.
16 février : naufrage du bateau Neptune assurant la liaison entre Jérémie et Port-au-Prince ; bilan : 1743 morts.
4 juin : le président Clinton annonce des sanctions contre des militaires haïtiens, des institutions privées ou para-étatiques soutenant le coup d'Etat en gelant leurs avoirs aux Etats-Unis.
8 juin : Marc Bazin est contraint de démissionner du poste de Premier ministre du gouvernement dit de consensus.
3 juillet : accord de Governors'Island : la délégation militaire représentant Cedras, et le président Aristide acceptent un plan en 10 points proposé par le médiateur international Dante Caputo.
27 juillet : Robert Malval est nommé Premier Ministre officiellement, il est ratifié par le parlement le 27 juillet.
31 août : l'ONU autorise l'envoi d'une première équipe de 30 experts policiers chargés de préparer le déploiement d'une mission en Haïti.
11 septembre : assassinat d'Antoine Izméry, arrêté dans l'église du Sacré-Coeur de Turgeau à Port-au-Prince par des civils armés au service des militaires qui entouraient alors l'église ; Izméry est un commerçant de la capitale qui militait contre le coup d'Etat militaire.
1994
2 mars : Randal Robinson, directeur de Transafrica, lance une campagne de mobilisation à Washington pour le retour d'Aristide en Haïti et contre le refoulement des 'boat people' haïtiens.
11 mai : Emile Jonasaint, président retraité de la cour de cassation, est investi président de la République d'Haïti par la hiérarchie militaire.
19 mai : Clinton envisage la possibilité d'une intervention militaire en Haïti à cause du flot de réfugiés et de l'augmentation du trafic de la drogue à partir d'Haïti.
31 juillet : le conseil de sécurité vote la résolution 940 autorisant l'intervention militaire sous direction américaine en Haïti.
6 août ; la conférence épiscopale haïtienne dénonce l'intervention de l'ONU comme scandaleuse et immorale.
28 août : assassinat du père Jean-Marie Vincent devant la résidence des pères montfortains ; la police est présente sur les lieux du crime quelques minutes après.
17septembre : l'ancien président Jimmy Carter accompagné du général Collin powell arrive à Port-au-Prince pour une négociation de la dernière chance avec Cedras et la hiérarchie militaire.
19 septembre : survol du territoire haïtien par avions et hélicoptères pendant que les navires de guerre débarquent les premiers contingents de l'armée américaine ; aucune résistance des militaires haïtiens n'est signalée.
24 septembre : le général Cedras donne sa démission.
15 octobre : retour du président Aristide en Haïti accompagné du secrétaire d'Etat américain, Warren Christopher et de Jessie Jackson.
25 octobre : l'homme d'affaires, Smarck Michel, est nommé Premier Ministre.
1995
3 février : inauguration de la nouvelle Académie de police avec 357 élèves policiers, les instructeurs sont américains, canadiens, français.
13 mars : recrudescence de l'insécurité dans la capitale.
28 mars : assassinat de Mireille Durocher Bertin, une opposante très connue au retour d'Aristide.
31 mars : déploiement de la MINUHA en remplacement de la force multinationale sous contrôle américain, conformément aux 940 et 957 du Conseil de sécurité de l'ONU.
28 avril : Aristide se déclare en faveur de la dissolution des Forces armées d'Haïti.
3 juillet : inauguration d'une école de la magistrature.
17 octobre : démission du Premier Ministre Smarck Michel.
17 décembre : élections présidentielles, René Préval est élu, 20% des inscrits ont voté.
1996
6 mars : Rosny Smart est investi comme Premier Ministre.
20 mars : assassinat de deux responsables d'un parti politique, opposé à Aristide.
6 novembre : création d'un nouveau conseil électoral.
1997
17 avril : élections législatives et municipales : la participation est estimée à 5 % ; ces élections sont tenues pour frauduleuses, une commission d'enquête est nommée.
14 mai : le parti politique OPL (Organisation du Peuple en Lutte), ancien allié d'Aristide, rejette les résultats des élections et juge le conseil électoral partisan.
9 juin : démission du Premier Ministre.
1998
15 avril : le choix de Hervé Denis par le Président de la République est rejeté par le Sénat.
3 août : assassinat du père Jean Pierre-Louis à Port-au-Prince,
22 décembre : le sénat ratifie le choix de Jacques Edouard Alexis comme Premier Ministre.
1999
9 janvier : J.E. Alexis, Premier Ministre ratifié, ne présente pas sa politique générale devant le Parlement qui l'a convoqué.
11 janvier : le Président Préval fait appel à des organisations populaires pour déclarer caduque la 46e législature en vertu de la loi électorale de 1995, pendant que l'opposition déclare que cette décision est un coup d'Etat de la présidence parce que, d'après la Constitution, le mandat des parlementaires de 46e législature ne se termine que dans un an.
1er mars : assassinat du sénateur de l'OPL, Yvon Toussaint.
6 mars : accord entre le président Préval et cinq partis politiques regroupés dans l'Espace de concertation, l'OPL est écarté de cet accord.
28 mai : à Port-au-Prince, une manifestation contre l'insécurité à l'appel de la chambre de commerce et de l'industrie et soutenue par plusieurs organisations dites populaires et la police et le soir même 11 jeunes gens sont assassinés dans le bidonville de Carrefour-Feuille par la police alors qu'ils venaient d'être arrêtés et mis sous menottes.
2000
3 avril : assassinat du journaliste vedette Jean L. Dominique, propriétaire de la station de Radio Haïti, célèbre dans la lutte contre la dictature depuis les années 80, et du gardien de la station, Jean-Claude Louissaint.
11 mai : élections législatives, municipales et locales ; la participation est estimée à 40 % des mandataires de partis politiques autres que le parti au pouvoir (La Fanmi Lavalas d'Aristide) (Tabarre) entrent dans les bureaux, s'emparent illégalement des urnes et substituent à celles-ci de nouvelles urnes déjà remplies ; des journalistes découvrent que des milliers de bulletins sont éparpillés dans certaines rues de la capitale. Le soir même, le parti Lavalas déclare gagner tous les postes au Sénat, à la députation, dans les mairies et dans les sections communales. Le lendemain, plusieurs candidats sont arrêtés dont l'ex-sénateur et candidat au sénat, Paul Denis.
4 juin : les partis politiques, autres que le parti d'Aristide, déclarent nulles les élections du 21 mai, se retirent du processus électoral et demandent à leurs représentants dans le conseil électoral provisoire de démissionner ; deux d'entre eux démissionnent à l'exception de Mme Irma Rateau. Le président du conseil électoral refuse de signer les résultats qui lui sont proposés par l'exécutif, dit avoir reçu des menaces de mort de la part d'Aristide et s'enfuit vers les Etats-Unis. L'OEA découvre que le mode de comptage des voix pour les sénatoriales ne correspond pas aux articles de la constitution ni aux règles prescrites par la loi électorale.
26 novembre : malgré les injonctions de l'OEA et du CARICOM de refaire le comptage des votes pour les sénatoriales, le gouvernement réalise les élections présidentielles avec le seul parti d'Aristide et quelques candidats inconnus, mais la participation est estimée à environ 5%, pendant que le conseil électoral parle de 60%, c'est-à-dire d'environ 2 600 000 votants.
Annexe 3- La Constitution de 1987 de la République d'Haïti
PRÉAMBULE
Le Peuple haïtien proclame la présente Constitution :
Pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et la poursuite du bonheur ; conformément à son Acte d'indépendance de 1804 et à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948.
Pour constituer une nation haïtienne socialement juste économiquement libre et politiquement indépendante.
Pour rétablir un Etat stable et fort, capable de protéger les valeurs, les traditions, la souveraineté, l'indépendance et la vision nationale.
Pour implanter la démocratie qui implique le pluralisme idéologique et l'alternance politique et affirmer les droits inviolables du Peuple haïtien.
Pour fortifier l'unité nationale, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communauté de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l'information, à l'éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens.
Pour assurer la séparation, et la répartition harmonieuse des Pouvoirs de l'Etat au service des intérêts fondamentaux et prioritaires de la Nation.
Pour instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l'équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective.
TITRE I : DE LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI SON EMBLÈME - SES SYMBOLES
CHAPITRE I : DE LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI
ARTICLE 1 : Haïti est une République, indivisible, souveraine, indépendante, coopératiste, libre, démocratique et sociale.
ARTICLE 1.1 : La ville de Port-au-Prince est sa Capitale et le siège de son Gouvernement. Ce siège peut être déplacé en cas de force majeure.
ARTICLE 2 : Les couleurs nationales sont : le bleu et le rouge.
ARTICLE 3 : L'emblème de la Nation haïtienne est le Drapeau qui répond à la description suivante :
Deux (2) bandes d'étoffe d'égales dimensions : l'une bleue en haut, l'autre rouge en bas, placées horizontalement ;
Au centre, sur un carré d'étoffe blanche, sont disposées les Armes de la République ;
Les Armes de la République sont : Le Palmiste surmonté du Bonnet de la Liberté et, ombrageant des ses Palmes, un Trophée d'Armes avec la Légende : L'union fait la Force.
ARTICLE 4 : La devise nationale est : Liberté - Egalité - Fraternité.
ARTICLE 4.1 : L'Hymne National est : la Dessalinienne.
ARTICLE 5 : Tous les Haïtiens sont unis par une langue commune : le créole. Le créole et le français sont les langues officielles de la République d'Haïti.
ARTICLE 6 : L'unité monétaire nationale est : la GOURDE. Elle est divisée en : centimes.
ARTICLE 7 : Le culte de la personnalité est formellement interdit. Les effigies, les noms de personnages vivants ne peuvent figurer sur la monnaie, les timbres, les vignettes. Il en est de même pour les bâtiments publics, les rues et les ouvrages d'art.
ARTICLE 7.1 : L'utilisation d'effigie de personne décédée doit obtenir l'approbation de l'Assemblée Nationale.
CHAPITRE II : DU TERRITOIRE DE LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI
ARTICLE 8 : Le territoire de la République d'Haïti comprend :
La partie Occidentale de l'Ile d'Haïti ainsi que les Iles adjacentes : la Gonâve, la Tortue, l'Ile à Vache, les Cayémites, la Navase, la Grande Caye et les autres îles de la Mer Territoriale ; Il est limité à l'Est par la République Dominicaine, au Nord par l'Océan Atlantique, au Sud et à l'Ouest par la mer des Caraïbes ou mer des Antilles.
La mer territoriale et la zone économique exclusive ;
Le milieu aérien surplombant la partie Terrestre et Maritime.
ARTICLE 8.1 : Le Territoire de la République d'Haïti est inviolable et ne peut-être aliéné ni en tout, ni en partie par aucun Traité ou Convention.
ARTICLE 9 : Le Territoire de la République est divisé et subdivisé en Départements, Arrondissements, Communes, Quartiers et Sections Communales.
ARTICLE 9.1 : La Loi détermine le nombre, les limites de ces divisions et subdivisions et en règle l'organisation et le fonctionnement.
TITRE II : DE LA NATIONALITÉ HAÏTIENNE
ARTICLE 10 : Les règles relatives à la Nationalité haïtienne sont déterminées par la loi.
ARTICLE 11 : Possède la Nationalité haïtienne d'origine, tout individu né d'un père haïtien ou d'une mère haïtienne qui eux-mêmes sont nés haïtiens et n'avaient jamais renoncé à leur nationalité au moment de la naissance.
ARTICLE 12 : La Nationalité haïtienne peut être acquise par la naturalisation.
ARTICLE 12.1 : Tout étranger après cinq (5) ans de résidence continue sur le Territoire de la République peut obtenir la nationalité haïtienne par naturalisation, en se conformant aux règles établies par la Loi.
ARTICLE 12.2 : Les Haïtiens par naturalisation sont admis à exercer leur droit de vote, mais ils doivent attendre cinq (5) ans après la date de leur naturalisation pour être éligible ou occuper des fonctions publiques autres que celles réservées par la Constitution et par la Loi des haïtiens d'origine.
ARTICLE 13 : La Nationalité haïtienne se perd par :
La Naturalisation acquise en Pays étranger ;
L'occupation d'un poste politique au service d'un Gouvernement Etranger ;
La résidence continue à l'étranger pendant trois (3) ans d'un individu étranger naturalisé haïtien sans une autorisation régulièrement accordée par l'Autorité compétente. Quiconque perd ainsi la nationalité haïtienne, ne peut pas la recouvrer.
ARTICLE 14 : L'Haïtien naturalisé en pays étranger peut recouvrer sa Nationalité haïtienne, en remplissant toutes les conditions et formalités imposées à l'étranger par la loi.
ARTICLE 15 : La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas.
TITRE III : DU CITOYEN - DES DROITS ET DEVOIRS FONDAMENTAUX
CHAPITRE I : DE LA QUALITÉ DU CITOYEN
ARTICLE 16 : La réunion des droits civils et politiques constitue la qualité du citoyen.
ARTICLE 16.1 : La jouissance, l'exercice, la suspension et la perte de ses droits sont réglés par la loi.
ARTICLE 16.2 : L'âge de la majorité est fixé à dix-huit (18) ans.
ARTICLE 17 : Les Haïtiens sans distinction de sexe et d'état civil, âgé de dix-huit (18) ans accomplis, peuvent exercer leurs droits civils et politiques s'ils réunissent les autres conditions prévues par la Constitution et par la loi.
ARTICLE 18 : Les Haïtiens sont égaux devant la loi sous la réserve des avantages conférés aux haïtiens d'origine qui n'ont jamais renoncé à leur nationalité.
CHAPITRE II : DES DROITS FONDAMENTAUX
SECTION A : DROIT A LA VIE ET A LA SANTÉ
ARTICLE 19 : L'Etat a l'impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
ARTICLE 20 : La peine de mort est abolie en toute matière.
ARTICLE 21 : Le crime de haute trahison consiste à porter les armes dans une armée étrangère contre la République, à servir une nation étrangère contre la République, dans le fait par tout fonctionnaire de voler les biens de l'Etat confiés à sa gestion ou toute violation de la Constitution par ceux chargés de la faire respecter.
ARTICLE 21.1 : Le crime de haute trahison est punie de la peine des travaux forcés à perpétuité sans commutation de peine.
ARTICLE 22 : L'Etat reconnaît le droit de tout citoyen à un logement décent, à l'éducation, à l'alimentation et à la sécurité sociale.
ARTICLE 23 : L'Etat est astreint à l'obligation d'assurer à tous les citoyens dans toutes les collectivités territoriales les moyens appropriés pour garantir la protection, le maintien et le rétablissement de leur santé par la création d'hôpitaux, centres de santé et de dispensaires.
SECTION B : DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE
ARTICLE 24 : La liberté individuelle est garantie et protégée par l'Etat.
