Beaucoup d’entre nous, bien souvent, aiment s’appeler intellectuels sur le simple fait d’avoir un titre universitaire quelconque. A la lumière de ce constat, il y a lieu de réfléchir sur ce sujet afin d’apporter des clarifications nécessaires, juste pour faire dire aux lecteurs de nos différents forums que l’intellectuel est avant tout un homme d’action et non un hâbleur, celui qui produit du vent avec lequel il remplit les oreilles de ses compatriotes. C’est ainsi que « Le J'accuse » (1898) d'Émile Zola dans l'affaire Dreyfus en France est peut-être considéré comme un acte d’intellectuel pour sa prise de position à ne pas s’aligner du coté de la doxa, de l’idéologie dominante. L’intellectuel est alors celui qui agit dans le sens du collectif et non en fonction du statut social qu’il occupe dans une société donnée.
Dans ce cadre là, Jean Paul Sartre n’a-t-il pas précisé que « l'intellectuel est celui qui refuse d'être le moyen d'un but qui n'est pas le sien ». Pour Fabrice Ribet, de son œuvre (sciendi), l'intellectuel tire un pouvoir (dominandi) qu'il exerce non dans le pouvoir, mais par la voie de l'autorité morale. Pour lui, l'influence de l'intellectuel repose sur des positionnements auxquels il ne cherche pas à en tirer profit personnel ni pour lui-même ni pour le groupe social dans lequel il appartient. Puisqu’« Il est apte à exprimer la pensée de son peuple, à le conseiller avec justice (effet Mirabeau); Il est capable d'émettre une parole qui dépasse son individualité pour énoncer l'universel ; Il est autorisé à parler de sujets qui débordent son domaine de compétences, au nom de la vérité, et non en fonction d'une technique (effet Gorgias) ».
Vu la situation désastreuse de notre pays et notre incapacité à y remédier, ne serait il pas bon de se demander s’il existe vraiment des intellectuels Haïtiens dans notre pays ? Bien avant, il s’agit là de faire le tour de la question pour mieux le disséquer, pour le rendre intelligible. D’abord, au Ve siècle avant notre ère, l’intellectuel était des hommes au « langage sonore », aux connaissances encyclopédiques possédant l’art de manier la parole, du discours, s’installèrent à Athènes pour y enseigner tout ce qu’un citoyen doit savoir, théoriquement et pratiquement, s’il veut jouer correctement son rôle, tant dans le domaine privé que dans le public dans ladite société.
Cependant au XVIIIe siècle qui est aussi qualifié de siècle des lumières, on vit apparaître des intellectuels d’un autre genre qui se dressent contre la tradition, contre les institutions religieuses et leurs religiosités dans les sociétés en question. De ce fait, ils n’ont en commun que leur haine pour un passé qui étouffe le présent et montrent leur attachement pour des formes nouvelles de la connaissance comme les sciences expérimentales et leurs applications techniques. Ils voudraient du coup que les progrès technologiques correspondent au mieux une organisation différente de la société. En effet, l’histoire de la pensée les désigne tantôt comme écrivains tantôt comme philosophes. Ne sont-ils pas plutôt des intellectuels ?
Enfin, aux environs de 1934-1935, le statut de l’intellectuel se radicalise dans des formes de luttes pour le changement. Pour ce faire, ils se constituent en groupe pour prendre à charge la part de lutte qui leur revient contre des régimes persécuteurs des savants, des hommes de lettres, des artistes non strictement soumis. Ils rentrent dans le jeu des forces politiques. Je cite en exemple, les intellectuels français, entre autres André Gide, André Malraux et Jacques Soustelle, contribuent indirectement au Front Populaire. Plus récemment, après la Seconde Guerre mondiale, des philosophes comme B. Russell et J.-P. Sartre ont l’audace de s’ériger en tribunal ou de se trouver sur des barricades.
Aux États-Unis, des prix Nobel, atterrés par les conséquences mondiales que peut avoir les nouvelles technologies sur la société mondiale, de cette robotisation qui prive aux hommes la liberté de travailler, forment le groupe Pugwash, qui publie une revue et, forts de leur savoir, analysent les désastres qu’impliquerait, pour l’humanité, une utilisation non contrôlée du pouvoir de la science. Ainsi de Gorgias, Denis Diderot, Albert Einstein et Jean-Paul Sartre, Antenor Firmin, Jaques Roumain et Jacques Stephen Alexis, le concept d’« intellectuel » a-t-il donc un sens qui traverse l’histoire ? Si c’est le cas, quel est donc le statut interne, la « place » sociale, la puissance de ce groupe apparemment si mal défini? Bref, il s’agit d’abord de savoir si, de l’intellectuel, on peut donner une définition ou encore d’éprouver la validité des critères en raison desquels il s’est trouvé prendre, dans la société, une place singulière.
CATEL Jean Audan