ARTICLE 24.1 : Nul ne peut-être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle prescrit.
ARTICLE 24.2 : L'arrestation et la détention, sauf en cas de flagrant délit, n'auront lieu que sur un mandat écrit d'un fonctionnaire légalement compétent.
ARTICLE 24.3 : Pour que ce mandat puisse être exécuté, il faut :
Qu'il exprime formellement en créole et en français le ou les motifs de l'arrestation ou de la détention et la disposition de loi qui punit le fait imputé ?
Qu'il soit notifié et qu'il en soit laissé copie au moment de l'exécution à la personne prévenue ;
Qu'il soit notifié au prévenu de son droit de se faire assister d'un avocat à toutes les phases de l'instruction de l'affaire jusqu'au jugement définitif ;
Sauf le cas de flagrant délit, aucune arrestation sur mandat, aucune perquisition ne peut se faire entre six (6) heures du soir et six (6) heures du matin ;
La responsabilité est personnelle. Nul ne peut être arrêté à la place d'un autre.
ARTICLE 25 : Toute rigueur ou contrainte qui n'est pas nécessaire pour appréhender une personne ou la maintenir en détention, toute pression morale ou brutalité physique notamment pendant l'interrogation sont interdites.
ARTICLE 25.1 : Nul ne peut être interrogé en absence de son avocat ou d'un témoin de son choix.
ARTICLE 26 : Nul ne peut être maintenu en détention s'il n'a comparu dans les quarante huit (48) heures qui suivent son arrestation, par-devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l'arrestation et si ce juge n'a confirmé la détention par décision motivée.
ARTICLE 26.1 : En cas de contravention, l'inculpé est déféré par-devant le juge de paix qui statue définitivement.
En cas de délit ou de crime, le prévenu peut, sans permission préalable et sur simple mémoire, se pourvoir devant le doyen du tribunal de première instance du ressort qui, sur les conclusions du Ministère Public, statue à l'extraordinaire, audience tenante, sans remise ni tour de rôle, toutes affaires cessantes sur la légalité de l'arrestation et de la détention.
ARTICLE 26.2 : Si l'arrestation est jugée illégale, le Juge ordonne la libération immédiate du détenu et cette décision exécutoire sur minute nonobstant appel, pourvoi en cassation ou défense d'exécuter.
ARTICLE 27 : Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu'ils appartiennent.
ARTICLE 27.1 : Les fonctionnaires et les employés de l'Etat sont directement responsables selon les lois pénales, civiles et administratives des actes accomplis en violation de droits. Dans ces cas, la responsabilité civile s'étend aussi à l'Etat
SECTION C : DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION
ARTICLE 28 : Tout haïtien ou tout haïtienne a le droit d'exprimer librement ses opinions, en toute matière par la voie qu'il choisit.
ARTICLE 28.1 : Le journaliste exerce librement sa profession dans le cadre de la loi. Cet exercice ne peut être soumis à aucune autorisation, ni censure sauf en cas de guerre.
ARTICLE 28.2 : Le journaliste ne peut être forcé de révéler ses sources. Il a toutefois pour devoir d'en vérifier l'authenticité et l'exactitude des informations. Il est également tenu de respecter l'éthique professionnelle.
ARTICLE 28.3 : Tout délit de presse ainsi que les abus du droit d'expression relèvent du Code Pénal.
ARTICLE 29 : Le droit de pétition est reconnue. Il est exercé personnellement par un, une ou plusieurs citoyens mais jamais au nom d'un Corps.
ARTICLE 29.1 : Toute pétition adressée au Pouvoir Législatif doit donner lieu à une procédure réglementaire permettant de statuer sur son objet.
SECTION D : DE LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE
ARTICLE 30 : Toutes les religions et tous les cultes sont libres. Toute personne a le droit de professer sa religion et son culte, pourvu que l'exercice de ce droit ne trouble pas l'ordre et la paix publics.
ARTICLE 30.1 : Nul ne peut être contraint à faire partie d'une association ou à suivre un enseignement religieux contraire à ses convictions.
ARTICLE 30.2 : La loi établit les conditions de reconnaissance et de fonctionnement des religions et des cultes.
SECTION E : DE LA LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION
ARTICLE 31 : La liberté d'association et de réunion sans armes à des fins politiques, économiques, sociales, culturelles ou toutes autres fins pacifiques est garantie.
ARTICLE 31.1 : Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. La loi détermine leurs conditions de reconnaissance et de fonctionnement, les avantages et privilèges qui leur sont réservés.
ARTICLE 31.2 : Les réunions sur la voie publique sont sujettes à notification préalable aux autorités de police.
ARTICLE 31.3 : Nul ne peut être contraint de s'affilier à une association, quel qu'en soit le caractère.
SECTION F : DE L'ÉDUCATION ET DE L'ENSEIGNEMENT
ARTICLE 32 : L'Etat garantit le droit à l'éducation. Il veille à la formation physique, intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population.
ARTICLE 32.1 : L'éducation est une charge de l'Etat et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l'école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de la formation des Enseignements des secteurs public et privé.
ARTICLE 32.2 : La première charge de l'Etat et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L'Etat encourage et facilite l'initiative privée en ce domaine.
ARTICLE 32.3 : L'enseignement primaire est obligatoire sous peine de sanctions à déterminer par la loi. Les fournitures classiques et le matériel didactique seront mis gratuitement par l'Etat à la disposition des élèves au niveau de l'enseignement primaire.
ARTICLE 32.4 : L'enseignement agricole, professionnel, coopératif et technique est une responsabilité primordiale de l'Etat et des communes.
ARTICLE 32.5 : La formation préscolaire et maternelle ainsi que l'enseignement non-formel sont encouragés.
ARTICLE 32.6 : L'accès aux Etudes Supérieures est ouvert en pleine égalité à tous, uniquement en fonction du mérite.
ARTICLE 32.7 : L'Etat doit veiller à ce que chaque collectivité territoriale, section communale, commune, département soit doté d'établissements d'enseignement indispensables, adaptés aux besoins de son développement, sans toutefois porter préjudice à la priorité de l'enseignement agricole, professionnel, coopératif et technique qui doit être largement diffusé.
ARTICLE 32.8 : L'Etat garantit aux handicapés et aux surdoués des moyens pour assurer leur autonomie, leur éducation, leur indépendance.
ARTICLE 32.9 : L'Etat et les collectivités territoriales ont pour devoir de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue d'intensifier la campagne d'alphabétisation des masses. Ils encouragent toutes les initiatives privées tendant à cette fin.
ARTICLE 32.10 : L'enseignant a droit à un salaire de base équitable.
ARTICLE 33 : L'enseignement est libre à tous les degrés. Cette liberté s'exerce sous le contrôle de l'Etat.
ARTICLE 34:Hormis les cas de flagrant délit, l'enceinte des établissements d'enseignement est inviolable. Aucune force de l'ordre ne peut y pénétrer qu'en accord avec la Direction desdits établissements.
ARTICLE 34.1 : Cette disposition ne s'applique pas quand un établissement scolaire est utilisé à d'autres fins.
SECTION G : DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL
ARTICLE 35 : La liberté du travail est garantie. Tout citoyen a pour obligation de se consacrer à un travail de son choix en vue de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, de coopérer avec l'Etat à l'établissement d'un système de sécurité sociale.
ARTICLE 35.1 : Tout employé d'une institution privée ou publique a droit à un juste salaire, au repos, au congé annuel payé et au bonus.
ARTICLE 35.2 : L'Etat garantit au travailleur, l'égalité des conditions de travail et de salaire quel que soit son sexe, ses croyances, ses opinions et son statut matrimonial.
ARTICLE 35.3 : La liberté syndicale est garantie. Tout travailleur des secteurs privé et public peut adhérer au Syndicat de ses activités professionnelles pour la défense exclusivement de ses intérêts de travail.
ARTICLE 35.4 : Le syndicat est essentiellement apolitique, à but non lucratif et non confessionnel. Nul ne peut être contraint d'y adhérer.
ARTICLE 35.5 : Le droit de grève est reconnue dans les limites déterminée par la loi.
ARTICLE 35.6 : La loi la limite d'âge pour le travail salarié. Des lois spéciales réglementent le travail des enfants mineurs et des gens de maison.
SECTION H : DE LA PROPRIÉTÉ
ARTICLE 36 : La propriété privée est reconnue et garantie. La loi en détermine les modalités d'acquisition, de jouissance ainsi que les limites.
ARTICLE 36.1 : L'expropriation pour cause d'utilité publique peut avoir lieu moyennant le paiement ou la consignation ordonnée par justice aux ordres de qui de droit, d'une juste et préalable indemnité fixée à dire d'expert.
Si le projet initial est abandonné, l'expropriation est annulée et l'immeuble ne pouvant être l'objet d'aucune autre spéculation, doit être restitué à son propriétaire originaire, sans aucun remboursement pour le petit propriétaire. La mesure d'expropriation est effective à partir de la mise en oeuvre du projet.
ARTICLE 36.2 : La nationalisation et la confiscation des biens, meubles et immeubles pour causes politiques sont interdites.
Nul ne peut être privé de son droit légitime de propriété qu'en vertu d'un jugement rendu par un Tribunal de droit commun passé en force de chose souverainement jugée, sauf dans le cadre d'une réforme agraire.
ARTICLE 36.3 : La propriété entraîne également des obligations. Il n'en peut être fait usage contraire à l'intérêt général.
ARTICLE 36.4 : Le propriétaire foncier doit cultiver, exploiter le sol et le protéger, notamment contre l'érosion. La sanction de cette obligation est prévue par la loi.
ARTICLE 36.5 : Le droit de propriété ne s'étend pas au littoral, aux sources, rivières, cours d'eau, mines et carrières. Ils font partie du domaine public de l'Etat.
ARTICLE 36.6 : La loi fixe les règles qui conditionnent la liberté de prospection et le droit d'exploiter les mines, minières et carrières du sous-sol, en assurant au propriétaire de la surface, aux concessionnaires et à l'Etat haïtien une participation équitable au profit que procure la mise en valeur de ces ressources naturelles.
ARTICLE 37 : La loi fixe les conditions de morcellement et de remembrement de la terre en fonction du plan d'aménagement du territoire et du bien-être des communautés concernées, dans le cadre d'une réforme agraire.
ARTICLE 38 : La propriété scientifique, littéraire et artistique est protégée par la loi.
ARTICLE 39 : Les habitants des sections communales ont un droit de préemption pour l'exploitation des terres du domaine privé de l'Etat situé dans leur localité.
SECTION I : DROIT A L'INFORMATION
ARTICLE 40 : Obligation est faite à l'Etat de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale.
SECTION J : DROIT A LA SÉCURITÉ
ARTICLE 41 : Aucun individu de nationalité haïtienne ne peut être déporté ou forcé de laisser le territoire national pour quelque motif que ce soit.
Nul ne peut être privé pour des motifs politiques de sa capacité juridique et de sa nationalité.
ARTICLE 41.1 : Aucun haïtien n'a besoin de visa pour laisser le pays ou pour y revenir.
ARTICLE 42 : Aucun citoyen, civil ou militaire ne peut être distrait des juges que la constitution et les lois lui assignent.
ARTICLE 42.1 : Le militaire accusé de crime de haute trahison envers la patrie est passible du tribunal de droit commun.
ARTICLE 42.2 : La justice militaire n'a juridiction que :
Dans les cas de violation des règlements du Manuel de justice militaire par des militaires ;
Dans les cas de conflits entre les membres des forces armées ;
En cas de guerre.
ARTICLE 42.3 : Les cas de conflit entre civils et militaires, les abus, violences et crimes perpétrés contre un civil par un militaire dans l'exercice de ses fonctions, relèvent exclusivement des tribunaux de droit commun.
ARTICLE 43 : Aucune visite domiciliaire, aucune saisie de papier ne peut avoir lieu qu'en vertu de la loi et dans les formes qu'elle prescrit.
ARTICLE 44 : Les détenus provisoires attendant d'être jugés doivent être séparés de ceux qui purgent une peine.
ARTICLE 44.1 : Le régime des prisons doit répondre aux normes attachées au respect de la dignité humaine selon la loi sur la matière.
ARTICLE 45 : Nulle peine ne peut être établie que par la loi, ni appliquée que dans les cas que celle-ci détermine.
ARTICLE 46 : Nul ne peut être obligé, en matière criminelle, correctionnelle ou de simple police, à témoigner contre lui-même ou ses parents jusqu'au quatrième degré de consanguinité ou deuxième degré d'alliance.
ARTICLE 47 : Nul ne peut être contraint à prêter serment que dans le cas et dans les formes prévues par la loi.
ARTICLE 48 : L'Etat veillera à ce qu'une caisse de pension civile de retraite soit établie dans les secteurs privé et public. Elle sera alimentée par les contributions des employeurs et employés suivant les critères et modalités établis par la loi. L'allocation de la pension est un droit et non une faveur.
ARTICLE 49 : La liberté, le secret de la correspondance et de toutes les autres de communication sont inviolables. Leur limitation ne peut se produire que par un acte motivé de l'autorité judiciaire, selon les garanties fixées par la loi.
ARTICLE 50 : Dans le cadre de la constitution et de la loi, le jury est établi en matière criminelle pour les crimes de sang et en matière de délits politiques.
ARTICLE 51 : La loi ne peut avoir d'effet rétroactif, sauf en matière pénale quand elle est favorable à l'accusé.
CHAPITRE III : DES DEVOIRS DU CITOYEN
ARTICLE 52 : A la qualité de citoyen se rattache le devoir civique. Tout droit est contrebalancé par le devoir correspondant.
ARTICLE 52.1 : Le devoir civique est l'ensemble des obligations du citoyen dans l'ordre moral, politique, social et économique vis-à-vis de l'Etat et de la patrie. Ces obligations sont :
respecter la constitution et l'emblème national ;
respecter les lois ;
voter aux élections sans contrainte ;
payer ses taxes ;
servir de juré ;
défendre le pays en cas de guerre ;
s'instruire et se perfectionner ;
respecter et protéger l'environnement ;
respecter scrupuleusement les deniers et biens de l'Etat ;
respecter le bien d'autrui ;
oeuvrer pour le maintien de la paix ;
fournir assistance aux personnes en danger ;
respecter les droits et la liberté d'autrui.
ARTICLE 52.2 : La dérogation à ces prescriptions est sanctionnée par la loi.
ARTICLE 52.3 : Il est établi un service civique mixte obligatoire dont les conditions de fonctionnement sont établies par la loi.
TITRE IV : DES ÉTRANGERS
ARTICLE 53 : Les conditions d'admission et de séjour des étrangers dans le pays sont établies par la loi.
ARTICLE 54 : Les étrangers qui se trouvent sur le territoire de la République bénéficient de la même protection que celle qui est accordée aux haïtiens, conformément à la loi.
ARTICLE 54.1 : L'étranger jouit des droits civils, des droits économiques et sociaux sous la réserve des dispositions légales relatives au droit de propriété immobilière, à l'exercice des professions, au commerce de gros, à la représentation commerciale et aux opérations d'importation et d'exportation.
ARTICLE 55 : Le droit de propriété immobilière est accordée à l'étranger résidant en Haïti pour les besoins de sa demeure.
ARTICLE 55.1 : Cependant, l'étranger résidant en Haïti ne peut être propriétaire de plus d'une maison d'habitation dans un même arrondissement. Il ne peut en aucun cas se livrer au trafic de location d'immeubles. Toutefois, les sociétés étrangères de promotion immobilière bénéficient d'un statut spécial réglé par la loi.
ARTICLE 55.2 : Le droit de propriété immobilière est également accordée à l'étranger résidant en Haïti et aux sociétés étrangères pour les besoins de leurs entreprises agricoles, commerciales, industrielles, religieuses, humanitaires ou d'enseignement, dans les limites et conditions déterminées par la loi.
ARTICLE 55.3 : Aucun étranger ne peut être propriétaire d'un immeuble borné par la frontière terrestre haïtienne.
ARTICLE 55.4 : Ce droit prend fin cinq (5) années après que l'étranger n'a cessé de résider dans le pays ou qu'ont cessé les opérations de ces sociétés, conformément à la loi qui détermine les règlements à suivre pour la transmission et la liquidation des biens appartenant aux étrangers.
ARTICLE 55.5 : Les contrevenants aux susdites dispositions ainsi que leurs complices seront punis conformément à la loi.
ARTICLE 56 : L'étranger peut être expulsé du territoire de la République lorsqu'il s'immisce dans la vie politique du pays et dans les cas déterminés par la loi.
ARTICLE 57 : Le droit d'asile est reconnu aux réfugiés politiques.
TITRE V : DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE
ARTICLE 58 : La souveraineté nationale réside dans l'universalité des citoyens. Les citoyens exercent directement les prérogatives de la souveraineté par :
l'élection du Président de la République ;
l'élection des membres du Pouvoir législatif ;
l'élection des membres de tous autres corps ou de toutes assemblées prévues par la Constitution et par la loi.
ARTICLE 59 : Les citoyens délèguent l'exercice de la souveraineté nationale à trois (3) pouvoirs :
le pouvoir législatif ;
le pouvoir exécutif ;
le pouvoir judiciaire.
Le principe de séparation des trois (3) pouvoirs est consacré par la constitution.
ARTICLE 59.1 : L'ensemble de ces trois (3) pouvoirs constitue le fondement essentiel de l'organisation de l'Etat qui est civil.
ARTICLE 60 : Chaque pouvoir est indépendant des deux (2) autres dans ses attributions qu'il exerce séparément.
ARTICLE 60.1 : Aucun d'eux ne peut, sous aucun motif, déléguer ses attributions en tout ou en partie, ni sortir des limites qui sont fixées par la constitution et par la loi.
ARTICLE 60.2 : La responsabilité entière est attachée aux actes de chacun des trois (3) pouvoirs.
CHAPITRE I : DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE LA DÉCENTRALISATION
ARTICLE 61 : Les collectivités territoriales sont la section communale, la commune et le département.
ARTICLE 61.1 : La loi peut créer toute autre collectivité territoriale.
SECTION A : DE LA SECTION COMMUNALE
ARTICLE 62 : La section communale est la plus petite entité territoriale administrative de la République.
ARTICLE 63 : L'administration de chaque section communale est assurée par un conseil de trois (3) membres élus au suffrage universel pour une durée de quatre (4) ans. Ils sont indéfiniment rééligibles. Son mode d'organisation et de fonctionnement est réglé par la loi.
ARTICLE 63.1 : Le conseil d'administration de la section communale est assisté dans sa tâche par une assemblée de la section communale.
ARTICLE 64 : L'Etat a pour obligation d'établir au niveau de chaque section communale les structures propres à la formation sociale, économique, civique et culturelle de sa population.
ARTICLE 65 : Pour être membre du conseil d'administration de la section communale, il faut:
être haïtien et âgé de 25 ans au moins ;
avoir résidé dans la section communale deux (2) ans avant les élections et continuer à y résider ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante.
SECTION B : DE LA COMMUNE
ARTICLE 66 : La Commune a l'autonomie administrative et financière. Chaque Commune de la République est administrée par un Conseil de trois (3) membres élus au suffrage universel dénommé Conseil Municipal.
ARTICLE 66.1 : Le Président du Conseil porte le titre de Maire. Il est assisté de Maires-adjoints.
ARTICLE 67 : Le Conseil Municipal est assisté dans sa tâche d'une assemblée municipale formée notamment d'un représentant de chacune de ses Sections communales.
ARTICLE 68 : Le mandat du Conseil municipal est de quatre (4) ans et ses membres sont indéfiniment rééligibles.
ARTICLE 69 : Le mode d'organisation et de fonctionnement de la Commune et du Conseil municipal sont réglés par la loi.
ARTICLE 70 : Pour être élu membre d'un Conseil municipal, il faut :
être haïtien
être âgé de vingt-cinq (25) ans accomplis.
jouir de ses droits civils et politiques.
n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante.
avoir résidé au moins 3 ans dans la Commune et s'engager à y résider pendant la durée de son mandat.
ARTICLE 71 : Chaque Conseil municipal est assisté sur sa demande d'un Conseil technique fourni par l'administration centrale.
ARTICLE 72 : Le Conseil municipal ne peut-être dissout qu'en cas d'incurie, de malversation ou d'administration frauduleuse légalement prononcée par le tribunal compétent.
En cas de dissolution, le Conseil départemental supplée immédiatement à la vacance et saisit le Conseil Electoral Permanent dans les soixante (60) jours à partir de la date de la dissolution en vue de l'élection d'un nouveau Conseil devant gérer les intérêts de la Commune pour le temps qui reste à courir. Cette procédure s'applique en cas de vacance pour toute autre cause.
ARTICLE 73 : Le Conseil municipal administre ses ressources au profit exclusif de la municipalité et rend compte à l'assemblée municipale qui elle-même en fait rapport au Conseil départemental.
ARTICLE 74 : Le Conseil municipal est gestionnaire privilégié des biens fonciers du domaine privé de l'Etat situé dans les limites de sa Commune. Ils ne peuvent être l'objet d'aucune transaction sans l'avis préalable de l'assemblée municipale.
SECTION C : DE L'ARRONDISSEMENT
ARTICLE 75 : L'arrondissement est une division administrative pouvant regrouper plusieurs communes. Son organisation et son fonctionnement sont réglés par la loi.
SECTION D : DU DÉPARTEMENT
ARTICLE 76 : Le département est la plus grande division territoriale. Il regroupe les arrondissements.
ARTICLE 77 : Le département est une personne morale. Il est autonome.
ARTICLE 78 : Chaque département est administré par un Conseil de trois (3) membres élus pour quatre (4) ans par l'assemblée départementale.
ARTICLE 79 : Le membre du Conseil départemental n'est pas forcément tiré de l'assemblée mais il doit :
être haïtien et âgé de vingt-cinq (25) ans au moins ;
avoir résidé dans le département trois (3) ans avant les élections et s'engager à y résider pendant la durée du mandat ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine à la fois afflictive et infamante.
ARTICLE 80 : Le Conseil départemental est assisté dans sa tâche d'une assemblée départementale formée d'un (1) représentant de chaque assemblée municipale.
ARTICLE 80.1 : Ont accès aux réunions de l'assemblée avec voix consultative :
les députés, les sénateurs du département ;
Un (1) représentant de chaque association socioprofessionnelle ou syndicale ;
le délégué départemental ;
les directeurs des services publics du département.
ARTICLE 81 : Le Conseil départemental élabore en collaboration avec l'administration centrale, le plan de développement du département.
ARTICLE 82 : L'organisation et le fonctionnement du conseil départemental et de l'assemblée départementale sont réglés par la loi.
ARTICLE 83 : Le conseil départemental administre ses ressources financières au profit exclusif du département et rend compte à l'assemblée départementale qui elle-même en fait rapport à l'administration centrale.
ARTICLE 84 : Le conseil départemental peut être dissous en cas d'incurie, de malversations ou d'administration frauduleuse légalement constatées par le tribunal compétent.
En cas de dissolution, l'administration centrale nomme une commission provisoire et saisit le conseil électoral permanent en vue de l'élection d'un nouveau conseil pour le temps à courir dans les soixante (60) jours de la dissolution.
SECTION E : DES DÉLÉGUÉS ET VICE-DÉLÉGUÉS
ARTICLE 85 : Dans chaque chef-lieu de département, le pouvoir exécutif nomme un représentant qui porte le titre de délégué. Un vice-délégué placé sous l'autorité du délégué est également nommé dans chaque chef-lieu d'arrondissement.
ARTICLE 86 : Les délégués et vice-délégués assurent la coordination et le contrôle des services publics et n'exercent aucune fonction de police répressive. Les autres attributions des délégués et vice-délégués sont déterminées par la loi.
SECTION F : DU CONSEIL INTERDEPARTEMENTAL
ARTICLE 87 : L'Exécutif est assisté d'un (1) Conseil interdépartemental dont les membres sont désignés par les assemblées départementales à raison d'un (1) par département.
ARTICLE 87.1 : Ce représentant, choisi parmi les membres des assemblées départementales sert de liaison entre le département et le pouvoir exécutif.
ARTICLE 87.2 : Le conseil interdépartemental, de concert avec l'Exécutif, étudie et planifie les projets de décentralisation et de développement du pays, au point de vue social, économique, commercial, agricole et industriel.
ARTICLE 87.3 : Il assiste aux séances de travail du Conseil des ministres lorsqu'elles traitent des objets mentionnés au précédent paragraphe avec voix délibérative.
ARTICLE 87.4 : La décentralisation doit être accompagnée de la déconcentration des services publics avec délégation de pouvoir et du décloisonnement industriel au profit des départements.
ARTICLE 87.5 : La loi détermine l'organisation et le fonctionnement du conseil interdépartemental ainsi que la fréquence des séances du Conseil des ministres auxquelles il participe.
CHAPITRE II : DU POUVOIR LÉGISLATIF
ARTICLE 88 : Le pouvoir législatif s'exerce par deux (2) Chambres représentatives. Une (1) Chambre des députés et un (1) Sénat qui forment le Corps Législatif.
SECTION A : DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS
ARTICLE 89 : La Chambre des députés est un corps composé de membres élus au suffrage direct par les citoyens et chargé d'exercer au nom de ceux-ci et de concert avec le Sénat les attributions du Pouvoir législatif.
ARTICLE 90 : Chaque collectivité municipale constitue une circonscription électorale et élit un (1) député.
La loi fixe le nombre de députés au niveau des grandes agglomérations sans que ce nombre n'excède trois (3). En attendant l'application des alinéas précédents, le nombre de députés ne peut être inférieur à soixante-dix (70).
ARTICLE 90.1 : Le député est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés dans les assemblées primaires, selon les conditions et le mode prescrit par la loi électorale.
ARTICLE 91 : Pour être membre de la Chambre des députés, il faut :
être haïtien ou haïtienne d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité ;
être âgé de vingt-cinq (25) ans accomplis ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive ou infamante pour un crime de droit commun ;
avoir résidé au moins deux (2) années consécutives précédant la date des élections dans la circonscription électorale à représenter ;
être propriétaire d'un immeuble au moins dans la circonscription ou y exercer une profession ou une industrie ;
avoir reçu décharge, le cas échéant, comme gestionnaire de fonds publics.
ARTICLE 92 : Les députés sont élus pour quatre (4) ans et sont indéfiniment rééligibles.
ARTICLE 92.1 : Ils entrent en fonction le deuxième lundi de janvier et siègent en deux (2) sessions annuelles. La durée de leur mandat forme une législature.
ARTICLE 92.2 : La première session va du deuxième lundi de janvier au deuxième lundi de mai. La seconde, du deuxième lundi du mois de juin au deuxième lundi de septembre.
ARTICLE 92.3 : Le renouvellement de la Chambre des députés se fait intégralement tous les quatre (4) ans.
ARTICLE 93 : La Chambre des députés, outre les attributions qui lui sont dévolues par la Constitution en tant que branche du pouvoir législatif, a le privilège de mettre en accusation le chef de l'Etat, le Premier Ministre, les Ministres, les Secrétaires d'Etat par-devant la Haute Cour de justice, par une majorité des 2/3 de ses membres. Les autres attributions de la Chambre des députés lui sont assignées par la Constitution et par la loi.
SECTION B : DU SÉNAT
ARTICLE 94 : Le sénat est un Corps composé de membres élus au suffrage direct par les citoyens et chargé d'exercer en leur nom, de concert avec la Chambre des Députés, les attributions du Pouvoir législatif.
ARTICLE 94.1 : Le nombre des sénateurs est fixé à trois (3) sénateurs par département.
ARTICLE 94.2 : Le sénateur de la République est élu au suffrage universel à la majorité absolue dans les assemblées primaires tenues dans les Départements géographiques, selon les conditions prescrites par la loi électorale.
ARTICLE 95 : Les sénateurs sont élus pour six (6) ans et sont indéfiniment rééligibles.
ARTICLE 95.1 : Les sénateurs siègent en permanence.
ARTICLE 95.2 : Le Sénat peut cependant s'ajourner excepté durant la session législative. Lorsqu'il s'ajourne, il laisse un comité permanent chargé d'expédier les affaires courantes. Ce comité ne peut prendre aucun arrêté, sauf pour la convocation du Sénat.
Dans les cas d'urgence, l'Exécutif peut également convoquer le Sénat avant la fin de l'ajournement.
ARTICLE 95.3 : Le renouvellement du Sénat se fait par tiers (1/3) tous les deux ans.
ARTICLE 96 : Pour être élu sénateur, il faut :
être haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité ;
être âgé de trente (30) ans accomplis ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante pour un crime de droit commun ;
avoir résidé dans le département à représenter au moins quatre (4) années consécutives précédant la date des élections ;
être propriétaire d'un immeuble au moins dans le département ou y exercer une profession ou une industrie ;
avoir obtenu décharge, le cas échéant, comme gestionnaire de fonds publics.
ARTICLE 97 : En addition aux responsabilités qui sont inhérentes en tant que branche du Pouvoir législatif, le Sénat exerce les attributions suivantes :
proposer à l'Exécutif la liste des juges de la Cour de Cassation selon les prescriptions de la Constitution ;
s'ériger en Haute Cour de justice ;
exercer toutes autres attributions qui lui sont assignées par la présente Constitution et par la loi.
SECTION C : DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
ARTICLE 98 : La réunion en une seule Assemblée des deux (2) branches du pouvoir législatif constitue l'Assemblée Nationale.
ARTICLE 98.1 : L'assemblée Nationale se réunit pour l'ouverture et la clôture de chaque Session et dans tous les autres cas prévus par la Constitution.
ARTICLE 98.2 : Les pouvoirs de l'assemblée Nationale sont limités et ne peuvent s'étendre à d'autres objets que ceux qui sont spécialement attribués par la Constitution.
ARTICLE 98.3 : Les attributions sont :
de recevoir le serment constitutionnel du Président de la République ;
de ratifier toute décision, de déclarer la guerre quand toutes les tentatives de conciliation ont échoué ;
d'approuver ou de rejeter les traités et conventions internationales ;
d'amender la Constitution selon la procédure qui y est indiquée ;
de ratifier la décision de l'Exécutif de déplacer le siège du Gouvernement dans les cas déterminés par l'article Premier de la présente Constitution ;
de statuer sur l'opportunité de l'Etat de siège, d'arrêter avec l'Exécutif les garanties constitutionnelles à suspendre et de se prononcer sur toute demande de renouvellement de cette mesure ;
de concourir à la formation du Conseil Electoral Permanent conformément à l'ARTICLE 192 de la Constitution ;
de recevoir à l'ouverture de chaque session, le bilan des activités du Gouvernement.
ARTICLE 99 : L'assemblée Nationale est présidée par le Président du Sénat. assísté du Président de la Chambre des députés en qualité de vice-président. Les Secrétaires du Sénat et ceux de la Chambre des députés sont les Secrétaires de l'Assemblée Nationale.
ARTICLE 99.1 : En cas d'empêchement du Président du Sénat, l'assemblée Nationale est présidée par le Président de la Chambre des députés, le vice-président du Sénat devient alors vice-président de l'assemblée Nationale.
ARTICLE 99.2 : En cas d'empêchement des deux (2) Présidents, les deux (2) vice-président y suppléent respectivement.
ARTICLE 100 : Les séances de l'Assemblée sont publiques. Néanmoins, elles peuvent avoir lieu à huis clos sur la demande de cinq (5) membres et il sera ensuite décidé à la majorité absolue si la séance doit être reprise en public.
ARTICLE 101 : En cas d'urgence, lorsque le corps législatif n'est pas en session, le pouvoir exécutif peut convoquer l'assemblée Nationale à l'extraordinaire.
ARTICLE 102 : L'assemblée Nationale ne peut siéger ou prendre des décisions et des résolutions sans la présence en son sein de la majorité de chacune des deux (2) Chambres.
ARTICLE 103 : Le corps législatif a son siège à Port-au-Prince. Néanmoins, suivant les circonstances, ce siège sera transféré ailleurs au même lieu et en même temps que celui du pouvoir exécutif.
SECTION D : DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF
ARTICLE 104 : La session du corps législatif prend date dès l'ouverture des deux (2) Chambres en assemblée Nationale.
ARTICLE 105 : Dans l'intervalle des sessions ordinaires et en cas d'urgence, le Président de la République peut convoquer le corps législatif en session extraordinaire.
ARTICLE 106 : Le chef du pouvoir exécutif rend compte de cette mesure par un message.
ARTICLE 107 : Dans le cas de convocation à l'extraordinaire du corps législatif, il ne peut décider sur aucun objet étranger au motif de la convocation.
ARTICLE 107.1 : Cependant, tout sénateur ou député peut entretenir l'assemblée à laquelle il appartient de question d'intérêt général.
ARTICLE 108 : Chaque Chambre vérifie et valide les pouvoirs de ses membres et juge souverainement les contestations qui s'élèvent à ce sujet.
ARTICLE 109 : Les membres de chaque Chambre prêtent le serment suivant :
'Je jure de m'acquitter de ma tâche, de maintenir et de sauvegarder les droits du Peuple et d'être fidèle à la Constitution ».
ARTICLE 110 : Les séances des (2) deux Chambres sont publiques. Chaque Chambre peut travailler à huis clos sur la demande de cinq (5) membres et décider ensuite à la majorité si la séance doit être reprise en public.
ARTICLE 111 : Le Pouvoir législatif fait des lois sur tous les objets d'intérêt public.
ARTICLE 111.1 : L'initiative en appartient à chacune des deux (2) Chambres ainsi qu'au pouvoir exécutif.
ARTICLE 111.2 : Toutefois l'initiative de la Loi Budgétaire, des lois concernant l'assiette, la quotité et le mode de perception des impôts et contributions, de celles ayant pour objet de créer des recettes ou d'augmenter les recettes et les dépenses de l'Etat est du ressort du pouvoir exécutif. Les projets présentés à cet égard doivent être votés d'abord par la Chambre des députés.
ARTICLE 111.3 : En cas de désaccord entre les deux (2) Chambres relativement aux lois mentionnées dans le précédent paragraphe, chaque Chambre nomme au scrutin de liste et en nombre égal une commission parlementaire qui résout en dernier ressort le désaccord.
ARTICLE 111.4 : Si le désaccord se produit à l'occasion de toute autre loi, celle-ci sera ajournée jusqu'à la session suivante. Si à cette session et même en cas de renouvellement des Chambres, la loi étant présentée à nouveau, une entente ne se réalise pas, chaque Chambre nomme au scrutin de liste et en nombre égal, une commission parlementaire chargée d'arrêter le texte définitif qui sera soumis aux deux (2) Assemblées, à commencer par celle qui avait primitivement voté la loi. Et si ces nouvelles délibérations ne donnent aucun résultat, le projet ou la proposition de loi sera retiré.
ARTICLE 111.5 : En cas de désaccord, entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, la commission de conciliation prévue à l'article 206 ci-après, est saisie du différend sur demande de l'une des parties.
ARTICLE 111.6 : Si la commission échoue dans sa mission, elle dresse un procès-verbal de non-conciliation qu'elle transmet aux deux (2) hautes parties et en donne avis à la Cour de Cassation.
ARTICLE 111.7 : Dans la huitaine de la réception de ce procès-verbal, la Cour de cassation se saisit d'office du différend. La Cour statue en sections réunies, toutes affaires cessantes. La décision sera finale et s'impose aux hautes parties. Si entre temps, une entente survient entre les hautes parties, les termes de l'entente arrêteront d'office la procédure en cours.
ARTICLE 111.8 : En aucun cas, la Chambre des députés ou le Sénat ne peut être dissous ou ajourné, ni le mandat de leurs membres prorogé.
ARTICLE 112 : Chaque Chambre au terme de ses règlements, nomme son personnel, fixe sa discipline et détermine le mode suivant lequel elle exerce ses attributions.
ARTICLE 112.1 : Chaque Chambre peut appliquer à ces membres pour conduite répréhensible, par décision prise à la majorité des 2/3, des peines disciplinaires sauf, celle de la radiation.
ARTICLE 113 : Sera déchu de sa qualité de député ou de sénateur, tout membre du Corps législatif qui, pendant la durée de son mandat, aura été frappé d'une condamnation prononcée par un tribunal de droit commun qui a acquis autorité de chose jugée et entraîne l'inéligibilité.
ARTICLE 114 : Les membres du Corps législatif sont inviolables du jour de leur prestation de serment jusqu'à l'expiration de leur mandat, sous réserve des dispositions de l'ARTICLE 115 ci-après.
ARTICLE 114.1 : Ils ne peuvent être en aucun temps poursuivis et attaqué pour les opinions et votes émis par eux dans l'exercice de leur fonction.
ARTICLE 114.2 : Aucune contrainte par corps ne peut être exécutée contre un membre du Corps législatif pendant la durée de son mandat.
ARTICLE 115 : Nul membre du Corps législatif ne peut, durant son mandat, être arrêté en matière criminelle, correctionnelle ou de police pour délit de droit commun, si ce n'est avec l'autorisation de la Chambre à laquelle il appartient, sauf le cas de flagrant délit pour faits emportant une peine afflictive et infamante. Il en est alors référé à la Chambre des députés ou au Sénat sans délai si le Corps législatif est en session, dans le cas contraire, à l'ouverture de la prochaine session ordinaire ou extraordinaire.
ARTICLE 116 : Aucune des deux (2) Chambres ne peut siéger, ni prendre une résolution sans la présence de la majorité de ses membres.
ARTICLE 117 : Tous les actes du Corps législatif doivent être pris à la majorité des membres présents, excepté s'il en est autrement prévu par la présente Constitution.
ARTICLE 118 : Chaque Chambre a le droit d'enquêter sur les questions dont elle est saisie.
ARTICLE 119 : Tout le projet de loi doit être voté Article par Article.
ARTICLE 120 : Chaque Chambre a le droit d'amender et de diviser les articles et amendements proposés. Les Amendements votés par une Chambre ne peuvent faire partie d'un projet de loi qu'après avoir été votés par l'autre Chambre dans la même forme et en des termes identiques. Aucun projet de loi ne devient loi qu'après avoir été voté dans la même forme par les deux (2) Chambres.
ARTICLE 120.1 : Tout projet peut être retiré de la discussion tant qu'il n'a pas été définitivement voté.
ARTICLE 121 : Toute loi votée par le Corps législatif est immédiatement adressée au Président de la République qui, avant de la promulguer, a le droit d'y faire des objections en tout ou en partie.
ARTICLE 121.2 : Si la loi ainsi amendée est votée par la seconde Chambre, elle sera adressée de nouveau au Président de la République pour être promulguée.
ARTICLE 121.3 : Si les objections sont rejetées par la Chambre qui a primitivement voté la loi, elle est renvoyée à l'autre Chambre avec les objections.
ARTICLE 121.4 : Si la seconde Chambre vote également le rejet, la loi est renvoyée au Président de la République qui est dans l'obligation de la promulguer.
ARTICLE 121.5 : Le rejet des objections est voté par l'une ou l'autre Chambre à la majorité prévue par l'ARTICLE 117. Dans ce cas, les votes de chaque Chambre seront émis au scrutin secret.
ARTICLE 121.6 : Si dans l'une ou l'autre Chambre, la majorité prévue à l'alinéa précédent n'est pas obtenue pour le rejet, les objections sont acceptées.
ARTICLE 122 : Le droit d'objection doit être exercée dans un délai de huit (8) jours francs à partir de la date de la réception de la loi par le Président de la République.
ARTICLE 123 : Si dans les délais prescrits, le Président de la République ne fait aucune objection, la loi doit être promulguée à moins que la session du Corps législatif n'ait pris fin avant l'expiration des délais, dans ce cas, la loi demeure ajournée. La loi ainsi ajournée est, à l'ouverture de la Session suivante, adressée au Président de la République pour l'exercice de son droit d'objection.
ARTICLE 124 : Un projet de loi rejeté par l'une des deux (2) Chambres ne peut être présenté de nouveau dans la même session.
ARTICLE 125 : Les lois et autres actes du Corps législatif et de l'assemblée Nationale seront rendus exécutoires par leur promulgation et leur publication au Journal Officiel de la République.
ARTICLE 125.1 : Ils sont numérotés, insérés dans le bulletin imprimé et numéroté ayant pour titre BULLETIN DES LOIS ET ACTES.
ARTICLE 126 : La loi prend date du jour de son adoption définitive par les deux (2) Chambres.
ARTICLE 127 : Nul ne peut en personne présenter des pétitions à la tribune du Corps législatif.
ARTICLE 128 : L'interprétation des lois par voie d'autorité, n'appartient qu'au Pouvoir législatif, elle est donnée dans la forme d'une loi.
ARTICLE 129 : Chaque membre du Corps législatif reçoit une indemnité mensuelle à partir de sa prestation de serment.
ARTICLE 129.1 : La fonction de membre du Corps législatif est incompatible avec toute autre fonction rétribuée par l'Etat, sauf celle d'enseignement.
ARTICLE 129.2 : Le droit de questionner et d'interpeller un membre du Gouvernement ou le Gouvernement tout entier sur les faits et actes de l'administration est reconnu à tout membre des deux (2) Chambres.
ARTICLE 129.3 : La demande d'interpellation doit être appuyée par cinq (5) membres du Corps intéressé. Elle aboutit à un vote de confiance ou de censure pris à la majorité de ce Corps.
ARTICLE 129.4 : Lorsque la demande d'interpellation aboutit à un vote de censure sur une question se rapportant au programme où à une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier Ministre doit remettre au Président de la République, la démission de son Gouvernement.
ARTICLE 129.5:Le Président doit accepter cette démission et nommer un nouveau Premier Ministre, conformément aux dispositions de la Constitution.
ARTICLE 129.6 : Le Corps législatif ne peut prendre plus d'un vote de censure par an sur une question se rapportant au programme ou à une déclaration de politique générale de Gouvernement.
ARTICLE 130 : En cas de mort, de démission, de déchéance, d'interdiction judiciaire ou d'acceptation d'une fonction incompatible avec celle de membre du Corps législatif, il est pourvu au remplacement du député ou du sénateur dans sa circonscription électorale pour le temps seulement qui reste à courir par une élection partielle sur convocation de l Assemblée Primaire Electorale faite par le Conseil Electoral Permanent dans le mois même de la vacance.
ARTICLE 130.1 : L'élection a lieu dans une période de trente (30) jours après la convocation de l'assemblée Primaire, conformément à la Constitution.
ARTICLE 130.2 : Il en est de même à défaut d'élection ou en cas de nullité des élections prononcées par le Conseil Electoral Permanent dans une ou plusieurs circonscriptions.
ARTICLE 130.3 : Cependant, si la vacance se produit au cours de la dernière session ordinaire de la Législature ou après la session, il n'y a pas lieu à l'élection partielle.
SECTION E : DES INCOMPATIBILITÉS
ARTICLE 131 : Ne peuvent être élus membres du Corps législatif :
le concessionnaire ou cocontractant de l'Etat pour l'exploitation des services publics ;
les représentants ou mandataires des concessionnaires ou cocontractants de l'Etat, compagnies ou sociétés concessionnaires ou cocontractants de l'Etat ;
les délégués, vice-délégueés, les juges, les officiers du Ministère Public dont les fonctions n'ont pas cessé six (6) mois avant la date fixée pour les élections ;
toute personne se trouvant dans les autres cas d'inéligibilité prévus par la présente Constitution et par la loi.
ARTICLE 132 : Les membres du pouvoir exécutif et les directeurs généraux de l'administration publique ne peuvent être élus membres du Corps législatif s'ils ne démissionnent un (1) an au moins avant la date des élections.
CHAPITRE III : DU POUVOIR EXÉCUTIF
ARTICLE 133 : Le pouvoir exécutif est exercé par :
le Président de la République, chef de l'Etat ;
le Gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre.
SECTION A : DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
ARTICLE 134 : Le Président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants. Si celle-ci n'est pas obtenue au premier tour, il a procédé à un second
Tour.
Seuls peuvent s'y présenter les deux (2) candidats qui, le cas échéant, après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de voix au premier tour.
ARTICLE 134.1 : La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections.
ARTICLE 134.2 : Les élections présidentielles ont lieu le dernier dimanche de novembre de la cinquième année du mandat présidentiel.
ARTICLE 134.3 : Le Président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat. Il ne peut assumer un nouveau mandat, qu'après un intervalle de cinq (5) ans. En aucun cas, il ne peut briguer un troisième mandat.
ARTICLE 135 : Pour être élu Président de la République d'Haïti, il faut :
être haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité ;
être âgé de trente-cinq (35) ans accomplis au jour des élections ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante pour crime de droit commun ;
être propriétaire en Haïti d'un immeuble au moins et avoir dans le pays une résidence habituelle ;
résider dans le pays depuis cinq (5) années consécutives avant la date des élections ;
avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable des deniers publics.
ARTICLE 135.1 : Avant d'entrer en fonction, le Président de la République prête devant l'Assemblée Nationale le serment suivant :
'Je jure, devant Dieu et devant la Nation, d'observer fidèlement la Constitution et les lois de la République, de respecter et de faire respecter les droit s du peuple haïtien, de travailler à la grandeur de la Patrie, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire ».
SECTION B : DES ATTRIBUTIONS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
ARTICLE 136 : Le Président de la République, chef de l'Etat, veille au respect et à l'exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat.
ARTICLE 137 : Le Président de la République choisit un Premier Ministre parmi les membres du parti ayant la majorité au Parlement. A défaut de cette majorité, le Président de la République choisit son Premier Ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des députés.
Dans les deux (2) cas le choix doit être ratifié par le Parlement.
ARTICLE 137.1 : Le Président de la République met fin aux fonctions du Premier Ministre sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
ARTICLE 138 : Le Président de la République est le garant de l'Indépendance Nationale et de l'Intégrité du Territoire.
ARTICLE 139 : Il négocie et signe tous traités, conventions et accords internationaux et les soumet à la ratification de l'Assemblée Nationale.
ARTICLE 139.1 : Il accrédite les Ambassadeurs et les Envoyés Extraordinaires auprès des puissances étrangères, reçoit les lettres de créance des Ambassadeurs des puissances étrangères et accorde l'exequatur aux Consuls.
ARTICLE 140 : Il déclare la guerre, négocie et signe les traités de paix avec l'approbation de l'Assemblée Nationale.
ARTICLE 141 : Le Président de la République, après approbation du Sénat nomme par arrêté pris en Conseil des Ministres, le Commandant en chef des Forces Armées, le Commandant en Chef de la Police, les Ambassadeurs et les Consuls généraux.
ARTICLE 142 : Par arrêté pris en Conseil des Ministres, le Président de la République nomme les directeurs généraux de l'administration publique, les délégués et vice-délégués des départements et arrondissements. Il nomme également, après approbation du Sénat, les conseils d'administration des organismes autonomes.
ARTICLE 143 : Le Président de la République est le chef nominal des Forces Armées, il ne les commande jamais en personne.
ARTICLE 144 : Il fait sceller les lois du Sceau de la République et les promulgue dans les délais prescrits par la Constitution. Il peut avant l'expiration de ce délai, user de son droit d'objection.
ARTICLE 145 : Il veille à l'exécution des décisions judiciaires, conformément à la loi.
ARTICLE 146 : Le Président de la République a le droit de grâce et de commutation de peine relativement à toute condamnation passée en force de chose jugée, à l'exception des condamnations prononcées par la Haute Cour de Justice ainsi qu'il est prévu dans la présente Constitution.
ARTICLE 147 : Il ne peut accorder amnistie qu'en matière politique et selon les prescriptions de la loi.
ARTICLE 148 : Si le Président se trouve dans l'impossibilité temporaire d'exercer ses fonctions, le Conseil des Ministres sous la présidence du Premier Ministre, exerce le pouvoir exécutif tant que dure l'empêchement.
ARTICLE 149 : En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, le Président de la Cour de Cassation de la République ou, à son défaut, le vice-président de cette Cour ou à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d'ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de Président de la République par l'Assemblée Nationale dûment convoquée par le Premier Ministre. Le scrutin pour l'élection du nouveau Président pour un nouveau mandat de cinq (5) ans a lieu quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus après l'ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la Loi Electorale.
ARTICLE 149.1 : Ce Président provisoire ne peut en aucun cas se porter candidat à la plus prochaine élection présidentielle.
ARTICLE 150 : Le Président de la République n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution.
ARTICLE 151 : A l'ouverture de la Première session législative annuelle, le Président de la République, par un message au Corps législatif, fait l'Exposé général de la situation. Cet exposé ne donne lieu à aucun débat.
ARTICLE 152 : Le Président de la République reçoit du Trésor public une indemnité mensuelle à partir de sa prestation de serment.
ARTICLE 153 : Le Président de la République a sa résidence officielle au Palais National, à la capitale, sauf en cas de déplacement du siège du pouvoir exécutif.
ARTICLE 154 : Le Président de la République préside le Conseil des Ministres.
SECTION C : DU GOUVERNEMENT
ARTICLE 155 : Le Gouvernement se compose du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d'Etat. Le Premier Ministre est le chef de Gouvernement.
ARTICLE 156 : Le Gouvernement conduit la politique de la Nation. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions prévues par la Constitution.
ARTICLE 157 : Pour être nommé Premier Ministre, il faut :
être haïtien d'origine et n'avoir pas renoncé à sa nationalité ;
être âgé de trente (30) ans accomplis ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante ;
être propriétaire en Haïti ou y exercer une profession ;
résider dans le pays depuis cinq (5) années consécutives ;
avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable des deniers publics.
SECTION D : DES ATTRIBUTIONS DU PREMIER MINISTRE
ARTICLE 158 : Le Premier Ministre en accord avec le Président choisit les membres de son Cabinet ministériel et se présente devant le Parlement afin d'obtenir un vote de confiance sur sa déclaration de politique générale. Le vote a lieu au scrutin public et à la majorité absolue de chacune des deux (2) Chambres. Dans le cas d'un vote de non-confiance par l'une des deux (2) Chambres, la procédure recommence.
ARTICLE 159 : Le Premier Ministre fait exécuter les lois. En cas d'absence, d'empêchement temporaire du Président de la République ou sur sa demande, le Premier Ministre préside le Conseil des Ministres. Il a le pouvoir réglementaire, mais il ne peut jamais suspendre, ni interpréter les lois, actes et décrets, ni se dispenser de les exécuter.
ARTICLE 159.1 : De concert avec le Président de la République, il est responsable de la Défense Nationale.
ARTICLE 160 : Le Premier Ministre nomme et révoque directement ou par délégation les fonctionnaires publics selon les conditions prévues par la Constitution et par la loi sur le statut général de la Fonction Publique.
ARTICLE 161 : Le Premier Ministre et les Ministres ont leurs entrées aux Chambres pour soutenir les projets de lois et les objections du Président de la République ainsi que pour répondre aux interpellations.
ARTICLE 162 : Les actes du Premier Ministre sont contresignés, le cas échéant par les Ministres chargés de leur exécution. Le Premier Ministre peut être chargé d'un portefeuille ministériel.
ARTICLE 163 : Le Premier Ministre et les Ministres sont responsables solidairement tant des actes du Président de la République qu'ils contresignent que de ceux de leurs ministères. Ils sont également responsables de l'exécution des lois, chacun en ce qui le concerne.
ARTICLE 164 : La fonction de Premier Ministre et celle de membre du Gouvernement sont incompatibles avec tout mandat parlementaire. Dans un tel cas, le parlementaire opte pour l'une ou l'autre fonction.
ARTICLE 165 : En cas de démission du Premier Ministre, le Gouvernement reste en place jusqu'à la nomination de son successeur pour expédier les affaires courantes.
SECTION E : DES MINISTRES ET DES SECRÉTAIRES D'ETAT
ARTICLE 166 : Le Président de la République préside le Conseil des Ministres. Le nombre de ceux-ci ne peut être inférieur à dix (10).
Le Premier Ministre quand il le juge nécessaire adjoindra aux Ministres, des Secrétaires d'Etat.
ARTICLE 167 : La loi fixe le nombre des Ministères.
ARTICLE 168 : La fonction ministérielle est incompatible avec l'exercice de tous autres emplois publics, sauf ceux de l'Enseignement supérieur.
ARTICLE 169 : Les Ministres sont responsables des actes du Premier Ministre qu'ils contresignent. Ils sont solidairement responsables de l'exécution des lois.
ARTICLE 169.1 : En aucun cas, l'ordre écrit ou verbal du Président de la République ou du Premier Ministre ne peut soustraire les Ministres à la responsabilité attachée à leurs fonctions.
ARTICLE 170 : Le Premier Ministre, les Ministres et les Secrétaires d'Etat reçoivent des indemnités mensuelles établies par la Loi Budgétaire.
ARTICLE 171 : Les Ministres nomment certaines catégories d'agents de la Fonction Publique par délégation du Premier Ministre, selon les conditions fixées par la loi sur la Fonction Publique.
ARTICLE 172 : Lorsque l'une des deux (2) Chambres, à l'occasion d'une interpellation met en cause la responsabilité d'un Ministre par un vote de censure pris à la majorité absolue de ses membres, l'Exécutif renvoie le Ministre.
CHAPITRE IV : DU POUVOIR JUDICIAIRE
ARTICLE 173 : Le pouvoir judiciaire est exercé par une Cour de Cassation, les Cours d'Appel, les tribunaux de première instance, les tribunaux de paix et les tribunaux spéciaux dont le nombre, la composition, l'organisation, le fonctionnement et la juridiction sont fixés par la loi.
ARTICLE 173.1 : Les contestations qui ont pour objet les droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
ARTICLE 173.2 : Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu'en vertu de la loi. Il ne peut être créé de tribunal extraordinaire sous quelque dénomination que ce soit.
ARTICLE 174 : Les juges de la Cour de Cassation et des Cours d'Appel sont nommés pour dix (10) ans. Ceux des tribunaux de première instance le sont pour sept (7) ans. Leur mandat commence à courir à compter de leur prestation de serment.
ARTICLE 175 : Les juges de la Cour de Cassation sont nommés par le Président de la République sur une liste de trois (3) personnes par siège soumis par le Sénat. Ceux des cours d'appel et des tribunaux de première instance le sont sur une liste soumise par l'assemblée départementale concernée ; les juges de paix sur une liste préparée par les Assemblées communales.
ARTICLE 176 : La loi règle les conditions exigibles pour être juge à tous les degrés. Une Ecole de la Magistrature est créée.
ARTICLE 177 : Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d'Appel et des tribunaux de première instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendue qu'à la suite d'une inculpation. Ils ne peuvent être l'objet d'affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu'en cas d'incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée.
ARTICLE 178 : La Cour de Cassation ne connaît pas du fond des affaires. Néanmoins, en toutes matières autres que celles soumises au Jury lorsque sur un second recours, même sur une exception, une affaire se présentera entre les mêmes parties, la Cour de Cassation admettant le pourvoi, ne prononcera point de renvoi et statuera sur le fond, sections réunies.
ARTICLE 178.1 : Cependant, lorsqu'il s'agit de pourvoi contre les ordonnances de référé, du juge d'instruction, les ordonnances du juge d'instruction, les arrêts d'appel rendus à l'occasion de ces ordonnances ou contre les sentences en dernier ressort des tribunaux de paix ou des décisions de tribunaux spéciaux de la Cour de Cassation admettant les recours statue sans renvoi.
ARTICLE 179 : Les fonctions de juge sont incompatibles avec toutes autres fonctions salariées, sauf celle de l'Enseignement.
ARTICLE 180 : Les Audiences des tribunaux sont publiques. Toutefois, elles peuvent être tenues à huis clos dans l'intérêt de l'ordre public et des bonnes moeurs, sur décision du tribunal.
ARTICLE 180.1 : En matière de délit politique et de délit de presse, les huis clos ne peut être prononcés.
ARTICLE 181 : Les arrêts ou jugements rendus et exécutés au nom de la République. Ils portent le mandement exécutoire aux officiers du Ministère Public et aux agents de la Force Publique. Les actes de notaires susceptibles d'exécution forcée sont mis dans la même forme.
ARTICLE 182 : La Cour de Cassation se prononce sur les conflits d'attributions, d'après le mode réglé par la loi.
ARTICLE 182.1 : Elle connaît des faits et du droit dans tous les cas de décisions rendues par les tribunaux militaires.
ARTICLE 183 : La Cour de Cassation à l'occasion d'un litige et sur le renvoi qui lui en est fait, se prononce en Sections réunies sur l'inconstitutionnalité des lois.
ARTICLE 183.1 : L'interprétation d'une loi donnée par les Chambres législatives s'impose pour l'objet de cette loi, sans qu'elle puisse rétroagir en ravissant des droits acquis.
ARTICLE 183.2 : Les tribunaux n'appliquent les arrêtés et règlements d'Administration publique que pour autant qu'ils soient conformes aux lois.
ARTICLE 184 : La loi détermine les compétences des Cours et des tribunaux, règle la façon de procéder devant eux.
ARTICLE 184.1 : Elle prévoit également les sanctions disciplinaires à prendre contre les juges et les officiers du Ministère Public, à l'exception des juges de la Cour de Cassation qui sont justiciables de la Haute Cour de Justice pour forfaiture.
CHAPITRE V : DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE
ARTICLE 185 : Le Sénat peut s'ériger en Haute Cour de Justice. Les travaux de cette Cour sont dirigés par le Président du Sénat assisté du Président et du vice-président de la Cour de Cassation comme vice-président et Secrétaire, respectivement, sauf si des juges de la Cour de Cassation ou des Officiers du Ministère Public près cette Cour sont impliqués dans l'accusation, auquel cas, le Président du sénat se fera assister de deux (2) Sénateurs dont l'un sera désigné par l'inculpé et les Sénateurs susvisés n'ont voix délibérative.
ARTICLE 186 : La Chambre des Députés, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres prononce la mise en accusation :
du Président de la République pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions ;
du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d'Etat pour crimes de haute trahison et de malversations, ou d'excès de Pouvoir ou tous autres crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions ;
des membres du Conseil Electoral Permanent et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif pour fautes graves commises dans l'exercice de leurs fonctions ;
des juges et officiers du Ministère Public près de la Cour de Cassation pour forfaiture ;
du Protecteur du citoyen.
ARTICLE 187 : Les membres de la Haute Cour de Justice prêtent individuellement et à l'ouverture de l'audience le serment suivant :
'Je Jure devant Dieu et devant la Nation de juger avec l'impartialité et la fermeté qui convienne à un homme probe et libre, suivant ma conscience et mon intime conviction ».
ARTICLE 188 : La Haute Cour de Justice, au scrutin secret et à la majorité absolue, désigne parmi ses membres une Commission chargée de l'instruction.
ARTICLE 188.1 : La décision, sous forme de décret est rendue sur le rapport de la Commission d'Instruction et à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de la Haute Cour de Justice.
ARTICLE 189 : La Haute Cour de Justice ne siège qu'à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres.
ARTICLE 189.1 : Elle ne peut prononcer d'autre peine que la destitution, la déchéance et la privation du droit d'exercer toute fonction publique durant cinq (5) ans au moins et quinze (15) au plus.
ARTICLE 189.2 : Toutefois, le condamné peut être traduit devant les tribunaux ordinaires, conformément à la loi, s'il y a lieu d'appliquer d'autres peines ou de statuer sur l'exercice de l'action civile.
ARTICLE 190 : La Haute Cour de Justice, une fois saisie, doit siéger jusqu'au prononcé de la décision, sauf tenir compte de la durée des Sessions du Corps législatif.
TITRE VI : DES INSTITUTIONS INDÉPENDANTES
CHAPITRE I : DU CONSEIL ÉLECTORAL PERMANENT
ARTICLE 191 : Le Conseil Electoral est chargé d'organiser et de contrôler en toute indépendance, toutes les opérations électorales sur tout le territoire de la République jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin.
ARTICLE 191.1 : Il élabore également le Projet de Loi Electorale qu'il soumet au Pouvoir exécutif pour les suites nécessaires.
ARTICLE 191.2 : Il s'assure de la tenue à jour des listes électorales.
ARTICLE 192 : Le Conseil Electoral comprend (9) neuf membres choisis sur une liste de (3) trois noms proposés par chacune des Assemblées départementales :
3 sont choisis par le Pouvoir exécutif ;
3 sont choisis par la Cour de Cassation ;
3 sont choisis par l'assemblée Nationale.
Les organes suscités veillent, autant que possible, à ce que chacun des départements soit représenté.
ARTICLE 193 : Pour être membre du Conseil Electoral Permanent, il faut :
être haïtien d'origine ;
être âgé au moins de 40 ans révolus ;
jouir de ses droits civils et politiques et n'avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante ;
avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable de deniers publics ;
avoir résidé dans le pays au moins trois (3) ans avant sa nomination.
ARTICLE 194 : Les membres du Conseil Electoral Permanent sont nommés pour une période de (9) neuf ans non renouvelables. Ils sont inamovibles.
ARTICLE 194.1 : Le Conseil Electoral Permanent est renouvelable par tiers tous les (3) trois ans. Le Président est choisi parmi les membres.
ARTICLE 194.2 : Avant d'entrer en fonction, les membres du Conseil Electoral Permanent prêtent le serment suivant devant la Cour de Cassation :
'Je jure de respecter la Constitution et les dispositions de la Loi Electorale et de m'acquitter de ma tâche avec dignité, indépendance, impartialité et patriotisme'.
ARTICLE 195 : En cas de faute grave commise dans l'exercice de leur fonction, les membres du Conseil Electoral Permanent sont passibles de la Haute Cour de Justice.
ARTICLE 196 : Les membres du Conseil Electoral Permanent ne peuvent occuper aucune fonction publique, ni se porter candidat à une fonction élective pendant toute la durée de leur mandat.
En cas de démission, tout membre du Conseil doit attendre trois (3) ans avant de pouvoir briguer une fonction élective.
ARTICLE 197 : Le Conseil Electoral Permanent est le Contentieux de toutes les contestations soulevées à l'occasion soit des élections, soit de l'application ou de la violation de la loi électorale, sous réserve de toute poursuite légale à entreprendre le ou les coupables par-devant les tribunaux compétents.
ARTICLE 198 : En cas de vacance créée par décès, démission ou toute autre cause, il est pourvu au remplacement du membre, suivant la procédure fixée par l'ARTICLE 192 pour le temps qui reste à courir, compte tenu du Pouvoir qui avait désigné le membre à remplacer.
ARTICLE 199 : La loi détermine les règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil Electoral Permanent.
CHAPITRE II : DE LA COUR SUPÉRIEURE DES COMPTES ET DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
ARTICLE 200 : La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif est une juridiction financière, administrative, indépendante et autonome. Elle est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l'Etat, de la vérification de la comptabilité des Entreprises de l'Etat ainsi que de celles des collectivités territoriales.
ARTICLE 200.1 : La Cour Supérieure des Comptes du Contentieux Administratif connaît des litiges mettant en cause l'Etat et les Collectivités territoriales, l'Administration et les fonctionnaires publics, les services publics et les administrés.
ARTICLE 200.2 : Ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours sauf, de pourvoi en cassation.
ARTICLE 200.3 : La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif comprend deux sections :
la section du Contrôle financier ;
la section du Contentieux administratif.
ARTICLE 200.4 : La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif participe à l'élaboration du Budget et est consultée sur toutes les questions relatives à la législation sur les Finances Publiques et sur tous les Projets de Contrats, Accords et Conventions à caractère financier et commercial auxquels l'Etat est parti. Elle a le droit de réaliser les audits dans toutes administrations publiques.
ARTICLE 200.5 : Pour être membre de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, il faut :
être haïtien et n'avoir jamais renoncé à sa Nationalité ;
être âgé de trente-cinq (35) ans accomplis ;
avoir reçu décharge de sa gestion lorsqu'on a été comptable des deniers publics ;
être licencié en droit ou être comptable agréé ou détenteur d'un diplôme d'Etudes Supérieures d'Administration Publique, d'Economie et de Finances publiques ;
avoir une expérience de (5) années dans une Administration publique ou privée ;
jouir de ses droits civils et politiques.
ARTICLE 200.6 : Les candidats à cette fonction font directement le dépôt de leur candidature au Bureau du Sénat de la République. Le Sénat élit les dix (10) membres de la Cour, qui parmi eux désignent leur Président et vice-président.
ARTICLE 201 : Ils sont investis d'un (1) mandat de dix (10) années et sont inamovibles.
ARTICLE 202 : Avant d'entrer en fonction les membres de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif prêtent devant une Section de la Cour de Cassation, le serment suivant :
'Je jure de respecter la Constitution et les lois de la République, de remplir mes fonctions avec exactitude et loyauté et de me conduire en tout avec dignité'.
ARTICLE 203 : Les membres de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif sont justiciables de la Haute Cour de Justice pour les fautes graves commises dans l'exercice de leur fonction.
ARTICLE 204 : La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif fait parvenir chaque année au Corps législatif dans les trente (30) jours qui suivent l'ouverture de la Première Session législative, un rapport complet sur la situation financière du Pays et sur l'efficacité des dépenses publiques.
ARTICLE 205 : L'organisation de la Cour susmentionnée, le statut de ses membres, son mode de fonctionnement sont établis par la loi.
CHAPITRE III : DE LA COMMISSION DE CONCILIATION
ARTICLE 206 : La Commission de Conciliation est appelée à trancher les différends qui opposent le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ou les deux (2) branches du pouvoir législatif. Elle est formée ainsi qu'il suit :
le président de la Cour de Cassation : Président ;
le président du Sénat : Vice-président ;
le Président de la Chambre des députés : Membre:
le président du Conseil Electoral Permanent : Membre ;
le vice-président du Conseil Electoral Permanent : Membre ;
deux (2) ministres désignés par le Président de la République : Membres.
ARTICLE 206.1 : Le mode de fonctionnement de la Commission de Conciliation est déterminé par la Loi.
CHAPITRE IV : DE LA PROTECTION DU CITOYEN
ARTICLE 207 : Il est créé un office dénommé OFFICE DE LA PROTECTION DU CITOYEN dont le but est de protéger tout individu contre toutes les formes d'abus de l'administration Publique.
ARTICLE 207.1 : L'Office est dirigé par un citoyen qui porte le titre de PROTECTEUR DU CITOYEN. Il est choisi par consensus entre le Président de la République, le Président du sénat et le Président de la Chambre des députés. Il est investi d'un mandat de sept (7) ans, non renouvelable.
ARTICLE 207.2 : Son intervention en faveur de tout plaignant se fait sans frais aucun, quelle que soit la juridiction.
ARTICLE 207.3 : Une loi fixe les conditions et les règlements de fonctionnement de l'Office du Protecteur du Citoyen.
CHAPITRE V : DE L'UNIVERSITÉ - DE L'ACADÉMIE DE LA CULTURE
ARTICLE 208 : L'Enseignement Supérieur est libre. Il est dispensé par l'Université d'Etat d'Haïti qui est autonome et par des Ecoles Supérieures Publiques et des Ecoles Supérieures Privées agréées par l'Etat.
ARTICLE 209 : L'Etat doit financer le fonctionnement et le développement de l'Université d'Haïti et des Ecoles Supérieures publiques. Leur organisation et leur localisation doivent être envisagées dans une perspective de développement régional.
ARTICLE 210 : La création de centres de recherches doit être encouragée.
ARTICLE 211 : L'autorisation de fonctionner des Universités et des Ecoles Supérieures Privées est subordonnée à l'approbation technique du Conseil de l'Université d'Etat, à une participation majoritaire haïtienne au niveau du Capital et du Corps Professoral ainsi qu'à l'obligation d'enseigner notamment en langue officielle du pays.
ARTICLE 211.1 : Les Universités et Ecoles Supérieures Privées ou Publiques dispensent un Enseignement Académique et pratique adapté à l'évolution et aux besoins du développement national.
ARTICLE 212 : Une Loi Organique réglemente la création, la localisation et le fonctionnement des Universités et des Ecoles Supérieures publiques et privées du pays.
ARTICLE 213 : Une Académie haïtienne est instituée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux.
ARTICLE 213.1 : D'autres académies peuvent être créées.
ARTICLE 214 : Le titre de Membre de l'Académie est purement honorifique.
ARTICLE 214.1 : La loi détermine le mode, l'organisation et le fonctionnement des académies.
ARTICLE 215 : Les richesses archéologiques, historiques, culturelles et folkloriques du Pays de même que les richesses architecturales, témoin de la grandeur de notre passé, font partie du Patrimoine National. En conséquence, les monuments, les ruines, les sites des grands faits d'armes de nos ancêtres, les centres réputés de nos croyances africaines et tous les vestiges du passé sont placés sous la protection de l'Etat.
ARTICLE 216 : La loi détermine pour chaque domaine les conditions spéciales de cette protection.
TITRE VII : DES FINANCES PUBLIQUES
ARTICLE 217 : Les Finances de la République sont décentralisées. La gestion est assurée par le Ministère y afférent. L'Exécutif, assisté d'un Conseil interdépartemental élabore la loi qui fixe la portion et la nature des revenus publics attribués aux Collectivités territoriales.
ARTICLE 218 : Aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi. Aucune charge, aucune imposition soit départementale, soit municipale, soit de section communale, ne peut être établie qu'avec le consentement de ces collectivités territoriales.
ARTICLE 219 : Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts.
Aucune exception, aucune augmentation, diminution ou suppression d'impôt ne peut être établie que par la Loi.
ARTICLE 220 : Aucune pension, aucune gratification, aucune allocation, aucune subvention à la charge du Trésor Public, ne peut être accordée qu'en vertu d'une Loi. Les pensions versées par l'Etat sont indexées sur le coût de la vie.
ARTICLE 221 : Le cumul des fonctions publiques salariées par l'Etat est formellement interdit, excepté pour celles de l'Enseignement, sous réserve des dispositions particulières.
ARTICLE 222 : Les procédures relatives à la préparation du Budget et à son Exécution sont déterminées par la Loi.
ARTICLE 223 : Le contrôle de l'exécution de la Loi sur le budget et sur la comptabilité Publique est assuré par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif et par l'Office du Budget.
ARTICLE 224 : La Politique monétaire est déterminée par la Banque Centrale conjointement avec le Ministère de l'Economie et des Finances.
ARTICLE 225 : Un Organisme public Autonome jouissant de la personnalité juridique et de l'autonomie financière remplit les fonctions de Banque Centrale. Son statut est déterminé par la loi.
ARTICLE 226 : La Banque Centrale est investie du privilège exclusif d'émettre, avec force libératoire sur tout le Territoire de la République, des billets représentatifs de l'Unité Monétaire, la monnaie divisionnaire, selon le titre, le poids, la description, le chiffre et l'emploi fixés par la Loi.
ARTICLE 227 : Le budget de chaque Ministère est divisé en Chapitres et Sections, et doit être voté Article par Article.
ARTICLE 227.1 : Les valeurs à tirer sur les allocations budgétaires ne pourront en aucun cas dépasser le douzième de la dotation pour un mois déterminé, sauf en décembre à cause du bonus à verser à tous les Fonctionnaires et Employés Publics.
ARTICLE 227.2 : Les comptes généraux des recettes et des dépenses de la République sont gérés par le Ministre des Finances selon un mode de Comptabilité établi par la Loi.
ARTICLE 227.3 : Les Comptes Généraux et les Budgets prescrits par l'article précédent, accompagnés du rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif doivent être soumis aux Chambres Législatives par le Ministre des Finances au plus tard dans les quinze (15) jours de l'ouverture de la Session Législative. Il en est de même du Bilan Annuel et des opérations de la Banque Centrale, ainsi que de tous autres comptes de l'Etat haïtien.
ARTICLE 227.4 : L'exercice administratif commence le premier octobre de chaque année et finit le trente (30) septembre de l'année suivante.
ARTICLE 228 : Chaque année, le Corps Législatif arrête :
le compte des recettes et des dépenses de l'Etat pour l'année écoulée ou les années précédentes ;
le Budget Général de l'Etat contenant l'aperçu et la portion des fonds alloués pour l'année à chaque Ministère.
ARTICLE 228.1 : Toutefois, aucune proposition, aucun amendement ne peut être introduit au Budget à l'occasion du vote de celui-ci sans la prévision correspondante des voies et moyens.
ARTICLE 228.2 : Aucune augmentation, aucune réduction ne peut être apportée aux appointements des fonctionnaires publics que par une modification des Lois y afférentes.
ARTICLE 229 : Les Chambres législatives peuvent s'abstenir de tous Travaux Législatifs tant que les documents susvisés ne leur sont pas présentés. Elles refusent la décharge aux Ministres lorsque les comptes présentés ne fournissent pas par eux-mêmes ou les pièces à l'appui, les éléments de vérification et d'appréciation nécessaire.
ARTICLE 230 : L'examen et la liquidation des Comptes de l'Administration Générale et de tout comptable de deniers publics se font suivant le mode établi par la Loi.
ARTICLE 231 : Au cas où les Chambres Législatives pour quelque raison que ce soit, n'arrêtent pas à temps le Budget pour un ou plusieurs Départements Ministériels avant leur ajournement, le ou les Budgets des Départements intéressés restent en vigueur jusqu'au vote et adoption du nouveau Budget.
ARTICLE 231.1 : Au cas où par la faute de l'Exécutif, le Budget de la République n'aurait pas été voté, le Président de la République convoque immédiatement les Chambres Législatives en Session Extraordinaire à seule fin de voter le Budget de l'Etat.
ARTICLE 232 : Les Organismes, les Entreprises Autonomes et les Entités subventionnés par le Trésor Public en totalité ou en partie sont régis par des Budgets Spéciaux et des systèmes de traitements et salaires approuvés par le Pouvoir Exécutif.
ARTICLE 233 : En vue d'exercer un contrôle sérieux et permanent des dépenses publiques, il est élu au scrutin secret, au début de chaque Session Ordinaire, une Commission Parlementaire de quinze (15) Membres dont neuf (9) Députés et six (6) Sénateurs chargés de rapporter sur la gestion des Ministres pour permettre aux deux (2) Assemblées de leur donner décharge.
Cette Commission peut s'adjoindre des spécialistes pour l'aider dans son contrôle.
TITRE VIII : DE LA FONCTION PUBLIQUE
ARTICLE 234 : L'Administration Publique haïtienne est l'instrument par lequel l'Etat concrétise ses missions et objectifs. Pour garantir sa rentabilité, elle doit être gérée avec honnêteté et efficacité.
ARTICLE 235 : Les Fonctionnaires et Employés sont exclusivement au service de l'Etat. Ils ont tenu à l'observation stricte des normes et éthique déterminées par la Loi sur la Fonction Publique.
ARTICLE 236 : La Loi fixe l'organisation des diverses structures de l'Administration et précise leurs conditions de fonctionnement.
ARTICLE 236.1 : La loi réglemente la Fonction Publique sur la base de l'aptitude, du mérite et de la discipline. Elle garantit la sécurité de l'emploi.
ARTICLE 236.2 : La Fonction Publique est une carrière. Aucun fonctionnaire ne peut être engagé que par voie de concours ou autres conditions prescrites par la Constitution et par la loi, ni être révoqué que pour des causes spécifiquement déterminées par la Loi. Cette révocation doit être prononcée dans tous les cas par le Contentieux Administratif.
ARTICLE 237 : Les Fonctionnaires de carrière n'appartiennent pas à un service public déterminé mais à la Fonction Publique qui les met à la disposition des divers Organismes de l'Etat.
ARTICLE 238 : Les Fonctionnaires indiqués par la Loi sont tenus de déclarer l'Etat de leur patrimoine au Greffe du Tribunal Civil dans les trente (30) jours qui suivent leur entrée en fonction. Le Commissaire du Gouvernement doit prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires pour vérifier l'exactitude de la déclaration.
ARTICLE 239 : Les Fonctionnaires et Employés Publics peuvent s'associer pour défendre leurs droits dans les conditions prévues par la Loi.
ARTICLE 240 : Les Fonctions ou Charges Politiques ne donnent pas ouverture à la carrière administrative, notamment les fonctions de Ministre et de Secrétaire d'Etat, d'Officier du Ministère Public, de Délégué et de Vice-Délégué, d'Ambassadeur, de Secrétaire Privé du Président de la République, de Membre de Cabinet de Ministre, de Directeur Général de Département Ministériel ou d'Organisme Autonome, de Membres de Conseil d'Administration.
ARTICLE 241 : La Loi sanctionne les infractions contre le fisc et l'enrichissement illicite. Les Fonctionnaires qui ont connaissance de tels faits ont pour devoir de les signaler à l'Autorité Compétente.
ARTICLE 242 : L'enrichissement illicite peut être établi par tous les modes de preuves, notamment par présomption de la disproportion marquée entre les moyens du fonctionnaire acquis depuis son entrée en fonction et le montant accumulé du Traitement ou des Emoluments auxquels lui a donné droit la charge occupée.
ARTICLE 243 : Le Fonctionnaire coupable des délits sus-désignés ne peut bénéficier que de la prescription vicennale. Cette prescription ne commence à courir qu'à partir de la cessation de ses fonctions ou des causes qui auraient empêché toute poursuite.
ARTICLE 244 : L'Etat a pour devoir d'éviter les grandes disparités d'appointements dans l'administration Publique.
TITRE IX : DE L'ECONOMIE - DE L'AGRICULTURE - DE L'ENVIRONNEMENT CHAPITRE I : DE L'ECONOMIE - DE L'AGRICULTURE
ARTICLE 245 : La liberté économique est garantie tant qu'elle ne s'oppose pas à l'intérêt social. L'Etat protège l'entreprise privée et vise à ce qu'elle se développe dans les conditions nécessaires à l'accroissement de la richesse nationale de manière à assurer la participation du plus grand nombre au bénéfice de cette richesse.
ARTICLE 246 : L'Etat encourage en milieu rural et urbain, la formation de coopérative de production, la transformation de produits primaires et l'esprit d'entreprise en vue de promouvoir l'accumulation du Capital National pour assurer la permanence du développement.
ARTICLE 247 : L'Agriculture, source principale de la richesse nationale est garante du bien-être des populations et du progrès socio-économique de la Nation.
ARTICLE 248 : Il est créé un Organisme Spécial dénommé INSTITUT NATIONAL DE LA REFORME AGRAIRE en vue d'organiser la refonte des structures foncières et mettre en oeuvre une réforme agraire au bénéfice des réels exploitants de la terre. Cet Institut élabore une politique agraire axée sur l'optimisation de la productivité au moyen de la mise en place d'infrastructure visant la protection de l'aménagement de la terre.
ARTICLE 248.1 : La Loi détermine la superficie minimale et maximale des unités de base des exploitations agricoles.
ARTICLE 249 : L'Etat a pour obligation d'établir les structures nécessaires pour assurer la productivité maximale de la terre et la commercialisation interne des denrées. Des unités d'encadrement techniques et financières sont établies pour assister les agriculteurs au niveau de chaque Section Communale.
ARTICLE 250 : Aucun monopole ne peut être établi en faveur de l'Etat et des Collectivités Territoriales que dans l'intérêt exclusif de la Société. Ce monopole ne peut être cédé à un particulier.
ARTICLE 251 : L'importation des denrées agricoles et de leurs dérivés produits en quantité suffisante sur le Territoire National est interdite sauf cas de force majeure.
ARTICLE 252 : L'Etat peut prendre en charge le fonctionnement des entreprises de production de biens et services essentiels à la Communauté, aux fins d'en assurer la continuité dans le cas où l'existence de ces Etablissements serait menacée. Ces Entreprises seront groupées dans un système intégré de gestion.
CHAPITRE II : DE L'ENVIRONNEMENT
ARTICLE 253 : L'environnement étant le cadre naturel de vie de la population, les pratiques susceptibles de perturber l'équilibre écologique sont formellement interdites.
ARTICLE 254 : L'Etat organise la mise en valeur des sites naturels, en assure la protection et les rend accessibles à tous.
ARTICLE 255 : Pour protéger les réserves forestières et élargir la couverture végétale, l'Etat encourage le développement des formes d'énergie propre : solaire, éolienne et autres.
ARTICLE 256 : Dans le cadre de la protection de l'Environnement et de l'Education Publique, l'Etat a pour obligation de procéder à la création et à l'entretien de jardins botaniques et zoologiques en certains points du Territoire.
ARTICLE 257 : La loi détermine les conditions de protection de la faune et de la flore. Elle sanctionne les contrevenants.
ARTICLE 258 : Nul ne peut introduire dans le Pays des déchets ou résidus de provenances étrangères de quelque nature que ce soit.
TITRE X : DE LA FAMILLE
ARTICLE 259 : L'Etat protège la Famille base fondamentale de la Société.
ARTICLE 260 : Il doit une égale protection à toutes les Familles qu'elles soient constituées ou non dans les liens du mariage. Il doit procurer aide et assistance à la maternité, à l'enfance et à la vieillesse.
ARTICLE 261 : La Loi assure la protection à tous les Enfants. Tout enfant a droit à l'amour, à l'affection, à la compréhension et aux soins moraux et matériels de son père et de sa mère.
ARTICLE 262 : Un Code de la Famille doit être élaboré en vue d'assurer la protection et le respect des droits de la Famille et de définir les formes de la recherche de la paternité. Les Tribunaux et autres Organismes de l'Etat chargés de la protection de ces droits doivent être accessibles gratuitement au niveau de la plus petite Collectivité Territoriale.
TITRE XI : DE LA FORCE PUBLIQUE
ARTICLE 263 : La Force Publique se compose de deux (2) Corps distincts :
les Forces Armées d'Haïti ;
les Forces de Police.
ARTICLE 263.1 : Aucun autre Corps Armé ne peut exister sur le Territoire National.
ARTICLE 263.2 : Tout membre de la Force Publique prête lors de son engagement, le serment d'allégeance et de respect à la Constitution et au drapeau.
CHAPITRE I : DES FORCES ARMÉES
ARTICLE 264 : Les Forces Armées comprennent les Forces de Terre, de Mer, de l'Air et des Services Techniques.
Les Forces Armées d'Haïti sont instituées pour garantir la sécurité et l'intégrité du Territoire de la République.
ARTICLE 264.1 : Les Forces Armées sont commandées effectivement par un Officier Général ayant pour titre Commandant en chef Des Forces Armées d'Haïti.
ARTICLE 264.2 : Le Commandant en chef des Forces Armées, conformément à la Constitution, est choisi parmi les Officiers Généraux en activité de Service.
ARTICLE 264.3 : Son mandat est fixé à trois (3) ans. Il est renouvelable.
ARTICLE 265 : Les Forces Armées sont apolitiques. Leurs membres ne peuvent faire partie d'un groupement ou d'un parti politique et doivent observer la plus stricte neutralité.
ARTICLE 265.1 : Les Membres des Forces Armées exercent leur droit de vote conformément à la Constitution.
ARTICLE 266 : Les Forces Armées ont pour attributions :
Défendre le Pays en cas de guerre ;
Protéger le Pays contre les menaces venant de l'extérieur ;
Assurer la surveillance des Frontières terrestres, maritimes et aériennes ;
Prêter main forte sur requête motivée de l'Exécutif, à la Police au cas où cette dernière ne peut répondre à sa tâche ;
Aider la nation en cas de désastre naturel;
Outre les attributions qui lui sont propres, les Forces Armées peuvent être affectées à des tâches de développement.
ARTICLE 267 : Les Militaires en activité de Service ne peuvent être nommés à aucune Fonction Publique, sauf de façon temporaire pour exercer une spécialité.
ARTICLE 267.1 : Tout militaire en activité de Service, pour se porter candidat à une fonction élective, doit obtenir sa mise en disponibilité ou sa mise à la retraite un (1) an avant la parution du Décret Electoral.
ARTICLE 267.2 : La carrière militaire est une profession. Elle est hiérarchisée. Les conditions d'engagement, les grades, promotions, révocations, mises à la retraite, sont déterminées par les règlements des Forces Armées d'Haïti.
ARTICLE 267.3 : Le Militaire n'est justiciable d'une Cour Militaire que pour les délits et crimes commis au temps de guerre ou pour les infractions relevant de la discipline militaire.
Il ne peut être l'objet d'aucune révocation, mise en disponibilité, à la réforme, mise à la retraite anticipée qu'avec son consentement. Au cas où le consentement n'est pas accordé, l'intéressé peut se pourvoir par-devant le Tribunal Compétent.
ARTICLE 267.4 : Le Militaire conserve toute sa vie, le dernier grade obtenu dans les Forces Armées d'Haïti. Il ne peut en être privé que par décision du Tribunal Compétent passée en force de chose souverainement jugée.
ARTICLE 267.5 : L'Etat doit accorder aux Militaires de tous grades des prestations garantissant pleinement leur sécurité matérielle.
ARTICLE 268 : Dans le cadre d'un Service National Civique mixte obligatoire, prévu par la Constitution à l'article 52-3, les Forces Armées participent à l'organisation et à la supervision de ce service.
Le service Militaire est obligatoire pour tous les Haïtiens âgés au moins de dix-huit (18) ans.
La loi fixe le mode de recrutement, la durée et les règles de fonctionnement de ces services.
ARTICLE 268.1 : Tout citoyen a droit à l'autodéfense armée, dans les limites de son domicile mais n'a pas droit au port d'armes sans l'autorisation expresse et motivée du chef de la Police.
ARTICLE 268.2 : La détention d'une arme à feu doit être déclarée à la Police.
ARTICLE 268.3 : Les Forces Armées ont le monopole de la fabrication, de l'importation, de l'exportation, de l'utilisation et de la détention des armes de guerre et de leurs munitions, ainsi que du matériel de guerre.
CHAPITRE II : DES FORCES DE POLICE
ARTICLE 269 : La Police est un Corps Armé.
Son fonctionnement relève du Ministère de la Justice.
ARTICLE 269.1 : Elle est créée pour la garantie de l'ordre public et la protection de la vie et des biens des citoyens.
Son organisation et son mode de fonctionnement sont réglés par la Loi.
ARTICLE 270 : Le Commandant en chef des Forces de Police est nommé, conformément à la Constitution, pour un mandat de trois (3) ans renouvelables.
ARTICLE 271 : Il est créé une (1) Académie et une (1) Ecole de Police dont l'organisation et le fonctionnement sont fixés par la Loi.
ARTICLE 272 : Des Sections spécialisées notamment l'administration Pénitentiaire, le Service des Pompiers, le Service de la Circulation, la Police Routière, les Recherches Criminelles, le Service Narcotique et Anti-contrebande sont créés par la Loi régissant l'Organisation, le Fonctionnement et la Localisation des Forces de Police.
ARTICLE 273 : La Police en tant qu'auxiliaire de la Justice, recherche les contraventions, les délits et crimes commis en vue de la découverte et de l'arrestation de leurs auteurs.
ARTICLE 274 : Les Agents de la Force Publique dans l'exercice de leurs fonctions sont soumis à la responsabilité civile et pénale dans les formes et conditions prévues par la Constitution et par la Loi.
TITRE XII : DISPOSITIONS GÉNÉRALES
ARTICLE 275 : Le chômage de l'Administration Publique et Privée et du Commerce sera observé à l'occasion des Fêtes Nationales et des Fêtes Légales.
ARTICLE 275.1 : Les fêtes nationales sont :
La Fête de l'Indépendance Nationale le Premier janvier ;
Le Jour des Aïeux le 2 janvier ;
La Fête de l'Agriculture et du Travail le Premier mai ;
La Fête du Drapeau et de l'Université le 18 mai ;
La Commémoration de la Bataille de Vertières JOUR DES FORCES ARMÉES, le 18 novembre.
ARTICLE 275.2 : Les Fêtes Légales sont déterminées par la Loi.
ARTICLE 276 : L'assemblée Nationale ne peut ratifier aucun Traité, Convention ou Accord Internationaux comportant des clauses contraires à la présente Constitution.
ARTICLE 276.1 : La ratification des Traités, des Conventions et des Accords Internationaux est donnée sous forme de Décret.
ARTICLE 276.2 : Les Traités ou Accord Internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la Législation du Pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires.
ARTICLE 277 : L'Etat haïtien peut intégrer une Communauté Economique d'Etat dans la mesure où l'accord d'Association stimule le développement économique et social de la République d'Haïti et ne comporte aucune clause contraire à la Présente Constitution.
ARTICLE 278 : Aucune place, aucune partie du Territoire ne peut être déclarée en état de siège qu'en cas de guerre civile ou d'invasion de la part d'une force étrangère.
ARTICLE 278.1 : L'acte du Président de la République déclaratif d'état de siège, doit être contresigné par le Premier Ministre, par tous les Ministres et porter convocation immédiate de l'assemblée Nationale appelée à se prononcer sur l'opportunité de la mesure.
ARTICLE 278.2 : L'assemblée Nationale arrête avec le Pouvoir Exécutif, les Garanties Constitutionnelles qui peuvent être suspendues dans les parties du Territoire mises en état de siège.
ARTICLE 278.3 : L'Etat de siège devient caduc s'il n'est pas renouvelé tous les quinze (15) jours après son entrée en vigueur par un vote de l'assemblée Nationale.
ARTICLE 278.4 : L'Assemblée Nationale siège pendant toute la durée de l'Etat de siège.
ARTICLE 279 : Trente (30) jours après son élection, le Président de la République doit déposer au greffe du Tribunal de Première Instance de son domicile, l'inventaire notarié de tous ses biens, meubles et immeubles, il en sera de même à la fin de son mandat
ARTICLE 279.1 : Le Premier Ministre, les Ministres et Secrétaires d'Etat sont astreints à la même obligation dans les trente (30) jours de leur installation et de leur sortie de fonction.
ARTICLE 280 : Aucun frais, aucune indemnité généralement quelconque n'est accordé aux Membres des Grands Corps de l'Etat à titre des tâches spéciales qui leur sont attribuées.
ARTICLE 281 : A l'occasion des consultations nationales, l'Etat prend en charge proportionnellement un nombre de suffrages obtenus une partie des frais encourus durant les campagnes électorales.
ARTICLE 281.1 : Ne sont éligibles à de telles facilités que les partis qui auront au niveau national obtenu dix pour cent (10%) des suffrages exprimés avec un plancher départemental de suffrage de cinq pour cent (5%).
TITRE XIII : AMENDEMENTS À LA CONSTITUTION
ARTICLE 282 : Le Pouvoir Législatif, sur la proposition de l'une des deux (2) Chambres ou du Pouvoir Exécutif, a le droit de déclarer qu'il y a lieu d'amender la Constitution, avec motifs à l'appui.
ARTICLE 282.1 : Cette déclaration doit réunir l'adhésion des deux (2/3) de chacune des deux (2) Chambres. Elle ne peut être faite qu'au cours de la dernière Session Ordinaire d'une Législature et est publiée immédiatement sur toute l'étendue du Territoire.
ARTICLE 283 : A la première Session de la Législature suivante, les Chambres se réunissent en assemblée Nationale et statuent sur l'amendement proposé.
ARTICLE 284 : L'assemblée Nationale ne peut siéger, ni délibérer sur l'amendement si les deux (2/3) tiers au moins des Membres de chacune des deux (2) Chambres ne sont présents.
ARTICLE 284.1 : Aucune décision de l'assemblée Nationale ne peut être adoptée qu'à la majorité des deux (2/3) tiers des suffrages exprimés.
ARTICLE 284.2 : L'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après l'installation du prochain Président élu. En aucun cas, le Président sous le gouvernement de qui l'amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent.
ARTICLE 284.3 : Toute Consultation Populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Référendum est formellement interdite.
ARTICLE 284.4 : Aucun amendement à la Constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et républicain de l'Etat.
TITRE XIV : DES DISPOSITIONS TRANSITOIRES
ARTICLE 285 : Le Conseil National de Gouvernement reste et demeure en fonction jusqu'au 7 février 1988, date d'investiture du Président de la République élu sous l'empire de la Présente Constitution conformément au Calendrier Electoral.
ARTICLE 285.1 : Le Conseil National de Gouvernement est autorisé à prendre en Conseil des Ministres, conformément à la Constitution, des décrets ayant force de Loi jusqu'à l'entrée en fonction des députés et Sénateurs élus sous l'empire de la Présente Constitution.
ARTICLE 286 : Tout Haïtien ayant adopté une nationalité étrangère durant les vingt-neuf (29) années précédant le 7 février 1986 peut, par une déclaration faite au Ministère de la Justice dans un délai de deux (2) ans à partir de la publication de la Constitution, recouvrer sa nationalité haïtienne avec les avantages qui en découlent, conformément à la Loi.
ARTICLE 287 : Compte tenu de la situation des haïtiens expatriés volontairement ou involontairement, les délaies de résidence prévus dans la Présente Constitution, sont ramenés à une année révolue pour les plus prochaines élections.
ARTICLE 288 : A l'occasion de la prochaine Consultation Electorale, les mandats des trois (3) Sénateurs élus pour chaque Département seront établis comme suit :
Le Sénateur qui a obtenu le plus grand nombre de voix, bénéficiera d'un (1) mandat de six (6) ans ;
Le Sénateur qui vient en seconde place en ce qui a trait au nombre de voix, sera investi d'un (1) mandat de quatre (4) ans ;
Le troisième Sénateur sera élu pour deux (2) ans.
Dans la suite, chaque Sénateur élu, sera investi d'un (1) mandat de six (6) ans.
ARTICLE 289 : En attendant l'établissement du Conseil Electoral Permanent prévu dans la Présente Constitution, le Conseil Electoral Provisoire de neuf (9) Membres, chargé de l'exécution et de l'élaboration de la Loi Electorale devant régir les prochaines élections et désigné de la façon suivante :
Un par l'Exécutif, non-fonctionnaire ;
Un par la Conférence Episcopale ;
Un par le Conseil Consultatif ;
Un par les organismes de Défense des Droits Humains ne participant pas aux compétitions électorales ;
Un par le Conseil de l'Université ;
Un par l'Association des Journalistes ;
Un par les Cultes Réformés ;
Un par le Conseil National des Coopératives.
ARTICLE 289.1 : Dans la quinzaine qui suivra la ratification de la Présente Constitution, les Corps ou Organisations concernés font parvenir à l'Exécutif le nom de leur représentant.
ARTICLE 289.2 : En cas d'abstention d'un Corps ou organisation susvisée, l'Exécutif comble la ou les vacances.
ARTICLE 289.3 : La mission de ce Conseil Electoral Provisoire prend fin dès l'entrée en fonction du Président élu.
ARTICLE 290 : Les membres du Premier Conseil Electoral Permanent se départagent par tirage au sort les mandats de neuf (9), six (6) et trois (3) ans, prévus pour le renouvellement par tiers (1/3) du Conseil.
ARTICLE 291 : Ne pourra briguer aucune fonction publique durant les dix (10) années qui suivront la publication de la Présente Constitution et cela sans préjudice des actions pénales ou en réparation civile :
Toute personne notoirement connue pour avoir été par ses excès de zèle un des artisans de la dictature et de son maintien durant les vingt-neuf (29) dernières années ;
Tout comptable des deniers publics durant les années de la dictature sur qui plane une présomption d'enrichissement illicite ;
Toute personne dénoncée par la clameur publique pour avoir pratiqué la torture sur les prisonniers politiques, à l'occasion des arrestations et des enquêtes ou d'avoir commis des assassinats politiques.
ARTICLE 292 : Le Conseil Electoral Provisoire chargé de recevoir les dépôts de candidature, veille à la stricte application de cette disposition.
ARTICLE 293 : Tous les décrets d'expropriation de biens immobiliers dans les zones urbaines et rurales de la République des deux (2) derniers Gouvernements haïtiens au profit de l'Etat ou de sociétés en formation sont annulés si le but pour lequel ils ont étés pris, n'a pas été exécuté au cours des dix (10) dernières années.
ARTICLE 293.1 : Tout individu victime de confiscation de biens ou de dépossession arbitraire pour raison politique, durant la période s'étendant du 22 octobre 1957 au 7 février 1986 peut récupérer ses biens devant le Tribunal compétent.
Dans ce cas, la procédure est célère comme pour les affaires urgentes et la décision n'est susceptible que du pourvoi en Cassation.
ARTICLE 294 : Les condamnations à des peines afflictives et infamantes pour des raisons politiques de 1957 à 1986, n'engendrent aucun empêchement à l'exercice des Droits Civils et Politiques.
ARTICLE 295 : Dans les six (6) mois à partir de l'entrée en fonction du Premier Président élu sous l'empire de la Constitution de 1987, le Pouvoir Exécutif est autorisé à procéder à toutes réformes jugées nécessaires dans l'administration Publique en général et dans la Magistrature.
TITRE XV : DISPOSITIONS FINALES
ARTICLE 296 : Tous les Codes de Lois ou Manuels de justice, tous les décrets-lois et tous les Décrets et Arrêtés actuellement en vigueur sont maintenus en tout ce qui n'est pas contraire à la présente Constitution.
ARTICLE 297 : Toutes les Lois, tous les décrets-lois, tous les Décrets restreignant arbitrairement les droits et libertés fondamentaux des citoyens notamment :
Le décret-loi du 5 septembre 1935 sur les croyances superstitieuses ;
La Loi du 2 août 1977 instituant le Tribunal de la Sûreté de l'Etat ;
La Loi du 28 juillet 1975 soumettant les terres de la vallée de l'Artibonite à un statut d'exception ;
La Loi du 29 avril 1969 condamnant toute doctrine d'importation ;
Sont et demeurent abrogés.
ARTICLE 298 : La présente Constitution doit être publiée dans la quinzaine de sa ratification par voie référendaire. Elle entre en vigueur dès sa publication AU MONITEUR, Journal Officiel de la République.
Donné au Palais Législatif, à Port-au-Prince, siège de l'Assemblée Nationale Constituante, le 10 mars 1987, An 184ème de l'Indépendance.
Les Membres de l'Assemblée Constitutionnelle
Le Président de l'Assemblée Constitutionnelle :
Me. Emile JONASSAINT
Le vice-président de l'Assemblée Constitutionnelle :
M. Jean SUPPLICE
Les Secrétaires :
Mme Bathilde BARBANCOURT
M. Jacques SAINT-LOUIS
Me. Raphaël Michel ADELSON
Les Membres :
M. Daniel Anglade, M. Yvon Auguste, M. Karl Auguste, M. Richard Baker, M. Jean Adler Bassin, Me. Fresnel Bélizaire, Me. Rigaud Th. Bois, Me. Nyll Calixte, Me. Hugo Charles, Me. Clavaroche Cherenfant, Me. Alcan Dorméus, Me. Chantal Hudicourt Ewald, Me. Rotchild François, Me. Rick Garnier, Me. Reynold Georges, Me. Antoine Gilles, Dr. Georges Greffin, M. Alexis C. Guerrier, M. Louis Dominald Guerrier, Me. Athanase Jean-Louis, M. Julio Larosilière, M. Gérard M. Laurent, M. Jean Abraham Lubin, Me. François R. Magloire, M. Volvick Mathieu, M. Justin Mezile, Me. Barbantès Moussignac, Me. Ménès Ovide, M. Franck Paulche, M. Gustave Pierre-Louis, Me. Gérard Romulus, M. Gary Sajous, Me. Michel Félix Sapini, M. Eddy Saint-Pierre, M. Jacques Seide, M. Jean Edmond Tida, M. Serge Villard, M. Appolon Israël, Me. Wilbert Joseph, M. Guy Latortue, M. Lavelanet Lindor, M. Jean Léonidas Lucien, Me. Jean Mainville, Dr Georges Michel, Me. Justin Obas, Me. Thalès Paul, M. Pierre Th. Pierre, M. Réginald Riboul, Dr Louis Roy, M. Benoît Sanon, Me. Gracia Saint-Louis, M. Pierre Saint Rémy, Me. Marc Semervil, M. Ecclésiaste Valcin.
La Constitution de 1987 est publiée dans le Journal Officiel de République d'Haïti. LE MONITEUR 142ème année, No. 36 -- Mardi 28 avril 1987 Port-au-Prince, Haïti
Résumé
Cette étude se propose d'analyser, à la lumière de la Constitution de 1987, le poids des élections dans le processus de transition vers la démocratie en Haïti. Entamé sur les traces des innombrables inégalités sociales dominant l'histoire de ce pays, ce processus s'est orienté vers la sacralisation d'une nouvelle constitution et la tenue des élections libres, honnêtes et démocratiques. L'observation de certains faits tels : l'avortement des premières joutes électorales de novembre 1987 par un massacre sanglant, l'existence du couple «violence-impunité» et la permanence des crises politiques découlant des élections de 1995, 1997 et 2000, conditionne la survie de cette transition.
L'analyse du poids de l'histoire dans la construction du binôme «Etat-Nation » et l'étude des faits sociaux et politiques qui ont marqué le pays au cours de la période de 1986 à 2000, laissent croire que la transition haïtienne se heurte à de grandes difficultés. Elle n'a pas encore trouvé les voies et moyens pour l'émergence des normes, des valeurs et attitudes indispensables à la constitution d'un Etat démocratique. Face aux mutations géniques que connaît le cas haïtien «autoritarisme - démocratie en herbe - retour de l'autoritarisme », l'étude suggère la mise en oeuvre, sur le plan méthodologique, du modèle transitologique consensuel pour repenser l'implantation de la démocratie en Haïti.
Mots clés: Transition, démocratie, élections, crises politiques, Haïti
Abstract
This study aims to analyze, in the light of the Constitution of 1987, the weight of the elections in the process of transition towards the democracy in Haiti. Begun on the tracks of the uncountable social disparities, which dominate the history of this country, this process is directed to the regarding as sacred a new constitution and a holding of the free, honest and democratic elections. The observation of certain facts such: the abortion of the first electoral jousts of November, 1987 by a bloody massacre, the existence of the couple 'violence - impunity' and the durability of the political crises ensuing from elections of 1995 , 1997 and 2000, conditions the survival of this transition.
The analysis of the weight of the history in the construction of the binomial 'Nation-State' and the study of the social and political facts which marked the country during period from 1986 till 2000, let believe that the Haitian transition collides with big difficulties. It has not yet found ways and means for the emergence of the standards, the values and attitudes indispensable to the constitution of a democratic State.
In front of genic alterations which knows the Haitian case ' authoritarianism - democracy in herb - return of the authoritarianism ', the study suggests the implemented, on the methodological plan, the transitological consensual model to rethink the establishment of the democracy in Haiti.
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